Richard Wagner
DIE MEISTERSINGER
VON NÜRNBERG
direction Daniel
BARENBOIM
Chúurs et Orchestre
du Festival de Bayreuth
(Teldec)
Robert Holl (Sachs)
Matthias Hölle (Pogner) Andreas Schmidt (Beckmesser) Peter Seiffert
(Walther) Endrik Wottrich (David) Emily Magee (Eva) Birgitta Svenden (Lene)
Hans-Joachim Ketelsen (Kothner) Kwangchul Youn (Veilleur)
Il y a deux façons d'aborder
tout nouvel enregistrement wagnérien : celle qui consiste à
regarder vers le passé et aboutit quasi invariablement à
une lamentation sur la cruelle décrépitude du chant wagnérien,
et celle qui consiste à l'accepter pour ce qu'il a seule vocation
à être : le témoignage d'un moment privilégié
dans le sanctuaire qu'est pour tous les wagnériens le Festspielhaus
de Bayreuth. La production de Wolfgang Wagner, qui est à l'origine
de cet enregistrement, a été créée en 1996
et l'enregistrement a été réalisé en 1999,
laissant ainsi à Daniel Barenboïm le temps d'approfondir sa
lecture. Le résultat est probant, même sans le renfort de
l'image qui prouverait que l'esthétique de Wieland Wagner, à
laquelle son frère n'a cessé de se référer,
n'a rien perdu de son acuité. Barenboïm nous offre une lecture
colorée, très équilibrée, animée de
bout en bout, ne craignant pas de recourir parfois à des tempi d'une
vigueur inhabituelle. Dans ce travail d'une probité exemplaire ne
passe certes pas le souffle épique qu'un Furtwängler savait
communiquer à la partition, mais on peut affirmer qu'il ne manque
pas de vie pour autant. Il lui faut aussi composer avec des chanteurs aux
mérites inégaux et qui à aucun moment n'évoquent
le
souvenir de la grandeur passée du lieu. Robert Holl est ainsi un
Sachs solide au timbre flatteur, sans doute un excellent récitaliste
mais il campe ici un cordonnier sans aura, qui laisse en définitive
assez indifférent et susciterait presque l'ennui dans ses monologues
malgré le soutien attentif du chef. Emily Magee est une Eva privée
de jeunesse et de séduction : à la scène on pouvait
se laisser séduire par son joli sourire mais ici on ne retient qu'un
timbre ordinaire et un chant scolaire qui prive le quintette de toute sa
poésie. Songeons seulement qu'en 1996 Eva était Renée
Fleming... Peter Seiffert est en revanche un séduisant Walther,
inférieur en poésie à Sandor Konya mais assurément
l'un des très bons titulaires du rôle aujourd'hui. Matthias
Hölle apporte son beau timbre à Pogner et les seconds rôles,
comme toujours à Bayreuth, sont remarquablement distribués.
Reste le Beckmesser d'Andreas Schmidt dont la conception du personnage
a pu déranger les tenants d'une tradition bouffe à la Benno
Kusche. A aucun moment, Schmidt ne cède à la caricature,
il chante tout le rôle et le chante remarquablement, nous rappelant
s'il en était besoin que Beckmesser est un maître-chanteur.
A la suite de l'inoubliable Hermann Prey, il impose une vision du personnage
plus inquiétante et pathétique que véritablement comique
et l'intérêt de l'úuvre s'en trouve à mon sens renforcé.
Il n'est plus nécessaire de souligner l'excellence des chúurs du
festival préparés par Norbert Balatsch. En définitive,
voici un enregistrement qui a ses forces et ses faiblesses mais qui soutient
dans l'ensemble la comparaison avec les intégrales les plus récentes
(Sawallisch chez EMI, Solti II chez Decca). Je serais même personnellement
tenté d'affirmer que depuis la miraculeuse réalisation de
Kubelik, personne n'a véritablement fait mieux. Je conseillerai
donc aux nostalgiques d'un âge d'or révolu de passer leur
chemin, mais aux véritables amoureux de la musique wagnérienne
de faire le détour, ils ne le regretteront pas.
Vincent Deloge