Matthias
Goerne
Arias
Airs et duos de
Mozart (Die Zauberflöte*, Le Nozze di Figaro*, Don Giovanni),
Wagner (Tannhaüser),
Schumann (Szenen aus Goethes Faust),
Humperdinck (Königskinder°),
Strauss (Ariadne
auf Naxos**),
Korngold (Die tote
Stadt), Berg (Wozzeck*).
*avec Dorothea Röschmann,
soprano
**Voix de femmes
du Chúur de la Radio Suédoise
Chúur d'enfants
de l'Académie de musique Adolf Fredriks
Orchestre Symphonique
de la Radio Suédoise
Manfred Honeck,
direction
1 CD DECCA 467 263-2.
TT: 56'05
Enregistré
au Berwaldhallen de Stockholm en mai et septembre 2000.
Texte de présentation
intéressant et bien ficelé. Textes originaux des arias et
duos en allemand et italien avec traductions française, anglaise
et allemande.
Der Opersänger
ist er ja !
Jusqu'ici, au disque, Matthias
Goerne avait brillé dans le domaine du lied (notamment avec un passionnant
Hollywooder Liederbuch de Hanns Eisler, sombre et pessimiste à souhait),
voire de l'oratorio... et pour juger de son talent opératique, eh
bien ma foi les enfants, il fallait y mettre du sien et aller à
Salzbourg, au Met ou où sais-je encore.
Heureusement, Decca a eu l'excellente
idée d'inclure dans son cahier des charges un récital façon
carte de visite intégrant la crème de la littérature
opératico-barytonienne. Et de prendre comme guest-star la (allez,
ne lésinons pas sur le terme) géniale soprano Dorothea Röschmann
pour une poignée de duos avec le grand Matthias.
Le résultat ? En majeure
partie très convaincant. Bien sûr, à première
vue, lorsque l'on lance la lecture du cd, on se dit "mais enfin Matthias,
quel besoin avais-tu d'enregistrer des tubes tels que der Vogelfänger
bin ich ja ou Hai già vinta la causa???"(si si, je vous jure, même
une amoureuse transie de Goerne comme moi a vu cette question lui traverser
l'esprit en écoutant le disque en boutique avant de l'acheter).
Et puis à peine a-t'on eu le temps de se poser cette question et
de commencer à élaborer des réponses ("mais parce
que ce n'est pas évident de trouver des airs permettant au baryton
de briller" ou "après tout il a fait sensation en Papageno à
Salzbourg", ou encore "peut-être tout simplement qu'il en a assez
de passer ses soirées à égorger Marie et que de temps
à autre il aimerait bien draguer Susanna à la place") tout
en se disant que finalement son Papageno est drôlement sympathique,
débrouillard et débonnaire à souhait, surtout en si
bonne compagnie (délicieuse Pamina de Dorothea Röschmann...)
que viennent les véritables raisons de jeter une oreille à
cet enregistrement: les raretés. Une méditation du Faust
de Schumann, une exhortation du ménestrel des Königskinder
de Humperdinck, et surtout une rêverie de Fritz tirée de Die
tote Stadt nous rappellent qu'il n'y a décidément pas que
Mozart, Strauss, Wagner et l'école de Vienne dans la vie musicale
germanophone...
Goerne fait preuve dans ces pages
d'un charisme et d'une musicalité en parfaite adéquation
avec leur écriture - son Faust se fait humaniste visionnaire, son
Spielmann leader fatigué mais à l'espérance tenace,
son Fritz saltimbanque rêveur, romantique et plein de nostalgie.
Mais c'est sans doute encore Wozzeck
qui le trouve le plus à son aise: véhément et inquiet,
lucide et pourtant complêment halluciné, rarement le soldat
maladif aura paru dans le même temps un aussi "armer Kerl" (pauvre
type) et cependant si terrifiant - un vrai psychopathe au moment de frapper
Marie. Un psychopathe à la voix de chouette effraie se penchant
sur le cadavre de sa victime avant de prendre la fuite -"Tot!" surprenant,
d'une sonorité profonde et creuse, telle un grave d'orgue à
bouche, ou un harmonique moyen de contrebasse.
Une sonorité tellement
inouïe que l'on a du mal à croire qu'elle est produite par
celui-là même qui pare Harlekin de couleur si douces et rassurantes,
quoique teintées de juste ce qu'il faut de mélancolie - clown
mi-gai mi-triste, exhortant Ariane au bonheur avec comme un soupçon
de nostalgie dans son éloquence; et en dépit de son costume
bigarré, c'est un rayon de lune bleuté qui vient alors nimber
cet Harlekin d'un charme et d'une élégance idéalement
discrets, faisant de sa (si courte) chanson un instant de grâce (je
sais, l'expression est galvaudée, mais qu'y puis-je?) d'une suavité
et d'une sérénité enchanteresses.
Ajoutons à cela que l'écoute
de Goerne dans ce répertoire est, cela va sans dire, un véritable
régal pour l'auditeur germanophone, tant ce disciple de Fischer-Dieskau
semble prendre plaisir à mettre en valeur chaque mot, chaque syllabe,
en parfait comédien et diseur qu'il est. "Rausch und Not, Wahn und
Glück: ach, das ist Gauklers Geschick..." ("Ivresse et détresse,
folie et bonheur: ah, c'est le destin du saltimbanque...") nous dit Fritz;
ce pourrait être la profession de foi de Goerne, tant sa palette
émotionnelle et expressive, somptueusement servie par une voix impressionnante,
est étendue et variée.
S'il fallait réellement
chercher des poux dans la tête du baryton (tâche bien vaine
au vu de sa coupe de cheveux), ce serait sur les extraits des Noces et
de Don Giovanni que pourraient se porter les réserves éventuelles
- il est vrai que l'on a entendu des Comtes plus antipathiques et cyniques,
des Don Giovanni plus fatalement séduisants, plus torrides ou plus
bestiaux. Mais la sérénade du séducteur de Séville
n'en est pas moins agréable, et la grande scène de paranoïa
du Comte est assez réussie, en dépit d'un certain manque
d'agilité; et le frétillement moral agitant Almaviva sur
"e giubilar mi fa" est assez sympathique: ce pauvre Comte-là est
décidément bien déstabilisé par le charme mutin
de Susanna... Et puis, le "Crudel! perché finora" nous offre tout
de même un bien joli cadeau: l'intervention de Dorothea Röschmann
- dont la prestation au Staatsoper de Berlin (captée en vidéo)
nous a prouvé récemment qu'elle était la plus irrésistiblement
espiègle mais aussi la plus sensuelle des Susanna (je serais bien
tentée de dire "la Susanna absolue", mais je sais parfaitement que
l'on va rétorquer que mon avis ne compte pas puisque de toute façon
j'adore cette chanteuse...) - véritable cerise sur le gâteau
que constitue ce très beau récital... Il serait franchement
indécent de s'en plaindre.
PS: Petite question qui ne mange
pas de pain: tant qu'à avoir Dorothea Röschmann sous la main,
pourquoi ne pas avoir enregistré La ci darem la mano ? Cela
serait rentré sans problème dans le minutage un peu mesquin
de cet album... Et puis, Röschmann en Zerlina... ça fait rêver...
Mathilde Bouhon
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