KIRI
A portrait
Kiri Te Kanawa dans des
oeuvres de :
Bach, Bizet, Brahms, Canteloube,
Davis, Fauré, Franck, Gay, Haendel, Herbert, Kern, Korngold, LLoyd-Weber,
Loewe, Mozart, Princess Te Rangi Pai, Puccini, Rodgers, Johann Strauss,
Richard Strauss, Verdi et Villa-Lobos.
2 CD DECCA
UNIVERSAL N° 275 459
2 - mars 2004
L'ENCHANTERESSE...
Kiri Te Kanawa fait partie des artistes qui ont eu la chance d'entrer
dans la légende alors qu'ils étaient encore à leur
zénith.
En ce qui me concerne, elle est à l'origine de certains de mes
plus beaux souvenirs d'opéra et je n'oublierai jamais, à
l'instar, j'en suis sûre, de beaucoup d'autres, l'incandescente Elvira
- à la fois sauvage et veloutée - de ses débuts au
Palais Garnier dans Don Giovanni et son "historique" Arabella où,
apparaissant nimbée de lumière en haut d'un escalier, elle
fit du finale un moment de pure magie.
Que de bonheurs nous a donnés cette artiste de haut rang, et
ce, dans des rôles très divers, parmi lesquels Pamina, Fiordiligi,
la Maréchale, Tosca, Mimi (avec Domingo au sommet de ses moyens)
que les spectateurs de Garnier ont également eu la chance de voir
et d'entendre, à la grande époque de l'ère Liebermann...
Le double CD qui parait aujourd'hui à l'occasion de son anniversaire
- elle a eu soixante ans le 6 mars dernier - constitue un hommage pour
le moins imparfait et peu digne d'une chanteuse d'une telle splendeur vocale
et scénique.
La présentation, plutôt sobre, mais quand même assez
chiche, le livret très succinct, les photos peu nombreuses, eu égard
à sa rayonnante beauté, le choix discutable des morceaux
- façon "panier de la ménagère", mal ficelé
et assemblé dans le désordre le plus complet, genre bric-à-brac
- l'absence d'indications quant aux dates et lieux d'enregistrements dont
les références sont reprises en dernière page du livret
sous la forme d'un fatras assez incompréhensible, nous amènent
à nous demander ce qui a pu présider à une telle compilation.
Jugez plutôt : de Mozart, compositeur d'opéra, on entend
le "Porgi Amor" de la Comtesse des Noces, où certes, elle
excella et seulement une scène de Pamina ( pas de "Ach ich fülh's").
Mais quid de l'Elvire mentionnée en exergue, enregistrée
plus tôt dans sa carrière ? Pour le coup, les airs de concert
- où elle brilla de manière inoubliable - sont par comparaison
mieux représentés : il y en a deux. Quant à l'air
de Zaïde, il est magnifique, mais à ma connaissance,
elle n'a guère chanté le rôle sur scène. La
remarque vaut également pour l'oeuvre sacré de Mozart, absent
de ce double album, alors qu'on l'y a pourtant beaucoup entendue. C'est
bien peu pour donner une juste image de cette mozartienne accomplie.
Les choses ne s'améliorent pas, au contraire, avec Richard Strauss,
dont elle fut aussi une grande interprète, à l'instar de
Schwarzkopf à laquelle on l'a, d'ailleurs, beaucoup comparée.
Un seul des Quatre derniers lieder - au demeurant magnifique - et
c'est tout ! Comment ne pas prévoir un extrait de son Arabella,
de sa sublime comtesse de Capriccio et de sa Maréchale (cette
dernière bénéficiant de partenaires telles que von
Otter en Octavian et Hendricks en Sophie, avec rien moins que Haitink au
pupitre) ? Fort heureusement, des témoignages vidéo existent
aussi de sa prestation dans ces trois opéras, mais il me semble
un peu léger que ce Portrait, par définition représentatif,
en fasse abstraction.
En ce qui concerne Haendel, un seul morceau a été retenu
: le "Rejoice" du Messie. Or, en 1994, Kiri Te Kanawa a gravé
avec Christopher Hogwood et son Academy of Ancient Music un récital
entièrement consacré au "caro Sassone", intitulé "The
Sorceress", et qui fit date. En l'écoutant, on se prend à
regretter amèrement qu'elle n'ait pas plus tôt inscrit ce
compositeur à son répertoire, car, tant vocalement que physiquement,
son Alcina, sa Cleopatra auraient certainement fait pâlir de jalousie
nombre de ses consoeurs. D'ailleurs, un superbe film, réalisé
par Barbara Willis Sweete, et qui reprend le programme de cette anthologie
haendélienne, a été diffusé sur Arte et publié
en vidéo. A quand son report sur DVD ?
A part les deux grands axes de sa carrière constitués
par Mozart et Strauss et Haendel (qu'elle a, hélas, peu chanté),
on voit figurer, de manière éparse, quelques Bach, des Puccini
(Tosca, Manon Lescaut et le célébrissime "O mio babbino
caro" de Gianni Schicchi), une Traviata qui n'est pas forcément
ce qu'elle a fait de mieux et aussi quelques merveilles absolues comme
l'extrait du Casanova de Johann Strauss, qu'elle chante divinement.
Mais comment peut-on avoir omis la "Czardas" de sa Rosalinde de Fledermaus
?
On peut citer encore l'admirable solo du Deutsches Requiem de
Brahms, deux délicieux Chants d'Auvergne de Canteloube et
il n'est pas sans intérêt de l'entendre dans le jazz ou la
comédie musicale, comme en atteste le splendide "Art is calling
for me" extrait de The Enchantress de Herbert.
Mais n'eût-il pas été préférable,
pour rendre un véritable hommage à cette inestimable artiste
qui donna tant et tant à son public, de rééditer certains
de ses enregistrements aujourd'hui introuvables (Capriccio et Arabella
en font partie) et, surtout, de lui faire enregistrer une oeuvre rare,
du moins au disque, mais qu'elle a chanté un peu partout et reprendra
encore sur scène à Los Angeles en septembre 2004 : la Vanessa
de Barber, plutôt que ce pot-pourri indigeste qui donne une image
très incomplète de son art ?
On sait l'industrie du disque en crise, mais c'est faire montre d'ingratitude
à l'égard d'une cantatrice qui a contribué, et de
quelle façon, à la renommée de Decca et de Philips
désormais réunis au sein du même groupe.
Espérons que cet appel sera entendu et que bientôt, les
merveilles évoquées feront leur réapparition chez
les disquaires, afin de saluer comme il se doit cette éternelle
enchanteresse.
Un grand merci, Madame, et bon anniversaire !
Juliette BUCH
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