Arias for
Farinelli
Vivica Genaux, mezzo soprano
Akademie für
Alte Musik Berlin
René Jacobs,
direction
1. Nicola Antonio
Porpora (1686-1768)
"Dall'amor più
sventurato" (Orfeo)
2. Riccardo Broschi
(c.1698-1756)
"Ombra fedele anch'io"
(Idaspe)
3. Riccardo Broschi
(c.1698-1756)
"Qual guerriero
in campo armato" (Idaspe)
4. Geminiano Giacomelli
(c.1692?-1740)
"Mancare Dio mi
sento" (Adriano in Siria)
Baldassare Galuppi
(1706-1785)
Concerto a 4 en
do mineur :
5. a) Grave
6. b) Allegro
7. c) Andante
8. Nicolo Antonio
Porpora
"Oh volesser gli
Dei... Dolci freschi aurette" (Polifemo)
9. Nicolo Antonio
Porpora
"Or la nube procellosa"
(aria ajoutée
dans Artaserse de Johann Adolf Hasse)
10. Johann Adolf
Hasse (1699-1783)
"Per questo dolce
amplesso" (Artaserse)
11. Geminiano Giacomelli
: "Quell'usignolo" (Merope)
Enregistré
en janvier 2002
Harmonia Mundi
HMC 901778 -77'35
Qui n'a pas, un jour ou l'autre, fantasmé sur la voix de Farinelli,
"le plus grand chanteur" de tous les temps nous dit la légende ?
La légende est belle : le
musico a su rallier tous les suffrages
et chacun sait combien cette unanimité est rarissime parmi les lyricophiles
! Sur le grand écran,
Farinelli, il castrato, a réactualisé
le mythe et amené un nouveau public (sans doute éphémère
et superficiel rétorqueront les bougons) à découvrir
l'opéra baroque. La chimère hermaphrodite née à
l'IRCAM a entretenu la confusion et suscité les réticences
les plus légitimes, mais elle avait au moins le mérite de
faire entendre une voix totalement inouïe, susceptible par le fait
même d'évoquer l'altérité radicale et surnaturelle
du castrat. Toutefois, au-delà d'un grain d'une singulière
beauté, la voix de Farinelli surpassait aussi toutes les autres
par une étendue et une plasticité extraordinaires que l'artiste
savait également mettre au service de l'émotion. La beauté,
la virtuosité et la faculté d'émouvoir : Farinelli
avait tous les dons, il éblouissait et bouleversait ses contemporains.
Chanter aujourd'hui son répertoire revient à s'exposer, immanquablement,
à la critique en heurtant les représentations des uns ou
des autres. Comme si cela ne suffisait pas, la notice de cet enregistrement
se souvient de l'Eden : "L'art d'exprimer les gradations les plus ténues,
de différencier le son de la façon la plus subtile, de
faire
sentir les nuances les plus impalpables, d'enchaîner, suspendre,
augmenter, ou diminuer sa voix ; la vitesse, la fougue, la force, les
dénouements
inattendus, la variété dans les modulations, l'habileté
dans les appoggiatures, les passages, les trilles, les cadences... ; le
style raffiné, précieux, recherché, policé,
l'expression des plus douces passions poussée à un degré
de vérité extrême ; sont autant de miracles produits
par le ciel d'Italie, et que peu de chanteurs encore en vie pratiquent
à la perfection." (Stefano Arteaga, 1783, c'est moi qui souligne).
En citant ce précieux témoignage - qui est loin d'être
isolé et que certaines divas devraient peut-être méditer
- René Jacobs montre à quel point ce disque est ambitieux.
Passé la griserie du premier air et le plaisir de découvrir
une voix bien timbrée, corsée, longue et souple, un abattage
et une virtuosité sans faille couronnée par des aigus éclatants,
le charme s'altère dès que la technique doit s'effacer pour
faire place à la seule musicalité et aux affetti (Ombra
fedele anch'io). Certes, les Talens lyriques offraient à Derek
Lee Ragin et Ewa Malas-Godlewska un écrin somptueux, presque charnel
(B.O. de Farinelli, Il castrato) alors que Vivica Genaux doit supporter
l'accompagnement pesant et raide de l'Akademie für Alte Musik Berlin.
Livrée à elle-même, la sensibilité mise à
nu, l'artiste se fait désirer, son chant ne trouble, n'étreint
jamais. Je me surprends à rêver, avec nostalgie, au lyrisme
chaleureux et aux chatoiements irisés de Frederica Von Stade, qui
révéla jadis ce joyau. Attentif aux critiques qui épinglaient
l'exhibitionnisme de ses pairs, Farinelli n'avait-il pas réformé
sa première
maniera di cantare, pour reprendre une expression
chère à René Jacobs, touchant le public par la justesse
et la simplicité de ses incarnations ? Encore faudrait-il laisser
à Vivica Genaux le temps et le loisir d'être elle-même,
de mûrir et de pouvoir inventer ses propres ornements. Car c'est
bien sûr là que le bât blesse. Les meilleurs chanteurs,
à commencer par Farinelli, renouvelaient leur interprétation
chaque soir, créant et improvisant de nouveaux ornements. Le public
n'attendait pas autre chose, tout l'intérêt, tout le suspens
de l'opera seria résidait justement dans la manière
dont les artistes allaient aborder les reprises, et non dans les rebondissements
prévisibles d'une intrigue souvent éculée ou abracadabrante.
En l'occurrence, tout est faussé : Vivica Genaux exécute
docilement les broderies et les cadences conçues par René
Jacobs. Comment dès lors apprécier son talent, ses dispositions
pour ce répertoire ?
Depuis les délicieuses chinoiseries d'Anne Sophie Von Otter (Le
Cinesi de Gluck), saluées en leur temps par Stanley Sadie, jusqu'aux
magnifiques airs allemands de Haendel enregistrés par Dorothea Röschmann,
le contre-ténor a inventé de nombreux embellissements, stylés
et d'un goût exquis. Ceux qui le connaissent bien et l'ont déjà
vu répéter l'imaginent sans peine chanter par procuration
en dirigeant Vivica Genaux dans ce programme gourmand qu'il aborderait
sûrement lui-même, avec quelques notes en plus dans la voix
et quelques années de moins. Perfectionniste et intransigeant, le
chef a la réputation de ne laisser aucune initiative aux chanteurs
et d'imposer sa vision. Est-ce pour cette raison que tout dans cet enregistrement
semble prémédité, savamment calculé et contrôlé,
sans que le moindre soupir, la moindre note ne soit laissée au hasard,
à la spontanéité de l'interprète ? Certes,
Jacobs fait preuve d'un goût très sûr et réussit
à se démarquer des reprises "d'une affligeante banalité"
qu'il affirme entendre aujourd'hui sur la plupart des scènes d'opéra
; mais compose-t-il avec les moyens de Vivica Genaux ou selon son inspiration
? Les deux sans doute, dans une proportion indécidable et d'autant
plus irritante. En tout cas, cette interprétation manque d'audace,
d'excès, de ce grain de folie, de cette liberté qui sont
l'apanage des grandes personnalités, qui font qu'Anne-Sophie Von
Otter ou Della Jones se jouent des difficultés avec un humour irrésistible
et créent une distanciation savoureuse. Vivica Genaux ne s'emporte
jamais, ne hausse jamais le ton, ne se permet aucune incartade, elle conserve
une même humeur qui plonge dans l'uniformité cette performance
trop policée. Coup de foudre ou de pub ? D'aucuns n'hésitent
pas à titrer "une nouvelle diva est née", alors même
que l'artiste ne s'abandonne jamais et que sa personnalité demeure
un mystère.
La plupart des arias réunies pour cet hommage avaient déjà
été gravées, essentiellement par des sopranistes (Arno
Raunig et Angelo Manzotti) et le plus souvent avec moins de bonheur. A
ma connaissance, seules "Dolci freschi aurette" et "Or la nube procella"
sont inédites. En dépit de ces nombreuses réserves,
ne boudons pas notre plaisir : Vivica Genaux possède un timbre idéal
pour les rôles travestis, son mezzo est assez étendu et homogène
pour autoriser d'excitants sauts de registre (même si le grave manque
de corps), elle montre enfin un aplomb et une santé qui promettent
beaucoup pour peu que son mentor lui laisse le temps de travailler, d'apprendre,
par exemple, à réaliser une messa di voce (crescendo
et decrescendo sur la même note et dans un même souffle,
sans altération du timbre, ornement essentiel dans le belcanto)
et de se trouver elle-même. Pour conclure sur une anecdote, il est
assez piquant de lire sous la plume de René Jacobs que "quand dans
une cadence conclusive, le chanteur reprend plusieurs fois son souffle
et termine sur un cri aigu sans même avoir fait entendre un seul
trille réussi - ornement obligé à l'époque
de Farinelli - , il est peut-être assuré de l'ovation d'une
partie du public, mais il aura en même temps atteint des sommets
dans la vulgarité", alors qu'il laisse Patricia Bardon décocher
un contre-ut d'une hideur et d'une incongruité sans nom (Jephté
de Haendel au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles) ! Pour ceux qui ne le
sauraient pas encore, Cecilia Bartoli prépare aussi un programme
autour de Farinelli. A bon entendeur...
Bernard Schreuders
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