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Franz SCHUBERT (1797-1828)


FIERRABRAS (1823)


Livret de Josef Kupelweiser

Laszlo Polgar : Le Roi Karl
Juliane Banse : Emma
Michael Volle : Roland
Christoph Strehl : Eginhard
Günther Groissböck : Boland
Jonas Kaufmann : Fierrabras
Twyla Robinson : Florinda
Irène Friedli : Maragond
Ruben Drole : Brutamonte
Boguslaw Bidzinski : Ogier
Eva Liebau : Une jeune fille
Wolfgang Beuschel : Schubert

Chœur de l’Opéra de Zürich (chef de chœur : Ernst Raffelsberger)
Orchestre de l’Opéra de Zürich

Franz Welser-Möst, direction

Production pour l’Opéra de Zürich : Claus Guth
Direction scénique : Gudrun Hartmann
Décors et costumes : Christian Schmidt
Lumières : Jürgen Hoffmann
Réalisation video : Thomas Grimm

Enregistré en novembre et décembre 2005, et mars 2006

2 DVD EMi Classics 50999 5 00969 9 2
durée : 2 h 11 minutes




Ou comment la citrouille devient carrosse…


Fierrabras est un véritable cas d’école : dans le désert lyrique allemand des premières années du XIXe siècle (Fidelio et Freischütz exceptés), le Kärtnertheater de Vienne en la personne de son directeur Barbaja commande un ouvrage ; en quête de texte, Schubert se tourne curieusement vers Josef Kupelweiser, dont on craint vue la suite qu’il n’eut guère été meilleur dans son rôle d’administrateur général du dit théâtre que dans celui de librettiste. Le compositeur construit l’ouvrage entre fin mai et début octobre 1823 ; puis doit renoncer à toute création, faisant les frais – dans tous les sens du terme -  tant de l’engouement subit des viennois pour Rossini, poussé par l’impresario... Barbaja, que de l’échec d’Euryanthe de Weber au Kärtnertheater, suivie de la démission de Kupelweiser. Fierrabras rejoint le cimetière lyrique schubertien, bien garni.
On ne peut pour autant pleurer un rendez-vous manqué avec un chef-d’œuvre : Fierrabras (déjà, rien que le nom du héros…) est un opéra (avec dialogues parlés) dont la faiblesse de construction et les longueurs affichent à la face du monde tant les aléas de la composition que la solitude de Schubert, qui le contraint parfois à l’abandon de toute exigence ; on gage qu’en cas de création et a fortiori de reprises, de nombreuses scories du livret eussent été modifiées. Pour autant, l’œuvre aide à faire le lit d’un préjugé tenace : Schubert aurait été peu doué pour la scène lyrique, tant il excellait dans les miniatures vocales. Il suffit d’entendre ce qu’il écrit ici pour affirmer le contraire, et rêver de ce qu’il eut pu produire s’il avait eu son Da Ponte, et surtout une collaboration qui encadre fermement ses tentatives constantes d’échapper à la scène pour rejoindre le rêve… En somme, aider l’accouchement.

Exposons le bric-à-brac dramatique : Eginhard, preux chevalier, et Emma, fille du grand roi Karl (autrement dit Charlemagne) s’aiment en secret. Eginhard ramène comme prisonnier le fils du roi des Maures Boland, le fameux Fierrabras, et en fait son ami. Mais Fierrabras aime aussi Emma. L’autre preux, Roland (oui, celui du cor), aime en secret la sœur de Fierrabras, Florinda. Au terme de serments, batailles, trahisons, et divers actes de bravitude, on devine que chacun pourra enfin aimer sa chacune, pendant que les deux Rois se jureront une paix éternelle. On sourit, mais entre nous, on a vu d’autres arguments dont la logique ne valait guère mieux produire des merveilles … oui, chez Donizetti par exemple, mais pas ici.

Une représentation de Fierrabras eut lieu à Karlsruhe en 1897, puis il fallut attendre Abbado et le Festival de Vienne 1988, et l’enregistrement par le même en 1991. La création scénique à Zürich en 2005, reprise au Châtelet en 2006, fut donc à juste titre un événement… et une réussite exemplaire d’intelligence. Claus Guth évite astucieusement le piège des errances dramatiques en prenant le parti de la narration parallèle : ce n’est pas l’opéra que nous regardons, mais Schubert pensant et écrivant son opéra, dans sa pièce de travail, avec son piano. Compositeur et personnages lilliputiens dans un décor surdimensionné, les personnages surgissant des boiseries au fil de l’écriture, le piano devenant élément du décor, la chaise devenant trône pour les deux rois. Les lieux divers de l’action sont simplement annoncés par un message lumineux sur le mur. Et Schubert est constamment sur scène : Schubert (interprété avec subtilité par Wolfgang Beuschel) dont on suit sur le visage la pensée créatrice, deus ex machina faisant surgir les interprètes, leur donnant les partitions, des indications scéniques, des accessoires ; Schubert, se délectant des légendes médiévales, tressant peu à peu l’âme de ses personnages en les confondant parfois avec la sienne – la figure du père en Charlemagne est évidente -, jusqu’à énoncer lui-même certaines phrases en résonance avec sa propre vie ; Schubert faisant descendre un tableau noir pour résumer à la craie et avec humour l’intrigue, quand elle devient plus complexe ; faisant une moue quand un passage lui plaît moins, adorant du regard un interprète et modelant du geste la phrase du clarinettiste ; Schubert montant sur le piano comme sur le bûcher annoncé aux victimes, presque plus avide de liberté et d’héroïsme que ses personnages, lesquels se rebellent parfois contre leur créateur, quand par exemple Fierrabras trouve un peu maigre sa participation au final. Cette mise en scène est un modèle d’intelligence, de sens, d’humour, et de respect teinté de tendresse pour le compositeur : non pas redondance ou relecture, non pas ego luttant contre la musique, mais  cheminement comblant idéalement par son acuité les faiblesses d’un ouvrage qui ne pourrait supporter le premier degré, lui donnant définitivement sa légitimité.

Mais par-dessus tout, justement, il y a la musique de Schubert : on ne sait qu’admirer, de la beauté des airs dévolus aux solistes (notamment ceux de Florinda), aux ensembles (duos somptueux) et aux chœurs (chœurs a capella des prisonniers…), et des parties orchestrales. Fierrabras est un bijou musical, unissant le singspiel avec ses parties parlées au mélodrame romantique largement ponctué par l’orchestre ; sur cette trame, chaque personnage déploie un chant délié comme un lied, en prise directe avec l’intime, souvent doublé en écho d’un instrument (clarinette, hautbois, flûte). Franz Welser-Möst y met la juste intention, lecture plutôt analytique, fermeté et transparence, rejet de tout pathos destructeur, et surtout, attention extrême à la scène. Il y a dans cette partition tant de trouvailles mélodiques et « timbriques » impossibles à énumérer ici… La distribution vocale est très homogène, ardente, d’une clarté de diction exemplaire, et l’on peut mettre au compte de l’exaltation les rares défaillances comme certains aigus un peu forcés chez Emma/Juliane Banse, par ailleurs très subtile. Le Fierrabras de Jonas Kaufman, élément fort de la scène zurichoise, dévoile un timbre splendide, avec de beaux graves, et une belle interprétation du personnage. Splendide et vaillant Roland de Michael Volle, et très belle incarnation tant dramatique que vocale par Christoph Strehl d’un Eginhard idéaliste et exalté par son amour pour Emma.

A découvrir absolument.


Sophie ROUGHOL



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