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Hans Werner Henze (1926-)
BOULEVARD SOLITUDE
opéra en sept tableaux
Manon Lescaut : Laura Aikin
Armand Des Grieux : Pär Lindskog
Lescaut : Tom Fox
Lilaque le père Hubert Delamboye
Lilaque le fils : Paul Putnins
Francis : Marc Canturri
Serviteur : Basil Patton
Choeur de chambre du Palais de la musique catalane
Orchestre symphonique du Grand Théâtre du Liceu
Direction Zoltan Pesko
Mise en scène Nikolaus Lehnhoff
Live mars 2007 Liceu Barcelona
DVD Gran teatre del Liceu / Euroarts
Manon Lescaut sur Sunset Boulevard
Si la question des captations vidéo peut paraître parfois aléatoire, il y en a qui vont de soi. Le Grand Théâtre du Liceu
de Barcelone ne pouvait passer à côté de ce moment
historique que représentait la première exécution
sur le sol espagnol de Boulevard solitude, de Henze.
Composé à Paris entre 1950 et 1951, créé
à Hanovre en février 1952, cette première
œuvre lyrique s'avère déterminante pour son auteur,
toujours en activité. Librement inspiré de l'histoire de
Manon Lescaut, transposée dans le Paris de l'après-guerre
et de l'existentialisme naissant, dont l'atmosphère est
parfaitement restituée, Boulevard solitude
est accueilli avec enthousiasme. Henze, grâce à des
finesses de ton, à une très habile utilisation de
l'harmonie et à des particularités vocales (du registre
parlé, aux grands arias) émaillées de citations
pucciniennes, au jazz et à Weill, parvient à rendre
accessible à un large public le dodécaphonisme toujours
en vogue à cette époque, tout en affirmant qu'il ne
s'agit pas d'une simple spéculation intellectuelle. Fort de ce
succès, Henze ne cessera de revenir à cette forme
musicale, du Roi cerf (1956), en passant par Les Bassarides
(1966), jusqu'à sa dernière création
présentée à la Monnaie de Bruxelles en septembre
dernier, Phaedra, qui succédait de peu à L’Upupa (Salzbourg 2003).
Remontée pour l'événement, la production de Nikolaus Lehnoff,
présentée au Convent Garden de Londres en 2001, fait
toujours sensation. La réussite pourrait n'être que
visuelle, tant les décors conçus par Tobias Hoheisel impressionnent.
Un immense hall de gare traversé en tout sens par une foule
agitée, dominé par un monumental escalier, se transforme
à vue par d'astucieuses manipulations, en une mansarde, une
chambre luxueuse, une bibliothèque, ou un cabaret. Par ce
truchement, les sept tableaux sont inextricablement liés les uns
aux autres, comme au cinéma par le recours de fondus
enchaînés, le retour de la gare pendant les
intermèdes orchestraux étant utilisé comme un
leitmotiv.
Objet de toutes les convoitises, monnaie d'échange, proie facile
ballottée entre l'amour simple et absolu que lui voue Armand,
l'amour intéressé de son frère, Lescaut, et
l'amour-rivalité que lui portent les Lilaque père et
fils, Manon est la figure centrale de l'oeuvre. La soprano
américaine Laura Aikin, créatrice de la Princesse Badi’at de L’Upupa,
triomphe aisément de l'écriture haut perché
réservée à cette Manon (proche en cela de la Lulu
de Berg) qu'elle chante d'une voix soyeuse et limpide,
agrémentée de longs et d’impalpables "filati".
Vêtue de somptueuses toilettes, ou en simple
guêpière (voilà une cantatrice qui n'a pas froid
aux yeux), son personnage évolue avec le plus grand naturel dans
les situations les plus extrêmes, en conservant sa candeur
jusqu'au final, où Armand la guette escortée par des
policiers. Le ténor Pär Lindskog
joue et chante également avec une déconcertante
facilité. Son Armand (rôle qu'il tenait déjà
en 2001) torturé, naïf dans ses élans amoureux et
l'ascendant sexuel qu'il pense exercer sur sa maîtresse, est
d'une grande justesse, même si son timbre de voix n'est pas des
plus séduisants. L'instrument de Tom Fox
(Lescaut) est bien altéré, mais son baryton
éprouvé par la vie, convient à ce frère
cauteleux, capable de voler ou de vendre sa soeur pour survivre. Hubert Delamboye (Lilaque père) et Pauls Putnins (Lilaque fils) eux aussi subtilement dirigés, composent de saisissantes silhouettes.
La présence du compositeur dans l'assistance, longuement
acclamé à l'issue de la représentation, a
sûrement été vécue par les musiciens de
l'orchestre et leur chef, comme un honneur et une source
supplémentaire d'émulation. Captivante et
contrôlée dans les moindres détails, la lecture au
lyrisme foisonnant de Zoltan Pesko, est un exemple de clarté et de cohésion dramatique.
A en juger l'accueil obtenu au rideau final, ce document réalisé avec soin est à posséder.
François LESUEUR
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