G.F. HAENDEL (1685-1759)
Deidamia
Opéra en
trois actes HWV 42
Deidamia : Simone
Kermes, soprano
Ulisse : Anna Bonitatibus,
mezzo-soprano
Nerea : Dominique
Labelle, soprano,
Achille : Anna
Maria Panzarella, soprano
Fenice : Furio
Zanasi, baryton
Licomede : Antonio
Abete, basse
Il Complesso Barocco
Coro del Complesso
Barocco
Alan Curtis, direction
Enregistré
à Sienne en juillet 2002 - VIRGIN 5 45550 2 (3 CD)
Composé à l'automne 1740,
Deidamia appartient
à cette veine plus légère dans laquelle Haendel vient
de s'illustrer avec
Serse (1738) et
Imeneo (1740). Le livret
s'inspire du mythe, postérieur à Homère, de l'enfance
d'Achille. Alarmés par une prédiction qui annonce la mort
de leur fils lors de la guerre de Troie, les parents d'Achille l'envoient
sur l'île de Scyros où il devra vivre incognito, déguisé
en pucelle. Mais le subterfuge ne pouvant qu'être découvert,
le jeune homme devient secrètement l'amant d'une des filles de Lycomède,
roi des Dolopes : Deidamie. Cependant, les Grecs apprennent qu'ils ne pourront
vaincre sans Achille et Ulysse est chargé de le retrouver. Pour
confondre l'éphèbe qu'il devine sous les traits de Pyrrha,
Ulysse feint de courtiser la belle, mais celle-ci dédaigne trop
virilement ses avances et confirme ses soupçons. Piégé
une seconde fois par Ulysse et Phénix (ambassadeur d'Agamemnon),
Achille accepte avec enthousiasme de rejoindre les troupes grecques, au
grand dam de Deidamie qui le maudit.
Haendel s'est peu exprimé dans le genre comique et les chefs-d'oeuvre
y voisinent avec les semi-échecs. Si Agrippina et Serse
se rangent à l'évidence dans la première catégorie,
Deidamia relève de la seconde. Le public ne s'y est pas trompé,
qui lui a réservé un accueil glacial. Quelques années
plus tôt, l'intrigue aurait sans doute davantage excité l'imagination
du compositeur. Haendel avait-il déjà fait son deuil d'une
carrière lyrique désormais compromise lorsqu'il s'attela
à son dernier opéra ? Dès le deuxième acte,
il semble ne plus trop y croire et l'inspiration finit même par déserter
un troisième acte où seul l'air d'Ulisse Come all'urto
aggressor apporte un peu de sel à un ennuyeux badinage. On retiendra
un premier acte équilibré et quelques très belles
pages (l'arioso avec violoncelle de Deidamia Due bell'alme,
l'air de Licomede Nel riposo e nel contento...), mais qui laissent
vite place au seul métier du compositeur, en pilotage automatique
pour un atterrissage en douceur, là où on attendait, sinon
une progression jusqu'au climax, du moins quelques envolées. A la
rigueur, ces morceaux pourraient entrer dans la composition d'un pasticcio,
mais ils ne justifient pas que l'ouvrage entre au répertoire.
Alan Curtis nourrit une profonde admiration pour le théâtre
de Haendel qu'il sert avec dévotion depuis une trentaine d'années.
Cependant, après avoir réalisé combien la source est
tarie, difficile de réprimer un sourire en découvrant les
excuses que le chef tente de trouver à son idole [je souligne] :
"Nous ne savons pas pour qui le rôle de Nerea fut initialement conçu,
mais il fut à la hâte et à la dernière minute
augmenté - sans doute était-ce la condition pour qu'elle
accepte de le chanter - pour la célèbre soprano italienne
Maria Monza. [...] Par contre, soit que Haendel ait manqué
de temps ou que son invention ait tourné court, l'augmentation
de l'air Quanto ingannata à l'Acte III, de la section A seulement
jusqu'au da capo de rigueur, et plus particulièrement celle
de Non vuò perdere, la nouvelle version sur mètre
binaire se révélant d'une fastidieuse longueur, ne constituent
certes pas une amélioration, comme si Haendel s'était
acquitté à contrecoeur de son obligation envers Monza.
"Si Haendel déçoit, c'est donc la faute à Monza !
L'amour est non seulement aveugle, mais il paralyse également. Alan
Curtis semble redouter que la moindre tension dramatique ne violente la
fragile Deidamia, il bannit toute idée personnelle comme si l'interpréter
revenait forcément à la défigurer. Or c'est justement
de fougue, de hardiesse, de fantaisie et d'investissement que cet opéra
a cruellement besoin...
Simone Kermes fait une entrée remarquée (Due bell'alme),
mais dès qu'elle quitte la stratosphère, c'est pour révéler
un médium pauvre en couleurs et froid. Narcissique et obnubilée
par ses atouts, la soprano susurre et soupire à l'envi, multipliant
les pianissimi, quand elle ne s'égare pas dans des traits
approximatifs et des suraigus douteux. Un lamento gâché
par d'inutiles fioritures (Se'l timore) illustre le fossé
qui sépare l'afféterie de la grâce, la musicienne du
rossignol. On retrouve presque avec soulagement le soprano moelleux et
plus charnel de Dominique Labelle (Nerea), qui affronte avec courage l'ambitus
(deux octaves !) et les sauts d'intervalles d'un rôle trop tendu
pour elle (Sì che desio). Furio Zanasi, qui avait fait fort
impression dans le Farnace de Vivaldi (Alia Vox), est cette fois
en petite forme. Antonio Abete habite son récitatif, mais sa partie
exige des graves charnus et sonores qu'il n'a jamais possédés
; l'épreuve de la scène lui serait sans nul doute fatale.
Pourquoi s'entêter à confier à des barytons des rôles
bien plus confortables pour des basses ? Sans une once d'ambiguïté,
l'Achille fillette d'Anna Maria Panzarella ne trouble jamais et passe inaperçu.
En revanche, le héros de l'Iliade hérite d'un mezzo
clair et chaud (Anna Bonitatibus), d'un bel abattage et d'une musicalité
rayonnante.
"A vaincre sans péril..." Cette gravure éclipse la seule
version concurrente, plombée par la médiocrité de
son plateau (Ostendorf, Palmer, Baird, Fortunato, Albany Records). Elle
revêt avant tout une indéniable valeur documentaire à
laquelle tout haendelien qui se respecte devrait être sensible.
Bernard Schreuders
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