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Pietro MASCAGNI (1863-1945)

Le Maschere

"Commedia lirica e giocosa"
en une Parabase et trois Actes de Luigi Illica

créée le 17 janvier 1901 simultanément dans six théâtres italiens 
Enregistré en novembre 2001 à l'occasion du centenaire de l'opéra, 
au Teatro La Gran Guardia de Livourne

Texte de présentation en italien et anglais, livret en italien
Durées : CD 1 : 67' 07" ; CD 2 : 62'22".

Kicco Classic KC082.2CD
(et DVD annoncé)


La création des Maschere est certainement unique dans l'histoire de l'opéra. En effet, non seulement elle eut lieu dans le "fief" de Pietro Mascagni et sous sa direction : au Teatro Costanzi de Rome, mais en même temps, Arturo Toscanini créait l'oeuvre (avec Enrico Caruso), au Teatro alla Scala... et, chose singulière, la création s'opérait simultanément au Gran Teatro La Fenice de Venise, au Carlo Felice de Gênes, au Teatro Regio de Turin et au Teatro Filarmonico de Vérone ! On a même failli avoir une création au Teatro San Carlo de Naples qui déclara forfait à cause de la maladie du ténor et repoussa la création de deux jours. Aventure unique, durant les entractes, Mascagni était tenu au courant par les télégrammes affluant donc de toute l'Italie.

Pour comprendre le titre, il faut faire référence au sens vieilli en français du terme "masque" qui désigne, par synecdoque, les personnages masqués ou même déguisés. Le sens italien désigne un personnage, masqué ou non, mais portant le costume typique et représentatif d'une région dans la tradition de la Commedia dell'Arte.

C'est précisément à cette dernière que Mascagni a voulu rendre hommage, saluant en même temps la grande tradition de l'opéra italien, qui avait acquis un immense prestige avec le siècle qui venait de se terminer. Le jour de la création, le compositeur livrait ainsi sa conception à L'Alba : "J'ai écrit Le Maschere en remontant témérairement le courant de tout ce qu'impose le goût du public. Tandis que tout le monde délire pour la polyphonie à lignes hyperboliques, j'ai, quant à moi, résolument décidé, en composant cette joyeuse comédie italienne, de revenir à l'orchestre simple, carré, équilibré, de nos pères : moins de cinquante musiciens. Toutefois, avec un orchestre ainsi réduit, je n'ai renoncé en rien aux directives stylistiques dictées par la technique moderne. J'ai pensé la discipliner et la diriger vers un objectif différent de l'art : voilà tout. Ainsi, je suis revenu aux duos, aux trios, aux ensembles concertants du vieux théâtre et sans hésitation, j'ai dessiné et découpé les pièces avec la plus grande précision et avec le sens le plus rigoureux de l'eurythmie. Et par-dessus tout, j'ai voulu laisser libre la veine du mélodiste : libre, toujours ; et avec les voix maîtresses de la scène, dans l'abondance fluide et continue qui, en son temps, était notre orgueil et notre force."
Mascagni réussit à rendre son hommage en restant lui-même, avec ses phrases lumineuses au possible, dont il nous inonde, les nuançant souvent d'une tendresse espiègle, d'une joie veinée d'une délicate nostalgie. Ainsi, au détour d'ensembles ou de duos, voilà qu'apparaissent certaines façons de faire à la Cavalleria rusticana ! Un peu comme si Mascagni tentait de se parodier lui-même, tout en se prenant tout de même au jeu de faire "du" Mascagni typique. Tel Donizetti, qui dans son irrésistible La Romanziera e l'uomo nero, veut parodier les clichés du Romantisme, mais tombe peut-être consciemment dans le piège de faire "du" Donizetti plus vrai que nature.

Pour bien poser l'actualité de cet hommage, le livret signale que "L'action a lieu à Venise de nos jours". L'orchestre commence l'ouverture, bientôt interrompue par Giocadio qui entre et, tel le coryphée, présente le sujet et invite les acteurs à expliquer leur personnage. Une fois cette "parabase" terminée, on ferme le rideau et on attaque pour de bon la joviale ouverture ! Par la suite, on remarque le finale I, bel ensemble concertant dans la grande tradition italienne... et évoquant, comme par hasard, celui du finale III de La Gioconda de son professeur Ponchielli. De même, l'ensemble-confusion du finale II fait un clin d'oeil au finale de Falstaff et à ceux de Rossini. Les romances et duos s'épanouissent avec une fraîcheur, une poésie, une délicate sentimentalité complètement fidèles à sa conception de "laisser libre la veine du mélodiste".

La distribution de Livourne est très homogène, en commençant par le traditionnel couple d'amoureux : la Rosaura d'Antonia Cifrone et le Florindo de Danilo Formaggia. Le second couple d'amoureux réunit la malicieuse Colombina, ambassadrice de l'amour, de Susanne Bungaard et l'espiègle Arlecchino de Marcello Pedoni. Dames aux voix agiles, mais expressives et messieurs aux timbres clairs, mais chaleureux.

On apprécie également le vétéran Graziano Polidori dans Pantalone, vieux père plaintif et inquiet, ainsi que le Capitan Spavento, le fanfaron (Capitaine Fracasse) d'Alessandro Paliaga. Tout aussi efficaces se révèlent les trois autres "masques" : Dario Giorgelè, en sentencieux Dottor Graziano ou Prudenzio, type du médecin-notaire, condescendant et imbu de son savoir ; Alessandro Battiato, en Tartaglia modérément bègue (le verbe "tartagliare" signifie bégayer !) ; enfin, Antonio De Angelis en Brighella, le trompeur aux belles manières.

Les "Orchestra e Coro Città Lirica" font partie du projet de regroupement de trois centres lyriques de Toscane : Livourne, Lucques et Pise. Les choeurs préparés par Marco Bargagna ne méritent que des louanges et le chef d'orchestre Bruno Aprea fait merveille ! Quel brio, quelle flamme et en même temps quelle poésie il sait insuffler à son orchestre : ah ! ces délicieuses phrases des violons venant caresser le chant de la belle sérénade de Florindo au troisième acte. Et cette nuance de mélancolie colorant la tranquille pavane surannée... Saluons en lui le maître de cette réussite totale, dépassant de beaucoup le précédent enregistrement dirigé par G. Gelmetti (Teatro Comunale di Bologna, 1988, Fonit-Cetra/Ricordi), parfois curieusement soporifique malgré la présence de chanteurs estimés, et handicapé par une prise de son sèche et résonant comme dans un cylindre. Avec le recul, même la lecture plus sentimentale de Bruno Bartoletti (Teatro Verdi di Trieste, 1961, Gala) apporte bien plus de plaisir et d'émotion.

L'auditeur ne peut que partager l'enthousiasme du public, débordant littéralement quand, après le finale, on lui offre une reprise de la furlana, danse populaire de la Vénétie, leste et animée, qu'il scande comme on le fait pour la Marche de Radetzky concluant le concert du Nouvel An à Vienne !
 
 

Yonel BULDRINI
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