C  R  I  T  I  Q  U  E  S
 
...
[ Historique des critiques CD, DVD]  [ Index des critiques CD, DVD ]
......
......
Gioachino Rossini

L'equivoco stravagante

Ernestina : Petia Petrova
Gamberotto : Marco di Felice
Buralicchio : Marco Vinco
Ermanno : Dario Schmunck
Rosalia : Monica Minarelli
Frontino : Eduardo Santamaria

Czech Chamber Chorus
Czech Chamber Soloists
Direction : Alberto Zedda

2 CD Naxos 8.660087-88

(voir la présentation du CD sur le site Naxos)



Le festival de Bad Wilbad est "l'autre" festival Rossini. Dans cette station thermale de la Forêt Noire a lieu en effet depuis une douzaine d'année un festival consacré au cygne de Pesaro, avec une politique artistique radicalement différente : moins prestigieux, moins riche que son concurrent, il se concentre sur les titres les plus rares du compositeur, et fait appel à des distributions de jeunes inconnus. 

Ce festival diffuse régulièrement des enregistrements de ses réalisations à tarif économique (contrairement aux produits estampillés "Pesaro" qui sont vendus à un prix exorbitant) et qui font le bonheur du collectionneur rossinien. On doit en effet au festival de Bad Wilbad les seuls enregistrements existants d'Aureliano in Palmira (1996), d'Eduardo e Cristina (1997) et de Matilde di Shabran (1998), dans des réalisations largement mieux qu'honorables, et qui donnent régulièrement envie de se diriger, ne serait-ce qu'une fois, vers l'est plutôt que vers le sud pour honorer le compositeur.

Le cru 2001 est L'equivoco stravagante, opéra en deux actes plus ou moins mort-né de Rossini. Il s'agit en effet de sa troisième oeuvre, la deuxième à avoir connu la scène. L'ouvrage fut interdit après trois représentations et ne fut plus jamais exécuté pendant tout le XIX° siècle.
Il lui était en effet reproché la verdeur de son propos : un jeune prétendant et les deux serviteurs de l'héroïne font croire à un fiancé importun que celle-ci est en réalité un homme, castré à l'adolescence pour suivre une carrière de chanteur à l'opéra. Malheureusement, l'arrivée des troupes napoléoniennes en Italie ayant interdit la pratique de la castration, sa carrière ruinée, il (elle) n'avait pas eu d'autre expédient que de s'habiller en femme pour échapper au service militaire. Après avoir reconnu des traits masculins sur le visage de sa promise, le fiancé la dénoncera à l'armée, devenant ainsi la risée de tous.

De nos jours, une situation comme celle-ci n'est plus guère choquante, "ma femme est un travesti" pourrait tout à fait être le titre d'une comédie à succès, on se souvient même d'une publicité très drôle sur ce thème, diffusée à la télévision aux heures de grande écoute. Ainsi débarrassé de ses préjugés, il faut alors avouer que le livret n'est pas très réussi : décousu, pas très bien construit, manquant de logique.

La musique dont Rossini a orné ce livret donne toute la mesure de son génie précoce : gaie, vive, brillante... mais partiellement connue, puisque le compositeur réutilisa des morceaux de cette oeuvre qu'il pensait définitivement enterrée pour d'autres opéras, et notamment La scala di seta et La pietra del paragone.

La discographie de L'equivoco stravagante était jusqu'ici réduite à la portion congrue : un seul enregistrement chez Bongiovanni, datant de 1974, pas tout à fait intégral, et dans un son plutôt précaire. Les chanteurs, sauf Sesto Bruscantini, ne présentaient pas d'intérêt, ni musical, ni comique.

Dans ce nouvel enregistrement, comme dans tous ceux du festival de Bad Wilbad, on ne trouve aucun nom connu, à l'exception notable de celui d'Alberto Zedda, décidément infatigable dès qu'il s'agit de Rossini, et qui tire le meilleur d'un orchestre peu connu.

L'équipe de jeunes chanteurs est parfaitement en situation et très homogène. Petia Petrova est une contraltino savoureuse, parfaitement à l'aise dans les coloratures, avec cependant une tendance à émettre les aigus en force et à ne pas se fondre suffisamment dans les ensembles.

Son amoureux, le ténor Dario Schmunck, natif de Buenos Aires, possède un joli timbre clair et de beaux aigus faciles. Toutefois la virtuosité de son air le pousse dans ses derniers retranchements, et on le sent parfois au bout de ses ressources.

Marco di Felice, qui vient d'incarner Don Profondo à La Corogne, commence à se faire un nom dans le monde des barytons-bouffes, et ce n'est que justice. Son brio dans le chant syllabique à grande vitesse est époustouflant. Il incarne un père ridicule, typique de l'opera buffa, des plus réjouissant.

Dans le rôle du fiancé aussi beau garçon que demeuré, la basse Marco Vinco, neveu d'Ivo Vinco, appelle les mêmes réflexions que lors de son interprétation du Figaro de Mozart en 2001 au festival d'Aix en Provence : la voix est saine, la technique est solide, mais le personnage est seulement mimé et non pas vécu de l'intérieur.

En ce qui concerne le couple de serviteurs, correct est le Frontino d'Eduardo Santamaria, contrairement à la Rosalia de Monica Minarelli, fâchée avec la justesse.

En conclusion, remercions une nouvelle fois le festival de Bad Wilbad d'offrir au monde rossinien un nouvel enregistrement de référence d'une oeuvre jusqu'ici presque absente de la discographie.
  


Catherine Scholler
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]