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DUETS
Puccini, La Bohême
Donizetti, Lucia di Lamermoor
Verdi, Rigoletto
Gounod, Roméo et Juliette
Bizet, Les Pêcheurs de perles
Massenet, Manon
Tchaikovsky, Iolanta
Torroba, Luisa Fernanda
Anna Netrebko, soprano
Rolando Villazon, ténor
Nadine Weissmann, mezzo-soprano
Nicola Luisotti, basse
Staatskapelle Dresden
Nicola Luisotti
1 CDDeutsche Grammophon, 477 6578
Elle et lui
Elle vient du froid ; lui non. Elle est la lune ; lui le
soleil. Ils sont jeunes ; ils sont beaux ; ils connaissent
une carrière à la fois extraordinaire et
méritée. On ne peut plus compter, désormais, sans
eux. Ils ont, chacun, un pied dans un star system
qui est aussi attachant qu’exaspérant. Attachant parce que
l’opéra, sans cette once de continuité
« dynastique » (la lignée grandiose des
Farinelli, Malibran, Nourrit, Patti, Melba etc…) n’est
plus tout à fait le monde que l’on aime. Exaspérant
parce que ladite lignée grandiose est avant tout celle
d’impeccables artistes ce que n’est pas forcément
une avant-scène brûlée de sunlights et allumée de flashs crépitants !
Callas, myopie aidant, pouvait confondre une gerbe de fleurs et une
botte de radis, au moment de ses saluts scaligères. L’une
et l’autre sont les deux faces d’une médaille que
tous les chanteurs (sur)exposés connaissent. Villazon ne
connaît guère que les premières ; Anna
Netrebko est un peu habituée à ramasser de belles
brassées de légumes à l’avant-scène.
Enfin, en France surtout. Adulée en Autriche, en Allemagne, aux
Etats-Unis, elle nous rejoue la grande scène
d’incompréhension ostracisante qui a fait le
non-succès de Gruberova sur les scènes françaises.
Les voix diffèrent mais pas forcément les
réactions.
Là n’est pas le lieu de disséquer un
phénomène (fondé, je n’ose imaginer le
contraire) qui me dépasse forcément. Exit
l’idole ; exit l’égérie de Chopard.
Examinons notre conscience de mélomanes, comme si nous ne
savions pas que la (trop) belle Anna chante ici. Parlons juste de
l’album qui nous intéresse.
Parlons-en et commençons par évacuer ce qui fâche.
Et d’abord l’orchestre, une superbe Staatskapelle de Dresde
qui a un son parmi les plus beaux du mondes (le début de Roméo,
tous les Français en général) plein mais aussi
riche de tous les dégradés, de toutes les irisations mais
qui tourne en rond… faute de direction. N’est pas Sinopoli
qui veut et Nicola Luisotti, tout Italien fût-il, ennuie ou
irrite ou simplement plombe le discours (il faut bien du courage
à nos deux voix pour se sortir avec les honneurs du long,
très long quart d’heure de Roméo,
justement). Luisotti fait de l’esbrouffe, comme si Gilles de la
Tourette tenait la baguette, le pied sur
l’accélérateur à chaque fin de morceau (les
yeux fermés, vous ne pourrez pas passer à
côté de ces accords de bastringue).
De l’esbrouffe. Des jeux de manche. Et là, j’en veux
un peu à Villazon. Avec tout le soleil (et les hormones)
qu’il transporte dans sa voix, il est un peu le fils
illégitime d’un ménage à trois
détonnant : Domingo pour la voix, Corelli pour la phrase
(quels récitatif au début de Lucia) et Di Stefano pour ce petit quelque chose en plus qui arrache, in fine,
une adhésion presque primale. On a vu patronages moins
brillants ! Mais on en a vu, aussi, de plus politiquement
corrects. Avec sa mezza voce suant
la testostérone, avec ses éclats, son phrasé
jusqu’au-boutiste, Villazon épuise un peu sur la longueur.
C’est un peu le contraire chez Netrebko à qui il manque,
ici, un public pour s’enflammer complètement. Car Anna se
dit assez facilement réservée. Sans l’être
vraiment ici (sa Manon vous
vaudra bien des émotions peu avouables) elle reste un peu
écrasée par sa « Formule 1 » de
partenaire. Il y a, ici et là, un petit déficit en
harmonie entre le voile léger de Netrebko, ses éclairs
sombres, son aigu très légèrement induré et
la santé démonstrative de Villazon. A ce jeu-là, Rigoletto
avec les palpitations prudes de sa tendre Gilda et les accents
« velus » de son ténor ressemble presque
au viol de la partition.
Alors d’où vient que l’on s’attache tellement
à ce disque ? Dans des interviews récentes (1)
Villazon, comme Netrebko nous fournissent une part de la
réponse. Lui affirme qu’il « faut d’abord
chanter, le sentir soi-même et le faire » ; elle
avoue qu’elle « chante, c’est
tout » ! Des instinctifs de génie, voilà
ce que nous entendons ! Et sincèrement, je serais de
mauvaise foi s’il me venait non pas le courage mais seulement
l’envie de le leur reprocher. Et surtout à elle qui, pour
le coup, trace huit portraits émouvants et simplement justes,
avec un goût et une adéquation évidents… et
une technique assurée et assumée (qu’elle sait bien
perfectible et en constant devenir puisque Anna est aussi un être
lucide et qui pense) !
Je vous le disais, ils sont beaux ; ils sont jeunes. Avec une
jeunesse ni consumée, ni totalement consommée. Ils
chantent avec leur cœur et cela s’entend. Ils sont
formidablement complices aussi (voir le dvd
« bonus ») s’abandonnent une
première place illusoire comme deux potaches studieux qui ont de
la réserve sous pied, le savent et en jouent avec
virtuosité. Qu’importe, alors, leur français
défaillant (c’est tellement courant que je ne vois
même plus lieu de m’en offusquer) ; qu’importe
les micro-décalages que le producteur a obligeamment
laissé passer (à la fin de Lucia
par exemple) pour donner matière à tempêter aux
spécialistes habituels. J’aime en général
Villazon et Netrebko ; je les aime ici. Ils réactivent de
vieux frissons dus aux grands couples de passé (pas besoin de
chercher loin, vous les retrouverez facilement) et ces
frissons-là me sont indispensables et sont tout ce que
j’aime à l’opéra. Alors je retourne vite,
vite écouter ce disque…
Benoît BERGER
(1) Classica de novembre 2006 et Le Monde de la Musique de mars 2007.
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