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Felicity LOTT
Récital
Gustav Mahler (1860-1911)
Rückert-Lieder
Richard Wagner (1813-1883)
Wesendonck-Lieder
Tristan und Isolde : Prélude et Mort d’Isolde
Quatuor Schumann
(Tedi Papavrami : violon ; Christoph Schiller : alto ;
François Guye : violoncelle ; Christian Favre : piano)
AEON 0540

Goûter au fruit défendu
Qui aurait pu imaginer entendre un jour Felicity Lott dans la mort d’Isolde et les Wesendonck-Lieder ?
Personne, pas même l’intéressée, connue pour
sa prudence, sa réflexion et sa légendaire modestie.
C'est pourtant dans ces pages qu’elle nous revient, ainsi que
dans les mélodies du poète Friedrich Rückert mises
en musique par Mahler, gravées en juin dernier à La
Chaux-de-Fonds avec le Quatuor Schumann.
Comme la cantatrice le confiait à Forum Opéra en septembre 2007 (cf. 5 questions),
la proposition est venue de ces instrumentistes passés
maître dans l’art de la transcription, qui lui ont
demandé de chanter la mort d’Isolde, ces derniers
étant habitués à interpréter le
prélude de Tristan en concert. Confiante, Felicity Lott
n’a pas su leur refuser, sachant parfaitement que
l’accompagnement du quatuor jouerait en sa faveur, à la
différence d’une formation symphonique. Ainsi est
né le programme qui paraît ces jours-ci aux
éditions AEON, après le merveilleux album d’airs français, dirigé par Armin Jordan (Poème de l'amour et de la mer, Shéhérazade) en 2003.
Dès les premiers accords du cycle mahlérien,
l’oreille est frappée par la musicalité des
Schumann, la clarté de leur jeu, leur respiration commune et
cette manière qu'ils ont d'envelopper la voix de leur
invitée, de la porter, de la protéger comme un bijou
précieux. Onctueux, sans aucun vibrato, l’instrument de
Felicity Lott, fixé dans un éternel automne, se fond avec
volupté dans ce tapis sonore, la profonde connaissance des
textes permettant à l'interprète de détailler les
mots et de sculpter chaque phrase. Bien que fréquemment
donné en récital, son "Ich bin der Welt abhanden gekommen"
chanté d’une voix plaintive et caressante, qui lentement
se désincarne jusqu’à
l’immatérialité, est tout simplement unique.
Débarrassée de ses accents sourds et parfois
effilochés dans le bas medium, la soprano puise dans de
nouvelles ressources pour s’attaquer sans faillir aux redoutables
Wesendonck-Lieder
(que nous avons si souvent entendus chantés par des organes
autrement plus puissants!), d’une voix ferme et admirablement
posée sur le souffle. Son timbre rond, paré de couleurs
chaudes, la science avec laquelle elle convie l’auditeur à
la suivre là où l'emporte sa sensibilité, tout
transporte et subjugue. Rugissante durant "Stehe still", menaçante dans "Schmerzen", ou apaisée tout au long du "Traüme",
qui évoque la nuit étoilée de Tristan, sur
laquelle planent les appels de Brangäne, l'artiste parvenue
à une totale sérénité s'exprime avec des
mots brûlants et passionnés qui font de cette version une
référence moderne, pour quatuor et voix, à ranger
non loin de celle de Flagstad, Crespin ou Ludwig (avec orchestre ou
piano).
Majestueux, le prélude de Tristan,
d’abord retenu, puis tumultueux comme un cours d’eau
prêt à sortir de son lit, sonne sous les doigts experts
des quatre musiciens avec une force hypnotique, avant de bercer la mort
de cette Isolde à la ligne pure et épurée,
transfigurée face à la mort, à la fois forte et
fragile. Du très grand art.
De dos sur la pochette du disque, comme pour s'effacer derrière
l'immensité de l'océan, ou laisser parler la musique, la
cantatrice semble scruter l'infini à la recherche de nouvelles
merveilles, qu'elle ne va pas tarder à découvrir.
François LESUEUR
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