Richard WAGNER
DIE MEISTERSINGER
VON NÜRNBERG
Mise en scène
: Otto SCHENK
Décors :
Gunther SCHNEIDER SIEMSSEN
Costumes: Rolf
LANGENFASS
Lumières
: Gil WECHSLER
Eva : Karita MATTILA
Magdalene : Jill
GROVE
Walther : Ben HEPPNER
David : Matthew
POLENZANI
Hans Sachs : James
MORRIS
Beckmesser : Thomas
ALLEN
Veit Pogner : René
PAPE
Herman Ortel :
Thomas HAMMONS
Hans Schwarz :
LeRoy LEHR
Hans Foltz : Richard
VERNON
Kunz Vogelgesang
: Eric CUTLER
Konrad Nachtigall
: Earle PATRIARCO
Fritz Kothner :
John DEL CARLO
Balthazar Zorn
: Jonathan WELCH
Ulrich Eisslinger
: Charles ANTHONY
Augustin Moser
: Bernard FITCH
Le veilleur de
nuit : John RELYEA
James LEVINE
Choeur et orchestre
du Metropolitan Opera
2 DVD Deutsche Grammophon
00440 073 0949
Enregistré
au Metropolitan Opera en décembre 2001
Qui ose encore donner les
Maîtres chanteurs en version
scénique ? En France, on compte les productions récentes
sur les doigts d'une seule main : le Châtelet en 1990 avec José
Van Dam en tête d'affiche, et le Capitole de Toulouse bien sûr
en 2002 (un théâtre qui possède une stature internationale
à défaut d'un label national). Je crains de n'avoir oublié
personne... Bien frileux lorsqu'il s'agit du répertoire wagnérien,
l'Opéra National de Paris, dont les directeurs successifs mettent
également la tête dans le sable dès qu'on prononce
devant eux le mot
Tétralogie, s'est contenté d'une
simple mise en espace la saison passée. Le miracle du Met, c'est
que de tels ouvrages qui sont refusés obstinément à
la plupart des publics font presque partie là-bas de l'ordinaire.
Cette production avait été créée en 1993 et
l'écho radiodiffusé de ces soirées mémorables
nous était parvenu. Le DVD capté à l'occasion d'une
reprise en 2001 nous permet désormais de juger de la réalisation
scénique d'Otto Schenk, metteur en scène dont on sait ne
devoir attendre ni relecture, ni même renouvellement du propos. On
ne le regrettera que modérément ici car on sait que l'ouvrage
est particulièrement rétif aux licences théâtrales.
C'est sans doute la raison pour laquelle le festival de Bayreuth, où
l'on est allé jusqu'à permettre au dernier iconoclaste à
la mode de maltraiter
Parsifal, s'en tient pour les
Maîtres
chanteurs au post - (Wieland) wagnérisme du petit frère
devenu grand père.
La production du Met joue la carte illustrative et reconstitue la Nuremberg
historique avec une minutie et un luxe inconcevables de ce côté-ci
de l'Atlantique, où certains directeurs de salle infatués
déclarent péremptoirement que ce type de présentation
scénique doit être réservé à Holiday
on Ice ou aux Folies Bergères... Il est vrai que dans ces Maîtres
Chanteurs ne manque pas le plus petit accessoire, et il est vrai également
que le spectacle fonctionne parfaitement, flatte l'oeil et peut, en outre,
s'appuyer sur une direction d'acteurs conventionnelle, mais très
précise et très efficace jusque dans les scènes de
cacophonie parfaitement ordonnées. Ce type d'approche ne marquera
pas l'histoire du théâtre lyrique, et n'en a d'ailleurs pas
l'ambition, mais possède l'immense mérite de divertir le
spectateur (noble occupation, quoi que certains puissent prétendre)
et de lui permettre de suivre sans difficultés et sans aucune lassitude
l'un des plus longs ouvrages du répertoire.
Le plaisir éprouvé par James Levine à diriger cet
ouvrage est particulièrement visible sur cette captation. Le chef
américain nous en propose une lecture d'une grande plénitude,
sans surprise mais non sans gourmandise, aussi juste dans la solennité
que dans la poésie. De la riche pâte qu'il obtient de son
orchestre émergent avec une rare acuité les mille détails
sonores qui donnent à cette partition un esprit inégalable.
Je ne suis d'ailleurs pas certain qu'une seule oeuvre inscrite au répertoire
soit en mesure de rivaliser avec les Maîtres chanteurs pour
ce qui est du commentaire orchestral toujours spirituel et pertinent. En
homme de théâtre consommé, James Levine veille également
à un parfait équilibre entre fosse et plateau et mène
toutes ses troupes vers le succès. Chapeau, Mister Jimmy !
Physiquement, le corpulent Ben Heppner n'évoque pas un Walther
idéal (encore que cela soit infiniment moins gênant ici que
dans le Tristan de Dieter Dorn), mais il en va tout autrement sur
le plan vocal, où il conjugue avec un rare bonheur souplesse, lyrisme
et vaillance. A une solidité sans faille, le ténor canadien
ajoute en effet l'italianité de la ligne et la lumière dans
l'aigu exigés par un rôle dans lequel seul Peter Seiffert
a été capable de rivaliser avec lui au cours des dernières
années. Dans cette production, Ben Heppner a succédé
en 1995 à Francesco Araiza qui, deux ans plus tôt, avait formé
un couple radieux avec Karita Mattila. Nous retrouvons ici la soprano finlandaise,
Eva lumineuse à la voix de miel et aux aigus glorieux, qui lance
le quintette avec une grâce indicible avant de nous offrir un "Keiner
wie du" d'anthologie. Sa prestation reste un régal, même si
sur le plan scénique d'autres rôles conviennent mieux aujourd'hui
à sa féminité épanouie que celui de la virginale
et minaudière fille de Pogner. A ses côtés, Jill Grove
campe une Lene savoureuse, quoique parfois un peu trémulante.
On apprécie le lyrisme David, distribué comme il se doit
à un Tamino (le sympathique et juvénile Matthew Polenzani)
et non à un Mime, car l'apprenti est un maître chanteur en
puissance. René Pape, visuellement un peu jeune encore pour le rôle
de Pogner, s'affirme une nouvelle fois comme l'héritier de Kurt
Moll pour le velouté du timbre, l'homogénéité
et l'autorité de la voix. En dépit d'une certaine usure des
moyens, Thomas Allen s'impose comme un mémorable Beckmesser. Admirablement
servi par la caméra, il impose avec une force étonnante un
personnage tantôt menaçant et tantôt pitoyable, mais
jamais bouffon, à mille lieues de certaines caricatures. Excellent
car parfaitement ambigu, il prend place aux côtés de l'inoubliable
Hermann Prey (Beckmesser ici même en 1993 et 1995, et surtout filmé
à Bayreuth en 1984) au sommet de la vidéographie du rôle.
Son extraordinaire performance d'acteur atteint son apogée dans
le concours, où chaque segment de son visage trahit l'angoisse et
où chaque note exprime la détresse. Anthologique !
Wotan incontournable et souverain, James Morris a longtemps patienté
avant d'aborder le rôle de Hans Sachs, conscient des difficultés
vocales et psychologiques de ce rôle magnifique mais écrasant.
A quelques broutilles près, il nous en offre une interprétation
du plus haut niveau. L'éclat du timbre, la noblesse de ton et l'intelligence
de l'interprète forcent le respect et l'admiration. Le baryton-basse
de sa génération campe un Sachs encore jeune, sympathique
poète et philosophe, avec la puissance et l'endurance nécessaires,
qui lui permettent d'aborder le magnifique mais redoutable monologue final
avec des ressources inentamées, mais aussi avec la précision
d'un chanteur de lied dans son Wahn monologue superbement intériorisé.
Pour un coup d'essai, c'est assurément un coup de maître.
Avec des seconds rôles efficaces, et des choeurs impeccables,
nous tenons là une version incontournable des Maîtres chanteurs.
Décidément, au Met, la Nuit des étoiles, c'est souvent...
Vincent Deloge
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