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« C’est l’opéra qu’on assassine ! »
La mise en scène en question
Jean Goury
L’Harmattan, Paris, 131 pages, 2007.
Halte au massacre
L’opéra est un genre mort, affirme Jean Goury. Nous
souscrivons, hélas. Mais ce genre, cela n’empêche
pas que nous l’aimions, comme nous aimons – et tendrement
– la tragédie classique, le sonnet,
l’épopée en vers, les ortolans et tant
d’autres bonheurs abolis ; et que nous voulions
protéger sa dépouille avec fidélité.
Ce grand cadavre, pourtant, est piétiné sous nos yeux.
L’âme des musiciens est trahie, et leur œuvre
défigurée. Les sacrilèges ont nom
« metteurs en scène ». Jean Goury instruit
leur procès.
Certes, il n’est pas le premier. Voyez La Malscène, de
Philippe Beaussant. Mais sa méthode est originale, un peu
glaçante aussi. Se gardant d’entrer dans les discussions
aussi oiseuses que théoriques où les champions de
l’embrouillamini conceptuel auront toujours le dessus, il se
contente de décrire minutieusement le travail des
accusés.
Après un bref historique montrant bien qu’il fallait, tout
de même, injecter un peu de théâtre dans
l’opéra, et énumérant les réussites
en la matière, souvent grâce aux inventions de la
scène théâtrale, Jena Goury ouvre la galerie des
horreurs.
Londres, Genève, Paris, Zurich, Salzbourg : ils sont tous
là, avec leur cohorte de prétentions et la fumée
de leur sabir. Sans musique, sans photos, sans charabia, la description
soudain clinique de ces mises en scène fait froid dans le dos
comme le rapport d’autopsie d’une victime de Jack
L’Eventreur. L’on en vient même à penser que
certains metteurs en scène, si désireux de
dilacérer les œuvres, durent leur seul salut à la
robuste constitution de leur victime désignée, tant il
est vrai que les tortures qu’ils lui infligèrent sont
dépourvues de sens et auraient dû tout simplement les
désigner à la vindicte du bon peuple –
heureusement, Mozart, Beethoven, Verdi permettaient encore que soit
admis ce qui aurait dû être conspué (et parfois le
fut).
Le ton de Jean Goury, indigné, cinglant ou seulement ironique,
n’atténue pas la violence crue du catalogue monstrueux
qu’il dresse.
Quelques menues réserves, peut-être. D’abord, le
livre n’étant pas une thèse de doctorat,
l’auteur est allé chercher dans le plus évident, le
plus connu, et parfois le moins discuté : certaines portes
ici étaient déjà ouvertes.
En outre, il faut bien admettre que certains modernistes
patentés ont apporté à l’opéra une
contribution historique. Patrice Chéreau, si aimé de
l’auteur, les représente tous, mais ils sont nombreux et
divers ceux qui surent dans l’opéra retrouver le
théâtre – il est trop peu question ici de Luc Bondy,
Harry Kupfer, Achim Freyer et tant d’autres. Il va de soi
également que bien des metteurs en scène
prétendument respectueux des œuvres n’offrirent
jamais que d’infâmes brouets tièdes, ou des
boursouflures inanes (Zeffirelli).
Mais le manque de place condamnait l’auteur à ne pas
sortir trop de la lourde tâche qu’il s’était
assignée. Là où en revanche nous marquerons notre
désaccord, c’est avec sa conclusion : l’auteur,
si pessimiste, fait mine de croire que ces mises en scène
constituent un effet de mode dont la fin est proche, et que la musique
va bientôt « reprendre ses droits ».
Nous n’en croyons rien. Nous ne voyons pas émerger les
chanteurs ni les chefs, ni surtout les directeurs de
théâtre, qui auront la stature suffisante pour tenir
tête à ces ayatollahs. Du reste, les plus grands ont
déjà mis genou en terre devant la toute-puissance des
régisseurs, à commencer par l’intraitable Muti,
compromis dans d’abominables Mozart. Si eux ont
cédé, pourquoi les autres tiendraient-ils
tête ? Et quelle conception opposeront-ils ?
Non, ce que nous voyons venir, c’est le moment où le
Regisseurtheater va tomber dans le domaine public, et être
copié de mille crétins pires encore que leurs
maîtres. Aussi bas soit-on tombé, nous tombâmes du
fait de provocateurs parfois géniaux. Moins scandaleux, moins
rusés, leurs successeurs reprendront les tics
jusqu’à plus soif. Ils ont déjà
commencé. Voici venir le temps des épigones. Nous
n’avons pas fini de souffrir !
Sylvain FORT
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