MELODRAMEN
Richard Strauss, Enoch Arden
Robert Schumann, Schön
Hedwig
Robert Schumann, Ballade vom
Heidenknaben
Robert Schumann, Die Flüchtlinge
Viktor Ullmann, Die Weise
von Liebe und Tod des Cornets Christoph Rilke
Franz Liszt, Der traurige
Mönch
Franz Liszt, Lenore
Burkhard Kehring, piano
Dietrich Fischer-Dieskau,
récitant
2 CDs Deutsche Grammophon, 00289
477 5320
L'affiche allèche, la pochette attire et le
sticker apposé
à l'avant du coffret aiguillonne la curiosité: "word and
music in an extraordinary combination". Mieux encore, il s'agit là
d'un "new recording". La firme de Hambourg choie décidément
le vieux barde qui a si souvent honoré l'étiquette jaune.
L'hommage est ainsi double: on fête les quatre-vingt ans de Fischer-Dieskau
(mais ça, DG l'a déjà fait) et on lui offre l'occasion
de regagner le chemin des studios.
En janvier 2003, l'artiste officie donc de nouveau. A-t-il seulement
jamais cessé de le faire ? Ces dernières années, le
chef comme le pianiste (pour un programme Nietzsche à quatre mains
en l'occurrence) se sont souvent signalés. Mais le vocaliste s'est
tu sur les quelques mots du Majordome de la scène finale de Capriccio
concédés aux beaux yeux de sa Comtesse d'épouse (chez
Orfeo).
Le narrateur est bien toujours là, mais il ne chante plus hélas.
Il parle, mieux il récite. Il anime, scande, déclame les
textes de cette forme à la fois rare et pluriséculaire qu'est
le mélodrame. Que l'on pense à Mozart, à Benda aussi
pour se souvenir que l'art est ancien et pratiqué par les plus grands.
Ici se côtoieront par exemple Schumann, Liszt, Strauss et Ulmann.
Et DFD témoigne là, encore une fois, de sa capacité
à irriguer les bacs de productions définitivement hors-normes,
inclassables, originales. Le projet aurait-il seulement vu le jour sans
la caution de son seul nom ?
Car il ne faut pas se leurrer et l'on ne voudra tromper personne: cet
opus-ci est bien le plus marginal des hommages réservés au
vieux chanteur ces derniers mois. Il faudra être germanophile au
moins et germanophone sûrement pour s'abandonner à cet art
rude et aride. Il faudra accepter de garder l'úil rivé sur son livret
pour saisir la quintessence des langues entremêlées de Tennyson,
Shelley, Lenau et surtout Rilke. Il ne faudra chercher là aucune
séduction, aucune mélodie autre que celle génialement
déployée du long souffle de Fischer-Dieskau. L'art du mot
sera forcément ici porté à son plus haut par un artiste
qui en a fait la pierre angulaire de son travail, la clé de sa sensibilité
particulière. Il mettra ici comme toujours beaucoup de talent et
toute l'ampleur de sa vision démiurgique à disséquer
chaque intonation, chaque syllabe pour une récitation malgré
tout incomparablement excitante. La voix elle-même est toujours là
qui ne veut pas s'éteindre, qui ne veut laisser la place à
aucun silence, rigoureuse, timbrée peut-être comme jamais
parce qu'acceptant la règle drastique d'un apprêt minimaliste.
Louera-t-on seulement assez, dans ce contexte, le piano complice de
Burkhard Kehring qui relève le défi de porter, de supporter
même, la vision de l'artiste ? Le jeu est sensible, enflammé,
épique, mais aussi délicat voire délicatement neutre
quand la voix seule doit porter le discours. Enoch Arden et le Cornet
de Ullmann en seront transfigurés, inscrits au firmament, sacralisés
presque, l'engagement rendant nulle et non avenue toute réserve
à l'endroit de cette musique volontairement décousue, discontinue,
déchirée entre les exigences parfois contraires du son et
du mot. Chacun, Burkhard comme Fischer-Dieskau fait dès lors de
la moindre de ces pages une sorte de forme alternative, concurrente du
lied pour lequel le baryton a tant fait tout au long de sa carrière.
Deutsche Grammophon aime
finalement bien son Fischer-Dieskau en lui confiant un projet dont on sait
pertinemment qu'il ne touchera pas le grand public et pour lequel le retour
sur investissement se résumera sans doute à une opération
blanche. Y a-t-il alors plus bel hommage pour un si grand artiste ? Ne
vous y trompez pas pourtant; si vous voulez tenter une expérience
humaine et poétique passionnante, si aussi le contact avec une forme
finalement si peu représentée ne vous rebute pas, inscrivez
ce coffret dans votre discothèque. Il en vaut la peine et cet art-là
vous surprendra sans doute.
Benoît BERGER
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