[GLI]
ZINGARI
"Dramma lirico in due episodi"
de E. Cavacchioli et G. Emanuel
d'après Pouchkine
musique de Rugerro LEONCAVALLO
(1857-1919)
créé le 16 septembre
1912 à l'Hippodrome-Theater de Londres
Enregistré le 13 septembre
1999
au Teatro Verdi de Montecatini
Terme,
en commémoration du lieu
et des quatre-vingts ans de la disparition du Maestro
texte de présentation
en italien et anglais, livret en italien
Fleana : Marina Fratarcangeli,
soprano
Radu : Andrea Elena, ténor
Tamar : Carlo Morini, baryton
Le chef des Bohémiens
: Andrea Rola
L'Orchestra Regina
Coro Harmonia Cantata
G. B. Varoli, direction
Kicco Classic KCD054. 1 CD
durée : 63'31"
Gli Zingari (ou parfois simplement
Zingari tout court)
est un mot qui désigne habituellement les
Bohémiens,
mais on notera qu'on le retrouve également dans
Lo Zingaro Barone,
titre italien du célèbre opéra comique de Johann Strauss,
Der
Zigeunerbaron -
Le Baron tzigane. Donc, entre Bohémiens
et Tziganes, ces Zingari chaudronniers du Danube, vivant sous la plume
de Leoncavallo, nous content l'histoire d'un prince (ténor) abandonnant
son règne pour se faire bohémien et épouser la captivante
Fleana (sop.). Si elle semble insensible aux chants du poète des
Bohémiens (baryton) dans le "premier épisode", le second
la montre métamorphosée ("La donna" serait-elle vraiment
"mobile" ?!). Le prince en conçoit une douleur telle qu'il met le
feu à la roulotte dans laquelle il vient d'emprisonner les deux
amants.
La critique italienne eut la dent dure avec Gli Zingari, le traitant
de "doublon inutile des Pagliacci". Les journaux londoniens furent
plus tolérants en parlant de "conte aux fortes teintes", mais il
faudrait savoir si ces commentaires tiennent compte de la musique autant
que de l'histoire... Leoncavallo donne la mesure de son métier certain,
voire de son talent, mais un ouvrage comme La Bohème, qui
lui coûta mainte amertume à cause de la comparaison avec l'opéra
homonyme de Puccini, révèle bien plus son génie.
On constate, du reste, avec une pointe d'amusement, les façons
de faire à la Leoncavallo, car certains passages même
brefs nous portent vraiment la signature de l'auteur de Pagliacci.
Un exemple parmi d'autres, ces phrases typiques des cordes rendues aériennes
par l'utilisation de la harpe comme dans l'air des oiseaux de Nedda...
Les passages de couleur locale... variable (car les Bohémiens
sont itinérants !) sonnent plus orientaux que tziganes et malgré
le renfort des tambourins, Leoncavallo ne parvient pas forcément
à colorer, précisément, ses beaux élans chaleureux
qui témoignent une fois encore d'un style personnel. L'intermezzo
séparant les deux "épisodes" fait en revanche plus
tzigane et se dresserait presque à la hauteur du splendide morceau
équivalent dans L'Amico Fritz de Mascagni. Pourtant, le Maestro
avait étudié des chants traditionnels gitans et avait poussé
le scrupule du réalisme en se faisant envoyer par un célèbre
luthier de l'époque une invention de ce dernier : le "controviolino",
fils de la viole et du violoncelle. On l'entend d'ailleurs dans la sérénade
du baryton, au second "épisode", (mais son prélude solo manque,
hélas, dans l'enregistrement Kicco). On notera également
les dissonances - époque de composition oblige ! - qui apparaissent
dans le finale, pour souligner la dégradation définitive
de la situation : la mort certaine des amants dans la roulotte en feu.
Enfin, plus encore que des façons à la Leoncavallo,
on retrouve des "recettes" comme celle de conclure l'opéra par un
fortissimo reprenant le thème du grand air du ténor...
recettes magnifiquement éprouvées par la "Jeune École"
: Tosca, I Pagliacci , L'Arlesiana...
Dans cet enregistrement du huitième des dix opéras de
Leoncavallo, Marina Fratarcangeli domine la distribution par son soprano
corsé, mais fruité et souple. Le ténor Andrea Elena
(Radu, le prince) possède également un timbre corsé
et si l'aigu laisse accuser un vibrato parfois gênant, il
n'en est pas moins un Radu efficace, compte tenu de la tessiture rudement
tendue qu'il doit affronter. Le baryton Carlo Morini (Tamar) possède
une voix "aigre" qu'il compense par le savoir-faire en secondant l'abandon
que demande souvent sa partie. Andrea Rola (basse) a également un
métal ingrat, mais fait mouche dans le rôle court du vieux
père chef des Bohémiens. L'Orchestra Regina est composé
de membres de l'Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino et perpétue
la tradition de la célèbre formation florentine, animant
chaque été une saison dans la ville thermale de Montecatini,
où précisément Ruggero Leoncavallo aimait séjourner.
Attentif mais poète quand il le faut, le chef Giovan Battista Varoli
n'évite pas toujours certaines sonorités un peu bruyantes,
mais n'oublions pas qu'il s'agit d'un concert... même si l'on sent
le public plus qu'on ne l'entend, car, selon une pratique curieuse, on
coupe tout applaudissement bien que l'on ne cache pas le fait que l'exécution
est réalisée en public. Le Coro Harmonia Cantata, préparé
par M. Baghboudarian, fait preuve du professionnalisme et de l'enthousiasme
nécessaires à sa performance.
Gli Zingari avait paru en LP dans le fabuleux catalogue de la
M.R.F. (MRF-139-S (2)), couplé avec un enregistrement du dernier
opéra de Leoncavallo, Edipo Re. Il s'agissait d'une exécution
due à la RAI de Turin, en 1975, et que la firme Italian Opera Rarities
LO7729 a depuis transféréee en Cd. Le sensible ténor
Aldo Bottion et ses deux collègues masculins font une sérieuse
concurrence à ceux de l'enregistrement Kicco. Gianni Galli, au contraire,
cède le pas à Marina Fratarcangeli, car son métier
évident ne rachète pas l'aigreur du timbre. Le chef Elio
Boncompagni tire plus de nuances de l'Orchestra Sinfonica di Torino della
Radiotelevisione italiana. Si la prise de son de cet enregistrement plus
ancien semble mieux équilibrée, il faut signaler la note
glissée dans la plaquette Kicco révélant que "tous
les efforts ont été effectués pour restaurer la "master
band", malheureusement endommagée."
Yonel BULDRINI