Andreas Scholl
WAYFARING STRANGER
Folksongs anglo-saxones
I am a poor wayfaring Stranger
; The Salley Gardens ;
My Love is like a red, red Rose
; Wild Mountain Thyme ;
Henry Martin ; Charming Beauty
Bright ;
I will give my Love an Apple
; She moved through the Fair ;
Blow the Wind southerly ; The
Wife of Usher's Well ;
I loved a Lass; Pretty Saro ;
Down in yon Forest ;
Barbara Allen ; The wraggle taggle
Gypsies, O ! ;
Annie Laurie ; Black is the Color
;
Lied from Mississippi *; Heil
Dir, Columbus *
*(uniquement dans l'édition
allemande)
Andreas SCHOLL, contre-ténor,
*arrangement
Edin Karamazov, luth
Jon Pickow, dulcimer et
banjo
Stacey Shames, harpe
Craig Leon, orgue et arrangement
ORPHEUS CHAMBER ORCHESTRA
1 CD DECCA 468-499-2 (édition
allemande)
TT: 69'20
(74'24 au total en
incluant les deux bonus tracks figurant sur l'édition allemande).
Enregistré
les 16 et 17 mai 2001
au Recital Hall du
Performing Arts Center,
Purchage College,
State University of New York.
Attention
! Deux éditions, deux présentations radicalement différentes:
alors que l'édition "internationale" montre une couverture assez
kitsch, sorte de collage où un Andreas Scholl aux airs de Teletubbie
baroque, déambulant d'un air légèrement abruti au
milieu d'arbres en papier, ferait figure de "Oui-Oui au pays des Folksongs",
l'édition "allemande", par ailleurs plus longue (car augmentée
de deux songs en allemand arrangées par Scholl soi-même) et
moins onéreuse (un comble !), bénéficie d'une couverture
à la fois plus sobre et de bien meilleur goût, Scholl posant
simplement près d'une fenêtre (son alliance bien en évidence),
le regard perdu dans le lointain (contemplant sans doute sa bien-aimée
traversant la foire?), enfin, bref, c'est beaucoup plus "klasse". La différence
d'atmosphère est édifiante. Autre différence: l'édition
allemande présente en fin d'album deux plages inédites, Lied
vom Mississippi et Heil Dir, Columbus, autrement dit deux Volkslieder
nés de l'émigration allemande au Texas au milieu du XIX°,
arrangés par Scholl lui-même. Et en plus, c'est 2,50 Euros
moins cher ! Quoi qu'il en soit, la présentation en "digipack" cartonné
est agréable, et le livret d'accompagnement , offrant les textes
originaux des songs avec traductions allemande et française agrémentés
d'annotations de Craig Leon au sujet de leur genèse et leur parcours
et précédés par un texte de présentation du
même Craig Leon, est fort intéressant.
Born too late
Voici donc, depuis le temps qu'on nous en parlait, après un très
joli Heroes et un non moins plaisant Musicall Banquet,
le premier album cross-over du contre-ténor le plus médiatisé
de sa génération, le "Clark Kent du classique" comme l'avait
surnommé je ne sais quel magazine anglo-saxon. Non pas un album
pop de son cru comme il l'avait laissé entendre à maintes
reprises (mais cela ne saurait tarder) - mais un recueil de folksongs anglo-saxones,
pour la plupart d'origine anglaise, écossaise ou irlandaise puis
phagocytées par le melting pot états-unien, arrangées
pour la plupart pour orchestre symphonique par un producteur de pop music,
justement, et compositeur de cinéma, Craig Leon. Craig Leon qui
s'explique dans le texte de présentation du livret d'accompagnement
sur leur démarche: interpréter ces songs, d'une part abordées
par Scholl "par le truchement du classique" (sic - I will give my Love
an Apple, notamment, figurait déjà sur son album de Lute
Songs paru chez Harmonia Mundi il y a quelques années),
d'autre part connues de Leon depuis toujours comme des chants populaires
américains, les interpréter donc dans la lignée d'une
tradition populaire mais dans une sensibilité moderne (si j'ai bien
suivi). D'où un accompagnement orchestral convoquant aussi bien
petites percussions (triangle, wind chimes, mark tree si mes oreilles ne
m'abusent) et banjo qu'harpe celtique, luth, dulcimer et orgue.
Deux attitudes dès lors s'offrent à l'auditeur, suivant
qu'il accepte ou non cette démarche: soit on est dès le départ
implacablement irrité par les flots de cordes (parfois il est vrai
quasi-hollywoodiens, on aime ou on n'aime pas) de I am a poor wayfaring
Stranger, et alors mieux vaut laisser tout de suite le disque de côté,
ce que ne manqueront pas de faire certains je suppose, soit au contraire
on se laisse hypnotiser par le chant radieux du bel Andreas, dont le timbre
n'a jamais été aussi troublant qu'en compagnie du luth sibyllin
d'Edin Karamazov et de la harpe énigmatique de Stacey Shames dans
She
moved through the Fair , sommet à mon avis (ah, les "It will
not be long, lo-o-ove, ti-i-ill our weddin' dayyyyy ..." sussurrés
par le fantôme de la bien-aimée !) de cet album plein de séduction
pour qui sait se faire plaisir simplement, sans se prendre la tête,
et en faisant abstraction des habituelles contingences d'étiquettes
stylistiques (mais quoi de plus irritant justement que les étiquettes
!) ; il va sans dire que j'ai en ce qui me concerne immédiatement,
spontanément (et même inconsciemment) adopté cette
dernière position.
Bon, évidemment, il reste une troisième option : se remémorer
Woodstock, Joan Baez et sa guitare sèche, et plonger dans la nostalgie
- ce qui débouche là aussi sur deux attitudes : le "ohlàlà,
qu'est-ce que c'était mieux avant !", ou le : "waw, c'est bien,
il a l'intelligence de ne pas refaire ce qui a déjà été
fait avant !". Ne me demandez pas où je me situe, je n'ai pas d'avis,
je suis trop jeune et n'ai connu ni Woodstock, ni Joan Baez, ni sa guitare
sèche. Quant à Andreas Scholl, gageons qu'il ne sopranisait
même pas encore à cette époque-là ...
Mais, quelle que soit votre réaction, et même si vous ne
succombez pas au charme de la Charming Beauty Bright ou des wraggle
taggle Gypsies, O ! il y a une chose que vous serez obligés
d'admettre: Scholl "sent" merveilleusement cette musique, qu'il s'approprie
avec une sobriété et une élégance remarquables
(et dans un anglais parfait). Qu'ils soient d'inspiration courtoise (My
Love is like a red red Rose, I will give my Love an Apple, Annie Laurie,
Barbara Allen ...), mystique (I am a poor wayfaring Stranger, Down
in yon Forest), gothique (She moved through the Fair, The Wife of
Usher's Well), épique (Henry Martin) ou encore optimiste
et effrontément libertaire (Lied vom Mississippi , The wraggle
taggle Gypsies, O !), le contre-ténor fait siens ces (très
beaux) poèmes, nous les livrant avec délicatesse et goût,
comme de précieuses gravures ou tapisseries, superbement aidé
en cela par l'écrin créé autour de sa voix par Craig
Leon, dont on appréciera particulièrement les arrangements
intimistes de She moved through the Fair, The Wife of Usher's Well, ou
encore Annie Laurie, mais également l'orchestration raffinée
et sensible de The wraggle taggle Gypsies, O !, My Love is like a red,
red Rose, Wild Moutain Thyme, et Charming Beauty Bright , aussi
bien que les commentaires tendrement chambristes d'un quatuor à
cordes dans Barbara Allen et I will give my Love an Apple.
On est totalement envoûté par l'art du contre-ténor,
par ces sons filés, cette pureté de la ligne de chant, cette
grâce de la déploration ou de l'éloge de l'être
aimé - et l'on se délecte du jeu de réponses entre
voix "naturelle", pardon, de baryton devrais-je dire et d'alto dans Henry
Martin et les Gypsies. On savait le chanteur allemand
doté de séduisants graves barytonnants (entendus dans Heroes),
on découvre à présent avec plaisir et curiosité
une voix légère de baryton - certes ici uniquement chantonnée
et non utilisée à plein régime - agréablement
colorée. Certes, diront certains - et la couverture annonce de ce
point de vue la couleur -, tout ceci manque singulièrement de chaleur,
d'engagement, de "tripes" ... Mais quoi de plus émouvant, justement,
dans ces pièces, que la poignante pudeur, voire le détachement
résigné adoptés ici par le contre-ténor ?
Les musiciens de l'Orpheus Chamber Orchestra, dont les expériences
sans chef peuvent parfois, dans d'autres répertoires, laisser sceptique,
se montrent par ailleurs excellents, parfaitement en phase avec le soliste;
les timbres (notamment côté cordes !) sont luxueusement mis
à profit et leur écoute mutuelle, remarquable, est un atout
de taille dans la situation présente. Leur accompagnement attentif
se pare par moments de sonorités "populaires" dans le meilleur sens
du terme, franches et joviales (mais jamais racoleuses), tout à
fait bienvenues. Quant au luth d'Edin Karamazov, il est idéalement
mystérieux et impalpable, ondulant comme un voile de gaze dans la
brise d'un soir d'été.
En résumé, voilà un bien joli disque, qui certes
ne casse pas trois pattes à un canard, mais s'avère d'une
poésie et d'une élégance raffinées et lancinantes.
À écouter un beau dimanche d'hiver ensoleillé en contemplant
le ciel bleu et les dorures du soleil sur les arbres ... sans (oui, je
sais, je me répète) trop se prendre la tête.
Et tant pis pour les nostalgiques de Joan Baez.
Mathilde Bouhon
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