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Gustav MAHLER
(1860-1911)
Lieder nach Gedichten aus « Des Knaben Wunderhorn »
Lieder sur des poèmes tirés du « Cor merveilleux de l’enfant »
Lucia Popp, soprano
Walton Groenroos, baryton
Israel Philharmonic Orchestra
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Lieder eines fahrenden Gesellen
Chants d’un compagnon errant
Rückert Lieder
Lieder sur des poèmes de Friedrich Rückert
Kindertotenlieder
Chants pour des enfants morts
Thomas Hampson, baryton
Wiener Philharmoniker
Direction : Leonard Bernstein
Enregistrements de 1984, 1988 et 1990.
1 DVD Deutsche Grammophon
Un Mahler qui vous veut du bien
Amoureux de voix que nous sommes, nous avons tous le regret de ne pas
avoir entendu sur scène tel ou tel chanteur aujourd’hui
disparu et que nous aurions pu voir si…
Pour ma part, et sans vouloir faire de la provocation ou du snobisme, mon plus grand regret est de ne pas avoir vu Bernstein
diriger. L’énergie qui se dégage de cet homme au
pupitre, l’impression que la musique sort littéralement de
son corps, la sensation d’être en contact avec la
quintessence de la musique, c’était tout cela Bernstein,
et plus encore sans doute. « Il disait souvent que pour lui
un concert était réussi lorsqu’il avait le
sentiment de composer la musique » écrit David Gutman dans le texte de présentation.
Pour l’amoureux éperdu de ce chef (mais aussi de ce compositeur qui composa autre chose que West Side Story ou Candide)
que je suis, tout témoignage DVD de son art est une manne, une
source d’émotion intense, un plaisir supérieur.
On sait la relation exceptionnelle que Bernstein entretenait avec Mahler.
Il a enregistré et réenregistré ses symphonies
à la tête des plus beaux orchestres de la planète.
Deutsche Grammophon nous a offert les DVD de ses symphonies, en voici
le complément indispensable, quelques uns de ses plus beaux
cycles de Lieder.
A la lecture de l’affiche de ce DVD, on pouvait craindre que les Lieder servis par Hampson et le Wiener Philharmoniker n’« écrasent » les Lieder du Knaben Wunderhorn par Walton Groenroos, Lucia Popp et l’Israel Philharmonic Orchestra. Il n’en est rien.
Bien sûr, l’Orchestre d’Israël –
fondé par Bernstein et avec qui il enregistra beaucoup –
n’a pas la ductilité et le soyeux de celui de Wien. Une
telle assertion est certes banale, mais bien réelle. En
revanche, l’engagement des musiciens est admirable (mais comment
résister à la tornade Bernstein ?!) et la
précision impeccable. Quant aux chanteurs, le bonheur
qu’ils nous distillent est tout aussi présent.
Timbre, ligne, souffle, expression, charme, Lucia Popp est miraculeuse, notamment dans un Wo die schönen Trompeten blasen merveilleusement maîtrisé.
Quant à Walton Groenroos,
à la carrière hélas bien courte, on ne peut
qu’admirer la prestance, le très beau timbre, clair et
franc - qui convient parfaitement à ce cycle -, la malice (son
« Prêche de Saint Antoine de Padoue » est
d’un humour suprêmement dosé) mais aussi la gouaille
(les « Tralala » du Revelge sont absolument irrésistibles).
Tous les musiciens semblent s’amuser dans ces Lieder
où le grotesque se mêle au sérieux, où le
léger succède au grave, où l’on ne sait
parfois plus si l’on est dans le commun ou le distingué
tant Mahler englobe les limites d’un flou on ne peut plus
artistique, un mélange dans lequel Bernstein est parfaitement
à l’aise, lui l’américain, dont sa propre
musique est elle aussi un melting pot de différentes traditions, tant populaires que « sérieuses ».
Nous serions sans doute très provocant en disant qu’un
américain - de la valeur de Bernstein - est sans doute
l’un des mieux à même de comprendre Mahler…
Pourtant, nous le pensons fort, et c’est sans doute cette intime
communion de pensée qui fait de l’héritage
mahlérien de Bernstein un must absolu de la discographie.
Ambiance radicalement différente avec les Lieder eines fahrenden Gesellen, les Rückert Lieder et les Kindertotenlieder chantés par Hampson avec le Wiener Philharmoniker.
De Tel Aviv en 1984 (la robe de Lucia Popp, les lunettes et la coiffure
de Walton Groenroos fleurent bon les années 1980, si ce
n’est 1970), nous passons à Wien en 1988 et 1990, soit
dans les dernières années de Bernstein, avec son style
noble, aux tempi souvent extrêmement lents et étirés.
Il fallait un chanteur exceptionnel pour soutenir de tels tempi,
pour entrer en phase avec cet univers en quasi perpétuelle
apesanteur, pour se fondre dans ces sonorités on ne peut plus
suaves que distille un Wiener Philharmoniker en état de
grâce (quels solos de cor anglais, de hautbois ou de
cor… !) et on imagine sans peine le coup de foudre que
Bernstein dût avoir pour Thomas Hampson qui se
révèle l’homme absolu de la situation.
Que louer de plus chez ce chanteur qui stupéfie par la
perfection de la prononciation, la longueur du souffle,
l’homogénéité du timbre sur toute la
tessiture, par des demi-teintes dans l’aigu absolument
époustouflantes ? La profondeur et la
sincérité du musicien, sans doute, qui semblent
s’aligner sur celles de Bernstein.
Cette symbiose entre le chef, l’orchestre et le chanteur nous
réserve une suite de moments inoubliables, avec par exemple des Rückert Lieder anthologiques. Le Um Mitternacht,
crépusculaire à souhait, saisit par son intensité
expressive, sa perfection tant vocale qu’instrumentale tandis
qu’il est impossible de rester insensible à la
suprême émotion qui se dégage du dernier lied, Ich bin der Welt abhanden gekommen,
sans doute l’un des sommets de l’art de Gustav Mahler.
Comment retenir ses larmes face à une musique aussi sublime
servie de manière aussi exceptionnelle : un cor anglais
admirable, des cordes d’une suavité
décidément insurpassable, et par un Hampson absolument
divin… ?
Bien sûr, ces enregistrements malhériens d’Hampson
et Bernstein étaient déjà connus par le CD.
Qu’apporte donc l’image me direz-vous ?
Si vous ne supportez pas les mimiques et gesticulations de Bernstein,
son mouchoir rouge dans la poche du veston, les gros plans sur les
lunettes façon yeux de mouche de Walton Groenroos ou les longues
dents ou le brushing de Thomas Hampson, cela ne vous apportera rien et
ce DVD n’est pas pour vous, contentez-vous du CD.
Si au contraire, l’allure possédée de Bernstein
vous émeut voire vous transporte, si sa gestique vous aide
à mieux comprendre son appréhension de Mahler, si les
expressions de visage des musiciens vous captive, si les saluts et
effusions entre musiciens vous touchent, alors ce DVD vous comblera.
Car comment ne pas être saisi par la concentration optimale de
Thomas Hampson, l’expression de son visage à la fin de
chaque Lied, les rictus de
douleur ou de plaisir de Bernstein qui semble souffrir ou jouir de
l’intensité de la musique et de ce qu’il arrive
à créer ? Comment oublier ces échanges entre
Hampson et Bernstein lors des saluts ? Bernstein serrant la main
d’Hampson contre son visage, Hampson embrassant celle de
Bernstein à la fin des Kindertotenlieder, mais plus émouvant encore, leur accolade prolongée à la fin des miraculeux Rückert Lieder,
le regard plein de reconnaissance et d’admiration d’Hampson
vers Bernstein, sont autant de gestes montrant l’intensité
de leur échange, leur complicité, leur reconnaissance
à chacun d’avoir fait quelque chose de grand, sublimement
grand.
Pierre-Emmanuel LEPHAY
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