Pier Paolo
Pasolini
MEDEA (1969)
Réalisé par Pier
Paolo Pasolini
Avec Maria Callas, Laurent Terzieff,
Giuseppe Gentile, Massimo Girotti...
Scénario : Pier Paolo
Pasolini (d'après Euripide)
Photographie : Ennio Guarnieri
Musique : sélection de
musiques traditionnelles
par Pier Paolo Pasolini et Elsa
Morante
Durée : 107 mn
Carlotta
2 DVD 786933
DVD 1 : le film avec options pop
up "Visions de la Médée ", la bande-annonce
DVD 2 : bonus & documentaires
inédits : le mythe de Médée et Jason ; Médée
Passion, souvenirs d'un tournage ; Médée, le choc des cultures
; Visions de la Médée ; scènes coupées.
Format cinéma : 1.85 :
1
Format vidéo : 16/9 compatible
4/3
Langues : italien Dolby Digital
mono
Sous titres : français
L'opéra muet
Barbare... Pasolini aimait le mot. Barbare donc, mais surtout totalement
abscons sans une exégèse approfondie. D'où la nécessité,
pour qui découvrirait le film mythique (dans tous les sens du terme)
de Pasolini, de bousculer le mode d'emploi théorique d'un coffret
DVD, respectant d'ailleurs en cela la démarche de l'auteur lui-même,
qui accompagnait la sortie de ses films d'un travail complet d'écriture
comme contrepoint essentiel de l'image. Regardez donc en premier le second
DVD, ou du moins le rappel du mythe, et les interventions éclairantes
de Christophe Mileschi, traducteur des "Visions de Médée"
et des poèmes écrits pendant le tournage. On conseillera
également, pendant le visionnage du film, l'utilisation des pop-up
qui renvoient aux commentaires indispensables du cinéaste. Jamais
DVD n'aura été plus utile comme "plurimédia ".
Médée est le pot commun de toute la culture de Pasolini,
religion, mythe, littérature, philosophie, arts, politique. L'homme
de Pasolini ne se conçoit que comme créature à la
fois naturelle et mystique. Un postulat idéologique qui s'impose
à toute compréhension du film. Jason est l'homme de la modernité,
de la technique, du temps réel et actuel. Médée est
du temps "d'avant ", celui de la nature, du sacrifice humain régénérateur,
du cycle éternel. L'un et l'autre s'attirent, s'échangent
sensualité et sacré, l'un et l'autre se détruisent...
Mais que vient donc faire cette chronique de film sur un site dédié
à l'opéra ? Rien, a priori. D'autant que Pasolini détestait
l'opéra, et que le choix de Callas comme interprète lui fut
suggéré, sinon imposé au départ, avant le coup
de foudre réciproque, par le producteur, Rossellini. Pasolini accepte
Callas et la fait taire, la filme en gros plans, elle qui ne connaissait,
disait-elle, que les gestes amples de la scène. Il ne s'agit plus
de Cherubini. Et voici Callas, subjuguée, qui plie son corps à
toutes les volontés pasoliniennes, supporte des costumes de cinquante
kilos et des tournages épuisants sous les soleils de Tunisie, de
Pise ou de Cappadoce, perd ses rondeurs pour un visage qui devient le double
anguleux et lumineux d'une voix de violence et de rage, ose la presque
nudité d'une simple tunique, la laideur hystérique et haineuse
d'une Méduse. Un casting provocateur, avec une star du chant pour
un rôle quasi muet (mais quand elle parle ... quelle déclamation
!) dans un film absolument anti-commercial. Le jeu dramatique repose, de
par la volonté de Pasolini, uniquement sur le langage corporel,
qui unit le mythe et la réalité. Jason est le corps idéal
- Giuseppe Gentile, un sportif de haut niveau choisi uniquement pour sa
plastique, et qui avoue dans les bonus n'avoir pas toujours compris grand
chose à ce qu'il tournait ; un Jason que l'on aurait le droit de
trouver quelque peu ... benêt. Un corps rationnel, un petit-bourgeois
qui aime les plaisirs naturels. Le corps de Médée n'a de
lien qu'avec le sacré et le rituel, dans un narcissisme monstrueux
et intransigeant, dans l'accomplissement de cette longue "conversion à
l'envers" qui lui fera livrer, dans un sursaut final hystérique
et infanticide, sa dernière victoire.
Rien de plus écrit que ce film, dont le langage cinématographique
ne correspond jamais, c'est le moins que l'on puisse dire, aux codes du
genre, et ferait paradoxalement songer, dans une acception négative,
à un montage hâtif de reportages caméra à l'épaule.
Le travail filmographique est âpre et d'une certaine sécheresse.
Pasolini taille dans le mythe, exclut toute aide narrative, s'éloigne
d'Euripide et n'en garde ou n'en développe que les séquences
qui démontrent son postulat. Ainsi, l'épopée maritime
des Argonautes devient un morne flottage dans un baquet, poncif comme le
radeau de la Méduse, marins si vainement humains face à Médée.
Ainsi, c'est au centaure Chiron, porte-parole de Pasolini lui-même
et symbole de la dualité qui parcourt tout le film, que revient
le long préambule de l'éducation de Jason, éducation
du spectateur avant tout, qui emprunte à Mircea Eliade, Frazer ou
Jung. La scène la plus virtuose sur le plan de la pure technique
cinématographique est la double séquence rêve-réalité
du meurtre de la rivale Glaucé et de son père, suivi de l'infanticide.
Trop longue à détailler ici, cette succession de lectures
approfondit encore plus, ne serait-ce que par le rythme différent
donné à chaque séquence et leur enchaînement,
la lecture pasolinienne du mythe et des personnages.
La beauté fruste et bouleversante des costumes et des couleurs
(écouter à cet égard les passionnants propos de Piero
Tosi), des musiques traditionnelles, des paysages et des décors
(ainsi l'extraordinaire montage de décors naturels et studio disséqué
par Dante Feretti pour la scène finale) ajoutent à la fascination
étrange qu'exerce le film sur le spectateur, malgré la difficulté
de sa compréhension, au moins à la première vision.
A chaque plan, on perçoit la somme de réflexion qui préside
au moindre choix d'images et au moindre cadrage, pour un résultat
qui relève purement et simplement du langage poétique. C'est
un film étrangement et violemment beau et abscons, "une histoire
compliquée" construite sur les antinomies entre êtres et mondes,
entre religion et rationalité, entre innocence et sacré,
entre ciel et terre, un chef-d'oeuvre dont la lecture ne pourra se faire
en un seul visionnage.
Sophie ROUGHOL
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