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Stefano LANDI
LA MORTE D'ORFEO (1619)
Tragi-comédie pastorale en cinq actes
Cyril Auvity : Orfeo
Guillemette Laurens : Teti, Calliope
Jan Van Elsacker : Ireno, Fileno nuntio et ensembles
Dominique Visse : Bacco, Caronte
Akadêmia, direction Françoise Lasserre
2 CDs digipack, Zig, Zag Territoires,
ZZT070402, enr. janvier 2006.
Le mythe décomplexé
La Mort d’Orphée
est une œuvre bien dérangeante. D’une part, le
livret de l’opéra s’attache résolument
à l’après Eurydice, il se prive volontairement des
ressorts dramatiques de sa mort et de l’expédition de
secours avortée qui s’ensuit. D’autre part,
l’œuvre se trouve à mi-chemin entre
l’opéra florentin encore centré sur le
récitatif, et le futur opéra romain qu’il
préfigure avec ses chœurs et ses ensembles. Et par-dessus
tout, l’action farfelue découpée en cinq actes
fourmille de dieux et de figures allégoriques, de Ménades
et de Satyres, abonde en retournements de situations et fait la part
belle au comique. Voilà donc un drôle de
caméléon musical.
Presque vingt ans après Stephen Stubbs (Accent), Françoise Lasserre nous livre sa vision de la Mort d’Orphée. Une vision qui dénote une vraie italianité. Cette Mort d’Orphée
est de celles qui transpirent le soleil d’Italie,
l’exubérance de ses marchés, la torpeur de ses
après-midis brûlants. De mort, il en sera ici peu
question, car tout respire la vie, le naturel, le mythe
décomplexé, la violence des passions.
Dès la sonate d’ouverture (un ajout emprunté
à Usper), l’orchestre – caressé par une prise
de son chaleureuse – enveloppe l’auditeur de ses cornets et
sacqueboutes. Guillemette Laurens entame ensuite l’air de
Thétys, avec une fausse simplicité, une proximité
confondante. Si elle ne parvient pas à faire oublier la
troublante ambiguïté de David Cordier, son chant
théâtral et généreux la rend plus proche des
hommes que des coquillages habitables ensevelis au fond des
océans. Les aigus sont dynamiques, le phrasé exemplaire
et subtil.
A ses côtés, les autres solistes relèvent du
même acabit, et l’on distinguera en particulier Cyril
Auvity et Dominique Visse. Le premier campe un Orphée
élégiaque, enthousiaste et triomphant dans les vocalises,
même si le timbre est parfois un peu nasal et forcé
(« Giot’al moi natal, crinite Stelle »). Le
second se régale en savoureux Caron et Bacchus totalement
déjantés (et l’on n’en attendait pas moins de
lui).
Et là réside la spécificité de cette
version : Françoise Lasserre raisonne à la fois en
peintre et en femme de théâtre, variant les climats par
les tempi, le continuo et les solistes. A l’extrême. Ainsi, au début de l’acte 1, le recitar cantando
paraît interminable alors que les ritournelles des arias
strophiques se métamorphosent en sonates d’église
d’une onctuosité… interminable. Si la chef
d’orchestre sait à merveille sculpter une
atmosphère, elle a choisi ici la moiteur d’un oratorio San Orfeo
avec plus de conviction que de succès. A l’inverse la
scène des Vents est d’une tourbillonnante
virtuosité qui laisse pantois. Les voix combattent entre elles
plus qu’elles ne dialoguent au cours de ce duel de trilles et de
mélismes où le beau chant passe au second plan.
Vous l’avez compris : plus qu’une tragi-comédie
pastorale, ce sont cinq tableaux presque autonomes dans leurs couleurs
qui se déroulent sous nos oreilles, au risque de faire perdre
encore à l’intrigue une cohérence
débraillée qu’elle ne possède que peu.
Aussi, en dépit de l’excellence de cet
enregistrement, le choix reste finalement cornélien entre
Françoise Lasserre et son prédécesseur Stephen
Stubbs. Akadêmia opte pour une mosaïque nerveuse,
débordante de contrastes, à la respiration changeante, au
continuo inventif et riche, tandis que l’Ensemble Tragicomedia
avait composé un magnifique monolithe, à la force
tranquille.
Viet-Linh NGUYEN
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