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Renée FLEMING
LOVE SUBLIME
Brad Mehldau
Sept mélodies d’après « The Book of Hours : Love Poems to God »
(poèmes de Rainer Maria Rilke)
Trois mélodies d’après « The Blue Estuaries »
(poèmes de Louise Bogan)
Love Sublime (poème de Fleurine)
Renée Fleming (soprano)
Brad Mehldau (compositeur, pianiste)
Nonesuch 7559-79952-2 (1 CD)
Mon Dieu, mais quelle voix !
Tout ce que l’on peut parfois reprocher à la grande
soprano américaine Renée Fleming, son style souvent
sirupeux, son timbre double-crème, cette façon de phraser
comme si la voix se faisait chewing-gum – qualités sans
doute peu recommandables pour incarner les héroïnes de
Bellini, même si cela peut, bien canalisé, seoir à
Massenet ou à Strauss – se trouve ici sublimé. Les
détracteurs de la diva peuvent crier au scandale, ses admirateurs
aussi. Le fait est : elle n’a peut-être jamais
laissé témoignage plus accompli, l’émotion
la plus poignante se dégageant de chaque note, de chaque son de
son divin gosier.
Ce n’est pas que la musique du jeune jazzman
américain Brad Mehldau bouleverse notre horizon musical. Mais
dans un style le plus souvent à mi-chemin entre
l’élégie et la ballade, ce génial
improvisateur dompte ici son art pour servir quelques poèmes de
Rilke tirés de son Livre d’heures (1899-1903).
Le poète y était à la recherche d’une
expression nouvelle, prose poétique où l’impalpable
se donne à sentir, où l’indicible se fait chant.
Mehldau suscite des paysages remarquables, invitant l’âme
à des pérégrinations obliques, loin de toute
illustration, de toute paraphrase. « Your first word was
light » : c’est par ces mots que le compositeur
choisit d’ouvrir son cycle. Inutile de préciser que la
lumière douce de la voix de Renée Fleming, lançant
la mélodie a cappella,
est la matérialisation même de l’immanence du texte.
Certes, on a parfois l’impression d’entendre – quand
le piano se met en avant – quelques réminiscences à
la Michel Legrand (structure rythmico-harmonique de
l’introduction de « The hour is striking so close
above me »), mais l’ensemble vaut mieux que la plupart
des musiques que l’on nous assène à coup de
manifestes modernistes, musiques pour l’esprit plutôt que
pour l’oreille.
Les puristes pourront s’offusquer que
l’on ne mette pas Rilke en musique dans son original allemand,
mais avouons-le : cette musique, ce style vocal, seul
l’anglais pouvait les (sup)porter ainsi. Certes l’original
a davantage de force, les angles y sont aigus, rendant avec
âpreté les interrogations du jeune poète face
à ce pan mystique de lui-même qu’il désire et
rejette à la fois, folie qui aide l’homme à
s’élever, mais folie tout de même –
« Qui veut faire l’ange fait la
bête », disait Pascal. Ici, c’est par la
langueur, par la morbidezza,
la rotondité charnue de la mélodie, de la ligne vocale et
de la voix elle-même, que tout se dit. « Extinguish my
eyes, I’ll go on seeing you / Seal my ears, I’ll go on
hearing you » : cette ultime étape, avec son
balancement de mer calme, son pas tendrement allant, clôt le
cycle sur un véritable chef-d’œuvre. Les trois
mélodies sur des poèmes de The Blue Estuaries
n’ont pas la même force, mais sont peut-être plus
flatteuses encore pour la soprano.
L’œuvre de
l’Américaine Louise Bogan (1897-1970) n’est pas des
plus connues, de côté-ci de l’Atlantique du moins.
Sa poésie, d’une grande rigueur formelle, refuse les jeux
expansifs de son quasi contemporain T.S Eliot. Son monde est celui de
la miniature, se concentrant sur une idée, une image.
C’est aussi ce que fait le piano de Brad Mehldau.
Quant au
dernier titre de cet album, ce Love Sublime
qui lui donne son nom, c’est une mélodie que le
compositeur a écrite sur un poème de son épouse.
L’inspiration est ici tout autre : c’est vers Chopin
que l’on se tourne, avec des phrases simples et caressantes, et
une tonalité beaucoup plus évidemment prégnante
que dans les deux cycles précédents. « Free
from time we’ll spread our wings and lit with love, I’ll
fly with you… Die close to you ». On comprend que
certains puissent détester au plus haut degré (comme
à Classica, où l’on parle même de vide et de
prétention). Mais ce disque, après les hauts et les bas
de son récent Haunted Hearts (Decca), ne saurait laisser indifférent.
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