BELLA MADRE DE' FIORI
Alessandro SCARLATTI
Cantates Bella Madre de' fiori,
Poi che riseppe Orfeo,
Correa nel seno amato
Maria Cristina KIEHR, soprano
CONCERTO SOAVE
Matthias SPAETER, archiluth ;
Mara GALASSI, harpe ;
Gaetano NASILLO, violoncelle
; Alessandro CICCOLINI,
Patrizio FOCARDI, violons
Jean-Marc AYMES, clavecin et direction
1CD Harmonia Mundi HM 901725 ;
DDD ; TT : 72'48.
Enregistré en mai et juin
2000
en la Theodor-Egel-Saal du Freiburger
Musik Forum.
Pas à pas, tranquillement, l'air de rien, Maria Cristina Kiehr
se construit chez Harmonia Mundi une discographie en solo originale et
passionnante. Après un très beau Pianto della Madonna et
un superbe
Canta la Maddalena (consacré à des lamenti
du début du XVII° siècle), voici donc que la soprano
argentine a décidé de nous offrir des cantates d'Alessandro
Scarlatti avec ses complices du Concerto Soave.
Au programme de ce nouveau récital, donc, trois cantates, que
l'on suppose pouvoir dater de la fin des années 1680 ou du début
des années 1690, et dont l'on n'est même pas certain, pour
deux d'entre elles - Bella Madre de'Fiori et Poi che riseppe
Orfeo -, qu'elles soient réellement de la main de Scarlatti
... Mais après tout, qu'importe, quand la musique en est si belle
et si raffinée ? Ces trois pièces nous content toutes des
amours contrariées par la bouche même de l'être délaissé
ou séparé de l'objet de son amour par la mort - Chloris se
lamente de l'indifférence de Philène, Orphée a perdu
son Eurydice (la cantate se termine sur un Recitativo e aria dans
lequel il résoud de partir la soustraire aux Enfers) ; quant à
Daliso, il déplore le départ d'Eurilla. Ce n'est point tant
la résolution (ou non résolution) de ces mini-intrigues qui
est traitée que l'état amoureux (forcément malheureux
et insatisfaisant), et l'aspiration à la présence, l'amour,
ou tout du moins la compassion de l'être aimé.
Sur des textes d'une poésie raffinée, Scarlatti développe
une écriture élégante, parfois surprenante, dans laquelle
certains frottements harmoniques, notamment, s'avèrent assez fascinants
(écoutez donc le premier air de Bella Madre de' Fiori, Tortorella
dai flebili accenti et les dissonances troublantes entre les deux violons!),
et la ligne vocale, limpide et hypnotique.
Pour interpréter ces miniatures précieuses, qui rêver
de mieux que Maria Cristina Kiehr ? Sa voix souple, claire, parfois à
la limite de l'androgynie - mais en même temps si latine, rayonnante
et gorgée de soleil - prête à la perfection son timbre
déroutant à ces pièces à l'expression tellement
stylisée qu'elles en deviennent presque asexuées. Superbement
entourée par un Concerto Soave inspiré, la chanteuse nous
prend par la main pour nous faire patiemment explorer les très élégants
et select affres de la passion tels que l'on pouvait les donner à
entendre en bonne société. Certes, l'humeur, le plus souvent
dépressive, qui imprègne la quasi-totalité du programme,
n'est pas sans engendrer une très légère monotonie
à l'écoute prolongée de ces cantates ; mais ce serait
faire offense aux interprètes que de ne pas leur reconnaître
un engagement qui brise finalement les réticences. Diseuse expressive
dans les longs récitatifs qui voient les héro(ïne)s
se lamenter sans fin, Maria Cristina Kiehr se transforme en poétesse
incantatoire, quasi Orphée féminin, dans des airs d'une beauté
subjugante proprement à se pâmer. On est ici très loin
du Scarlatti si fougueusement théâtral de la Griselda,
un peu plus proche en revanche de l'incroyable et fascinante expressivité
d'Il Primo Omicidio, avec ses guirlandes de violons hypnotiques.
En résumé, c'est avec ce Bella Madre de' Fiori
un beau récital, superbement abouti, qui vient compléter
l'oeuvre singulière de Maria Cristina Kiehr. Indispensable pour
les admirateurs de la chanteuse, et/ou d'Alessandro Scarlatti.
Mathilde Bouhon
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