Zoltán KODÁLY
( 1882-1967)
Háry
János
Fable lyrique en un prologue et
cinq parties
Livret de Florian Zeller d'après
la pièce de Belá Paulini et Zsolt Harsányi
Háry : Gérard Depardieu
(récitant) & Béla Perencz (baryton)
Ilka : Nora Gubisch (mezzo-soprano)
L'Impératrice : Zita Váradi
(soprano)
Napoléon : Eric Freulon
(basse)
Marie-Louise : Lucia M.Schwartz
(mezzo-soprano)
Marci : István Rozsos
(baryton)
L'étudiant : Micha Lescot
(récitant)
Chefs de chant : Anne Pagès
/ Mari Laurila-Lili
Choeur de l'Opéra national
de Montpellier
Chef de choeur : Christophe Talmont
Choeur d'enfants Opéra
Junior
Chef de choeur : Valérie
Sainte-Agathe
Orchestre National de Montpellier
Direction : Friedemann Layer
2CD Accord n° 476 8474
Enregistrement live à
l'Opéra Berlioz-Le Corum de Montpellier
le 14 mai 2004
En juillet 2002, le Festival Radio-France de Montpellier présentait
en recréation française le "Háry János" de
Zoltán Kodály en version scénique dans la mise en
espace de Jean-Paul Scarpitta. Un joli spectacle qui avait attiré
les foules car Gérard Depardieu en était la star. Dans le
cadre des reprises suivantes à Paris et Montpellier en 2004, avec
une distribution vocale légèrement différentes, il
fut enregistré et vient d'être publié dans le cadre
de la collection Accord/EUTERP., qui permet d'entendre nombre de raretés
lyriques dont René Koering s'est fait le champion.
Davantage musique de scène ou théâtre musical qu'opéra,
"Háry János" est l'un des fleurons de la musique lyrique
hongroise du début du 20e siècle, quoiqu'il suscita lors
de sa création en 1926 autant d'acclamations que de huées.
Se voulant avant-gardiste à l'instar de ses compatriotes (Weiner,
Dohnányi, Bartok), Zoltán Kodály a rompu avec les
maîtres allemands et autrichiens alors en vogue, en créant
son propre langage, et pensait que son "Háry János" était
le symbole du pouvoir du folklore qui transcende la frustration politique.
Il est en ce sens, une sorte de père spirituel pour Kurt Weill,
futur fondateur du théâtre musical abouti, dont le succès
ne se dément pas.
Populaire en Hongrie, certainement par les nombreuses allusions du compositeur
aux chansons populaires locales, et le message d'espoir qu'il délivre
: "Nous nous inventerons des prophètes [...] et nous marcherons
sur du sable doré. Je ne connais pas de vie qui ne soit une vie
de combat. Mais nous serons vainqueurs !", "Háry János" ne
sortit pourtant guère des frontières et ne devint pas un
pilier du répertoire des maisons d'opéra hors de Hongrie.
L'ouvrage connut cependant son heure de gloire à travers le monde
via la "suite" orchestrale que le compositeur écrivit par la suite.
Parmi les trente numéros musicaux de cette oeuvre, le fameux "carillon
viennois" fut par exemple, il y a un peu plus de vingt ans, l'indicatif
d'une émission matinale de France Musique... René Koering
dirigeait-il alors à la Maison de la Radio ? Peut-être...
Ceci expliquerait cela !
L'histoire fait songer irrésistiblement aux "Contes d'Hoffmann",
mais avec un discours éminemment politique. Háry, paysan
hongrois que l'on suppose vétéran de guerre, raconte dans
une taverne à un étudiant ce qu'il prétend être
sa vie passée. Mêlant espoirs déçus et faits
historiques, magie et romantisme, patriotisme et amourettes, le récit
commence par cette apostrophe de Háry János à l'étudiant
qui brocarde le portrait de Napoléon accroché au mur de la
taverne : "Napoléon, je l'ai fait prisonnier de mes propres mains
un jour ! "
La suite de récits s'ouvre à la frontière entre
la Galicie et la Russie. Háry János rencontre Ilka, une jeune
juive qui quitte la Russie avec sa famille, sans laissez-passer. Héros
d'Ilka, comme du peuple hongrois, Háry surgit à son évocation
et aide au passage de la famille. Partout où Háry János
se trouve, le printemps repousse l'hiver et sa voix enchante tous ceux
qui l'entendent. Ainsi en est-il de l'Impératrice d'Autriche-Hongrie
qui, charmée, le nomme capitaine de son armée. La France
venant de déclarer la guerre à l'empire, Háry János
est envoyé non loin de Milan où il est promu colonel. Grâce
à ses pouvoirs magiques, il repousse l'armée française
et fait prisonnier Napoléon lui-même. Fêté et
courtisé à Vienne, Háry János, le Hongrois
reconnu
par les Autrichiens, épouse enfin Ilka.
Le conte s'achève par un retour au prologue, dans l'auberge,
où le récit enchanteur d'Háry János a soulevé
l'espoir en des jours meilleurs de ses auditeurs. L'étudiant est
conscient de l'imposture, mais déclare : "Qui a dit que la vérité
était plus belle que le rêve ?". Tout est dit. Dans chaque
Hongrois un Háry János sommeille, rêvant de gloire
et de liberté pour son peuple, sa langue, ses traditions et ses
valeurs ; un Hongrois qui ne s'avouera jamais vaincu. Accepté un
joug n'est pas un renoncement, simplement une concession temporaire.
L'ouvrage est prenant par son symbolisme, moins par sa mise en forme.
Les intermèdes orchestraux ou chantés sont très courts,
et l'on peut en être agacé. Pas d'airs vraiment aboutis, pas
d'intermezzi qui ne s'arrêtent brutalement, on reste toujours un
peu sur sa faim musicale. Pourtant il s'agit là d'une partition
riche, contrastée dans l'esprit d'un Belá Bartok ou d'un
Ferenc Erkel (excellent compositeur lyrique trop peu connu en France).
Le folklore hongrois est habilement retranscrit dans de subtiles harmonies
et rythmes savants ; l'orchestration est recherchée, passant du
grand orchestre à un ensemble très réduit tout droit
sorti d'une fête de village magyar.
Dans cet enregistrement, Gérard Depardieu est particulièrement
à l'aise dans ce personnage plein de démesure. Il fait passer
de manière admirable tous les troubles de cet esprit romantique,
toutes les facettes d'un récit entre rêve et réalité,
folie et conscience. Tendre, émouvant, mais aussi insupportable,
arrogant, glorieux et dérisoire, le comédien n'en fait jamais
trop. Il fallait bien un tel acteur pour que l'auditeur reste attentif
à ces péripéties parfois fort compliquées,
ponctuées de trop courts instants de musique. Il donne une telle
ampleur au personnage qu'on ne sait plus si ce vétéran est
un héros ou un pauvre diable. Son double chantant, le baryton Béla
Perencz est moins présent, mais le compositeur, il faut être
juste, ne lui donne guère d'endroit où s'imposer. La voix
est pourtant de qualité.
Micha Lescot, l'autre comédien du plateau, tout aussi présent
que Háry puisque l'auditeur privilégié du héros,
réussit à faire sa place aux côtés de Gérard
Depardieu, avec un vrai lyrisme qui fait songer au "Printemps des peuples".
Une belle performance pour ce jeune acteur.
Peu servies en aria virtuose ou dramatique, les voix féminines
offrent de brèves mais excellentes interventions. Nora Gubisch et
Zita Váradi sont particulièrement convaincantes. Les choeurs
sont parfaits malgré la difficulté de la langue (à
noter que les parties chantées sont en hongrois et le texte parlé
en français). L'orchestre national de Montpellier se révèle
tout à fait à la hauteur de la partition, quand bien même
la direction de Friedemann Layer reste assez académique.
Enfin la prise de son est tout fait remarquable et la présentation
de grande qualité. Seul le texte de présentation du livret,
signé Martine Kaufmann est un peu confus, mêlant vie du compositeur,
histoire de la Hongrie, synopsis et considérations musicales.
Jean VERNE
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