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Ludwig van BEETHOVEN (1770-1827)
FIDELIO
Don Fernando, Hans Sotin
Don Pizarro, Theo Adam
Florestan, Richard Cassilly
Leonore, Anja Silja
Rocco, Ernst Wiemann
Marzelline, Lucia Popp
Jacquino, Erwin Wohlfhart
Chœur de l’Opéra de Hambourg
Orchestre Philarmonique de Hambourg
Leopold Ludwig
Réalisation, Joachim Hess
Direction artistique, Rolf Liebermann
Irrésistible !
Il ne faut jamais trop se désoler. Là où les Meistersinger avaient échoué, ce Fidelio réussit. Car c’est bien lui, ce Fidelio
rêvé, si longuement fantasmé. C’est lui,
revenu du fond de l’ère Liebermann ; revenu de cette
année 68 où il dut, à lui seul, être un
événement !
C’est lui, tellement irrésistible et tellement imparfait
aussi ; il ne faut pas se voiler la face. Mais depuis Freud nous
savons que le monde du rêve magnifie tout ce qu’il
n’occulte pas. Et c’est très justement le cas ici.
La couleur est vieillotte. Et alors ? Le play-back
risible, souvent. La belle affaire ! La caméra ou bien
pompeuse, ou bien redondante. Qu’importe ! N’est-elle
pas, d’ailleurs pour partie dans la réussite de ce
film ? Mais si. Parce que, pour une fois – et pas comme dans
les Meistersinger, pardon de
le redire – la caméra parle aussi ; elle dirige notre
regard comme si elle était un prolongement de notre œil.
Le gros plan sur le visage – céleste – de Marzelline
au début de son air gratte, derrière le maquillage,
l’intangible qui nous sépare de son âme ; le
même gros plan qui fait luire d’une flamme mauvaise,
méphitique le regard de Pizarro. Mieux, cet artifice souligne le
naturel de chacun ! C’est à la fois paradoxal et
lumineux…
Lumineux comme peut l’être la direction de Ludwig.
Lui connaît la fosse, le sens de l’équilibre et
surtout Beethoven. Il sait où le lion s’économise
pour mieux rugir. Avec Ludwig, Fidelio ne lorgne ni franchement du côté du Singspiel
ni non plus de celui des grands développements romantiques. Il
est « simplement » juste, avec cette science
particulière qui sait ralentir le rythme du chœur des
prisonniers pour souligner leur reptation lente, lugubre,
épuisée ; avec aussi cet art de tendre les grands
arcs de l’air de Florestan – quel hautbois lumineux –
et du finale. Tout cela avec ce petit truc en plus qui ressemble
à de la nostalgie, puis à de la joie, puis à de
l’exultation : quelque chose comme un petit surcroît
d’humanité. Si le coffret avait porté le nom de
Böhm, on aurait jugé cela
« apollinien ».
Une humanité qui rayonne aussi chez des chanteurs si génialement imparfaits ! Exceptons Lucia Popp, parfaite, fruitée qui porte en elle un rayonnement unique qui émeut aux larmes. Wohlfahrt,
pour lui répondre, est lourdaud, pâtaud, gentiment
fleur-bleue ; et cela aussi c’est encore du génie.
Comme ce l’est chez Theo Adam
de jouer sur les immenses plaques ternes qui émaillent son
timbre coupant pour rendre la prégnance répugnante de
Pizzarro. Comme ce l’est chez Cassilly
d’user de sa voix sèche, presque instable ici – au
moins dans son air – pour camper le héros fatigué
de son destin.
Une humanité trouble qui est, enfin, l’apanage d’Anja Silja
simplement gigantesque. Faudra-t-il énumérer tout ce que
le rôle représente comme défi du strict point de
vue vocal pour elle ? Evidemment le grave est absent
d’Abscheulicher et sa vocalise est hachée – si
seulement elle était là, d’ailleurs. Evidemment
l’aigu est ce qu’il est, allant de l’acide à
l’insupportable – cela dépendra de l’auditeur.
Mais l’incarnation est plus que majuscule ; elle est
simplement belle et forcément incontournable. On ne peut pas
dire que l’on a VU – parce que c’est bien de cela
qu’il s’agit – Fidelio
si l’on n’a pas vu cette version ; si l’on
n’a pas cette femme-là. Il faut voir cette grande liane
aux gestes plus garçons que nature ; il faut voir cette
tenue générale ; cette manière
d’être là, toujours sans pour autant vampiriser le
plateau. Il faut voir la lumière qui transfigure son visage
durant tout l’air ; il faut voir – et entendre
l’aigu d’acier trempé – le moment où le
masque tombe au cours du quatuor, la révélation de cette
chevelure limpide s’évadant en cascades du béret
enfin rejeté ! Il s’agit d’une
expérience d’ordre intime qui en appelle à des
fantasmes puissants – comme des bouffées suffocantes
– qui dépassent le cadre d’une simple captation
d’opéra pour s’inscrire dans un imaginaire de
féminité sanguine mais aussi solaire qui va de Botticelli
à Klimt.
Il faut, sincèrement, avoir ce Fidelio
dans sa discothèque. Rien que pour savoir ce que c’est que
de se donner sans arrière-pensée, avec
sincérité ; juste pour l’amour de l’art.
Benoît BERGER
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