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Jacques Rouché, l’homme qui sauva l’Opéra de Paris

Dominique Garban


Somogy, Editions d’art (www.somogy.net)
Juin 2007 – 240 pages




Un itinéraire exceptionnel


S’il y avait, comme pour les fruits et les légumes, une saison pour les livres alors, « Jacques Rouché, l’homme qui sauva l’Opéra de Paris » appartiendrait plus à l’hiver qu’à l’été bien qu’il ait choisi le mois de juin pour paraître. A cent lieux du roman de plage qu’on laisse traîner dans le sable et qu’on oublie sur son lieu de vacances le jour du départ, le livre de Dominique Garban tient de l’objet d’art, celui qu’on trouve emballé et ficelé au pied du sapin le matin de Noël. Il suffit d’en juger par l’aspect – grand format, couverture cartonnée, papier glacé – par la richesse et la qualité des illustrations – une au moins par page – et par la façon dont l’auteur aborde le sujet, non pas à la manière d’un biographe, en racontant une histoire, mais comme un essai où chaque chapitre dévoile un pan d’une personnalité dont la richesse fascine.

Car Jacques Rouché ne se contenta pas d’être le directeur de l’Opéra de Paris durant plus de trente ans - ce qui constitue déjà un record – il fut aussi haut fonctionnaire, chef d’entreprise, mécène, metteur en scène, dramaturge... Dominique Garban compose le portrait de cet homme hors du commun en choisissant cinq de ses nombreux visages.

L’ami des écrivains, pour commencer, celui qui après avoir lui-même écrit une poignée de pièces de théâtre, se retrouve en 1906 à la tête de La Grande Revue et côtoie alors les plus grands auteurs de son époque (Gide, Suarès; Rolland, Alain-Founier…) qu’il réunit autour d’une table chaque mercredi en compagnie de journalistes, hommes politiques, comédiens, musiciens, peintres au point de faire dire à Jean Cocteau « S’il fallait faire la liste des artistes que Jacques Rouché a aidés, encouragés, propulsés sur le devant de la scène, un dictionnaire n’y suffirait pas ».

Le passionné de théâtre, ensuite, écarté des planches par son tempérament, trop modeste, et par un père autoritaire qui tenait à ce qu’il devienne comme lui polytechnicien. A défaut, son mariage avec une riche héritière et son sens des affaires lui apportent une fortune qu’il utilise pour renouer avec la scène en devenant directeur du Théâtre des Arts au printemps 1910 puis de l’Opéra de Paris quatre ans après. Là, il rompt avec la tradition, fait appel à de grands artistes pour réaliser les décors et privilégie les innovations scéniques. Sa recherche de l’harmonie entre le caractère d’une œuvre et sa représentation pose les fondements de la scénographie moderne.

Le mélomane averti, pionnier de la renaissance baroque et promoteur des musiciens de son époque : Sauguet, Roussel, Poulenc, Dukas, Honegger, Schmitt, Hahn, etc. A raison de 7 ou 8 nouvelles créations par an, l’Opéra de Paris connaît sous sa direction une activité créatrice inégalée.


L’amateur de danse, le premier en France à tenter de restaurer l’art du ballet sur les modèles des Russes. Son association avec Serge Lifar, nommé maître à danser en 1929, porte l’Opéra de Paris au firmament.

L’entrepreneur avisé enfin, qui après avoir fait ses classes dans les ministères, reprend l’affaire de son beau-père, les parfums L.-T. Piver, et lui donne un nouvel élan en démontrant là encore son audace et son intelligence. Il s’entoure de chimistes compétents avec lesquels il développe l’usage de la molécule aromatique de synthèse, moins onéreuse que les essences naturelles, déploie son réseau de succursales dans le monde entier, invente, innove jusqu’à faire d’une entreprise désuète un modèle de modernité. Riche à millions, il peut alors mettre ces mêmes compétences au service d’un monde qui lui tient plus à cœur, le monde des arts, et devenir « un mécène éclectique cultivant l’art des rencontres ».

Evidemment, l’approche morcelée du personnage pose dans le livre le problème des redites. Certains traits communs se retrouvent d’un visage à l’autre ce qui inévitablement engendre les répétitions. Comme expliqué en préambule, l’ouvrage n’est pas à dévorer d’une traite, plutôt à picorer, un chapitre par ci, une image par là (signalons au passage les très belles planches de maquettes, de costumes et de décors). Le texte aéré, la prose claire et rapide facilitent la lecture ; la chronologie détaillée à la fin du volume aide à recomposer le puzzle.

L’épilogue auparavant délaisse l’homme public pour décrire de manière touchante le caractère complexe de Jacques Rouché : timide voire taciturne, organisé, généreux mais doté d’un humour caustique qui pouvait être blessant, discret avant tout au point de demander à ses filles de ne rien faire paraître après sa mort. Ses dernières volontés furent respectées : un mutisme total suivit sa disparition. Dominique Garban brise aujourd’hui le silence ; qu’il en soit remercié.


Christophe RIZOUD

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