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Claudio MONTEVERDI

MADRIGALI GUERRIERI ED AMOROSI

(Libro VIII)

Canti guerrieri :
Altri canti d'Amore, tenero arciero ;
Hor che 'l ciel e la terra e 'l vento tace ;
Gira il nemico insidioso Amore ;
Se vittorie sì belle ; Armato il cor d'adamantina fede ;
Ogni amante è guerrier ; Ardo, avvampo ;
Il Combattimento di Tancredi e Clorinda ; Introdutione al ballo e Ballo ;

Canti amorosi :
Altri canti di Marte e di sua schiera ;
Vago augelletto ; Mentre vaga Angioletta ;
Ardo e scoprir, ahi lasso, io non ardisco ;
O sia tranquillo il mare o pien d'orgoglio ;
Ninfa che, scalza il piede ; Dolcissimo uscignolo ;
Chi vol haver felice e lieto il core ;
Lamento della Ninfa (Non havea Febo ancora) ;
Perché ten fuggi, o Fillide ; Non partir, ritrosetta ;
Su, su, su, pastorelli vezzosi ;

Ballo delle Ingrate :
Sinfonia - De l'implacabil Dio ;
Sinfonia - Udite, Donne, udite !;
Bella madre d'Amor ;
Ecco ver noi l'addolorate squadre ;
Ahi troppo Ahi troppo è duro !
 

Salomé HALLER, Maria Cristina KIEHR, sopranos
Bernarda FINK, Marisa MARTINS, mezzo-sopranos
Christophe LAPORTE, contre-ténor
Kobie van RENSBURG, Mario ZEFFIRI,
John BOWEN, Jeremy OVENDEN, ténors
Victor TORRES, baryton
Antonio ABETE, Renaud DELAIGUE, basses

CONCERTO VOCALE
René JACOBS, clavecin et direction

Coffret de 2Cds Harmonia Mundi
HMC 901736.37 ; DDD ; TT : 145'55''
Enregistré en octobre-novembre 2000
à l'Abbaye de Fontevraud (Saumur).



Publié en 1638, deux ans avant le monument liturgique de la Selva Morale e Spirituale dont il pourrait être en quelque sorte le pendant profane de par son importance musicologique, le Huitième Livre de Madrigaux de Claudio Monteverdi peut être, à bien des égards, vu non seulement comme un recueil d'une étonnante richesse, mais plus encore comme un véritable testament musical et philosophique. Rassemblant des pièces couvrant trente ans de carrière, de Mantoue à Venise (le Ballo delle Ingrate est contemporain de l'Arianna perdue de 1608, alors que le Combattimento di Tancredi e Clorinda date de 1624 et que le Ballo refermant les Canti guerrieri peut être raisonnablement daté de 1637, année du couronnement de Ferdinand III de Habsbourg dont il chante les louanges), cette somme constitue la plus extraordinaire synthèse imaginable de l'art du père de l'Orfeo, témoignant de ses constantes expérimentations dans la rappresentatione expressive et réaliste d'une infinie palette d'affetti. La passionnante (et touchante) préface de la plume du compositeur (qui n'hésite pas à citer Boèce et Platon pour expliquer sa démarche), est, à cet égard, un document essentiel sur l'état d'esprit d'un artiste qui n'aura eu de cesse de rechercher la traduction musicale la plus juste, la plus fine, mais aussi la plus contrastée des passions humaines. Le résultat de ces "découvertes" est d'une stupéfiante luxuriance, et aussi varié que peuvent l'être les humeurs des textes mis en musique ; on n'est jamais loin, dans ces Madrigali guerrieri ed amorosi, de l'opéra ni surtout de son recitar cantando.

Pour interpréter la galerie de nymphes, chevaliers et poètes convoqués par Tasso, Strozzi, Testi ou Rinuccini et si subtilement caractérisés par le compositeur, René Jacobs s'est entouré d'une distribution de fins monteverdiens dont la somme s'avère luxueuse. Dès l'Altri canti d'amor qui ouvre le cycle des Canti guerrieri, on est frappé par l'homogénéité du groupe, en même temps que fasciné par la façon dont les personnalités si diverses - et si affirmées- de chacun des chanteurs rehausse la sonorité d'ensemble. Car Jacobs, en fin cordon bleu, a su, pour accommoder le festin auditif de ces madrigaux, sélectionner ses ingrédients (Fink, Rensburg, Zeffiri, Abete, Torres) et ses épices (Kiehr, Haller, Martins, Bowen) avec art, composant ainsi un bouquet d'une subtilité et d'une richesse enivrantes dont il nous avait déjà laissé humer un échantillon en concert, au Théâtre des Champs-Élysées en novembre 2000 (le programme comprenait une sélection de ces madrigaux, augmentés de la Lettera amorosa du VIIe Livre dans une lecture brûlante de Marisa Martins, ainsi que d'un étourdissant Zefiro torna délivré par un Kobie van Rensburg et un John Bowen virevoltant avec ivresse). 

On voudrait citer chacun, tant l'excellence semble être partout ; cependant - injustice des registrations monteverdiennes - ce sont les hommes qui marquent le plus. Le compositeur affectionnait tout particulièrement les duos de ténors ; ce n'est donc que justice qu'ils soient ici représentés en surnombre, par un quatuor de voix lumineuses dont se détache principalement le fringant et très expressif Kobie van Rensburg, à la ligne de chant limpide et au verbe savoureux, incarnant un Tancrède conquérant et surtout un Poète fascinant de présence incantatoire, véritable maître à danser d'une jubilatoire Introdutione al Ballo. Ses trois collègues ne dépareillent pas (même si l'on pourrait ergoter sur la diction de Jeremy Ovenden, moins claire et précise que celle, gourmande, du sud-Africain), et les duos de Rensburg avec Mario Zeffiri (Armato il cor d'adamantina fede et surtout Ninfa che scalza il piede dans lequel les rejoint Antonio Abete) et John Bowen (Ardo e scoprir) se révèlent absolument délicieux. De leur côté, les voix graves ne sont pas en reste, entre un Antonio Abete pénétrant - tour à tour guerrier ténébreux (Ogni amante è guerrier), soutien discret des ténors (Dolcissimo uscignolo, Lamento della Ninfa, Perché ten fuggi o Fillide), Pluton majestueux (Ballo delle Ingrate)- et un Victor Torres tout simplement magistral. Testo du plus tragique des Combattimento, le baryton argentin captive par son incarnation d'un conteur déchiré entre compassion et véhémence, entre récit détaché et empathie impulsive pour des personnages de chair (faible) et de sang (bouillonnant). À la frontière entre déclamation et chant, vibrant les mots et articulant les notes avec une aisance époustouflante (et il faut voir à quel tempo intrépide Jacobs le fait galoper aux côtés du paladin et de la sarrasine !), Torres se pose en poète visionnaire, mais, surtout, bouleversant d'humanité.

Au climax dramatique que constitue le Combattimento di Tancredi e Clorinda (centre névralgique des Canti guerrieri) répond celui, plus dépouillé mais aussi plus tendre, du Lamento della Ninfa, clé de voûte des Canti amorosi, et auquel Bernarda Fink prête son timbre de velours. Entourée d'un trio à la présence idéalement feutrée, la mezzo déroule une plainte poignante, lancinante, dont l'écriture obsessionnelle lui donne toute latitude pour exploiter une palette expressive et dynamique infinie (le pianissimo sur le dernier "taci" !), ainsi qu'un registre aigu d'une bouleversante beauté (l' "attrait puissant des larmes", comme dirait Molière). Mais c'est encore dans le Ballo delle ingrate que l'Argentine surprend le plus par sa personnification d'une Vénus étonnamment carnassière, aux côtés de laquelle Maria Cristina Kiehr, toujours remarquable, compose un Cupidon délicieusement ambigu.

Côté orchestre - on serait tenté de dire "dans la fosse", tant l'effervescence théâtrale rappelle l'opéra - , on est également enthousiasmé par la brillance, la vivacité et le foisonnement du Concerto Vocale galvanisé par son chef qui agence de main de maître une symphonie de timbres et de couleurs tout simplement grisante et qui résulte de la somme des talents individuels (tels le violon virevoltant de Bernhard Forck ou les percussions subtiles de Marie-Ange Petit, pour ne citer qu'eux). Faisant sienne la thèse fondatrice de ce recueil - "ce sont les contrastes, plus que tout, qui nous touchent profondément" (Claudio Monteverdi au lecteur)- et, au-delà, de l'oeuvre toute entière de Monteverdi, Jacobs nous place au centre d'une ronde proprement shakespearienne, dont les teintes sensuellement chaleureuses semblent tout droit sorties d'un tableau de Georges de la Tour ; une ronde où le tragique exalté de Torquato Tasso rivaliserait avec l'humour épique de son prédécesseur Lodovico Ariosto (auquel l'irrésistible Ardo, avvampo fait souvent penser), et où, enfin, Dante nous prendrait soudain par la main, pour nous faire entrer, à grands renforts de timbales plus infernales que nature, dans un Ballo delle Ingrate qui aurait peu à envier à sa Divine Comédie. Éblouissant.
 
 

Mathilde Bouhon



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