Ludwig van Beethoven
FIDELIO
Angela DENOKE (Leonore)
John VILLARS (Florestan)
Alan HELD (Pizarro)
Laszlo POLGAR (Rocco)
Juliane BANSE (Marzelline)
Rainer TROST (Jaquino)
Thomas QUASTHOFF
(Fernando)
Berliner Philharmoniker
Choeur Arnold Schoenberg
Simon RATTLE, direction
2 CD EMI 5575592
Enregistré
du 25 au 28 avril 2003 à la Philharmonie de Berlin
Opéra hybride, oeuvre de transition à l'exacte jointure
du classicisme et du romantisme,
Fidelio a fait l'objet de nombreux
enregistrements depuis l'avènement du son digital. Pourtant, en
dépit des tentatives menées par quelques uns des chefs emblématiques
de notre période, aucune version moderne n'est parvenue à
s'imposer comme une référence. Le miracle allait-il venir
de Simon Rattle, chef bien souvent enthousiasmant à la scène
? La retransmission des représentations salzbourgeoises nous autorisait
à en douter, tant il avait paru alors indifférent au drame
et au destin des personnages. Réalisé dans la foulée
à l'occasion de concerts donnés à la Philharmonie
de Berlin, le présent enregistrement confirme malheureusement ces
doutes.
Dès l'ouverture, c'est l'absence de théâtralité
qui choque. Rattle choisit ici, comme en bien d'autres endroits de la partition,
des tempi d'une surprenante lenteur et l'on s'interroge sur l'intérêt
de cette option, si ce n'est celui de mettre en valeur les magnifiques
sonorités de la Philharmonie de Berlin, qui reste le plus superbe
instrument dont un chef puisse rêver. Rattle semble se désintéresser
de cette architecture délicate que constitue la composante mozartienne
de la partition et les premiers numéros se succèdent comme
autant de miniatures désincarnées sans qu'une vision ou même
un simple élan ne vienne cimenter l'ensemble. Le quatuor du premier
acte n'est plus le moment de grâce attendu d'autant que la fusion
des voix s'y opère mal. A contrario, la marche est abordée
sur un mode guilleret qui lui retire toute solennité.
Les choses semblent s'arranger au début du second acte, le chef
paraissant incontestablement plus inspiré par le versant romantique
de l'ouvrage. Le trio constitue même le meilleur moment vocal de
cette gravure mais précède un quartette bien désordonné.
Par la suite, les insuffisances vocales des deux principaux protagonistes
ne permettent pas de goûter véritablement les beautés
de la partition : la voix d'Angela Denoke tend à bouger à
l'excès tandis que John Villars paraît, par instants, littéralement
dépassé par son rôle. Tout au plus notera-t-on le traitement
du finale à la manière d'un oratorio avec un résultat
assez inégal. En définitive, on aurait tout de même
apprécié davantage de chaleur et d'humanité dans la
lecture orchestrale, ici singulièrement cérébrale.
Une telle distribution méritait-elle d'être immortalisée
par le disque ? Il nous faut une fois encore répondre par la négative.
Rainer Trost est certes un fringant Jaquino, mais sa Marzelline est bien
peu séduisante. Laszlo Polgar déploie une voix au timbre
flatteur, mais ne s'investit à aucun moment dans son personnage
: s'il fait du beau son, il demeure redoutablement indifférent au
drame. Alan Held n'est qu'un médiocre Pizarro, incapable d'affirmer
la noirceur du personnage et mis en difficulté (comme beaucoup)
par l'écriture de son air d'entrée. John Villars, chanteur
très sollicité actuellement, est un Florestan solide et somme
toute honorable mais qui manque d'impact dans l'air du cachot et tend à
s'effacer dans le
finale.
J'avoue un certain faible pour Angela Denoke depuis sa séduisante
Maréchale strasbourgeoise en 1996 et je la tiens pour une fine musicienne.
Voilà une chanteuse qui possède de belles manières
et de jolis piani, mais hélas pas la pointure exacte d'une
Leonore. C'est toutefois avec son Abscheulicher que le théâtre
semble enfin reprendre ses droits et l'on en oublie même que la voix
a tendance à bouger un peu. Elle trouve par moments de beaux accents
élégiaques, cependant, Namenlose freude dépasse
perceptiblement ses moyens actuels et le chant en devient désordonné
et strident.
En définitive, la meilleure surprise vocale de cet enregistrement
nous vient du rôle très secondaire du ministre. Thomas Quasthoff
nous offre en effet un Don Fernando noble et généreux et
semble, de plus, le seul capable de donner au mot son poids exact. On ne
peut, par ailleurs, qu'admirer la témérité de cet
excellent styliste qui, en dépit de son handicap, ambitionne aujourd'hui
de faire carrière sur scène (on annonce Amfortas à
Vienne). Mais un Fernando, aussi exemplaire soit-il, ne fait pas une distribution.
S'il fallait trouver une justification à cet enregistrement,
ce serait peut-être dans le choix de l'édition révisée
élaborée par la fondation Beethoven, qui diffère de
la version usitée par un certain nombre de détails d'articulation,
de dynamique, de timbre et de distribution instrumentale. Les musicologues
y seront naturellement plus sensibles que le grand public. Reste la qualité
instrumentale de l'orchestre et des choeurs, tous deux irréprochables.
C'est déjà ça !
Vincent Deloge
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