G.F. Haendel (1685-1759)
The Messiah
(HWV 56)
( le Messie )
Lynne Dawson - Nicole Heaston,
sopranos
Magdalena Kozena, mezzo
Charlotte Hellekant, contralto
Brian Asawa, contre-ténor
John Mark Ainsley, ténor
Russell Smythe, baryton,
Brian Bannatyne-Scott, basse
Choeur des Musiciens du Louvre
Les Musiciens du Louvre
Direction, Marc Minkowski
Enregistré à l'Opéra
Bastille en 1997.
ARCHIV PRODUKTION - DDD
471 341-2 (2 CD)
Il n'est sans doute pas inutile de rappeler que c'est dans le cadre
d'un film de William Klein que Marc Minkowski a livré cette vision
éminemment personnelle du Messie. ARCHIV en avait déjà
publié quelques extraits qui, à l'époque, avaient
suscité un bel enthousiasme. Mais fallait-il isoler cette performance
du contexte qu'il a vu naître ? Le public ne prête évidemment
pas la même attention à la bande son d'un film au cinéma
et à la musique lors d'un concert ; a fortiori, un mélomane,
confortablement installé dans son salon, aura d'autres exigences.
N'étant pas distrait par les images provocatrices de William Klein,
il risque, par exemple, de se braquer davantage sur les difficultés
que rencontrent les choeurs (comment ne seraient-ils pas dépassés
par la dynamique et les tempi démentiels imposés par le chef
?). Précisons encore que nous avons affaire à une version
allégée de l'oeuvre, les numéros 33 à 37 ayant
été supprimés pour l'occasion (de Lift up your
heads, O ye gates à
The Lord gave the word).
C'est en homme pressé et en despote que Marc Minkowski s'approprie
le chef-d'oeuvre de Haendel. Que cherche-t-il à prouver ? Que le
Messie a besoin d'être vivifié ? Qu'il faut l'adapter au goût
du jour, à cette obsession de la vitesse qui taraude nos contemporains
? Minkowski joue du Minkowski, à un point tel qu'il frise l'exercice
de style : il voudrait s'auto parodier qu'il ne s'y prendrait pas autrement.
Un allegro (And the glory of the Lord) succède à
l'andante du premier air (Every valley shall be exalted )
? Minkowski enchaîne deux allegros. Les exemples foisonnent
: Brian Asawa transforme O thou that tellest good tidings to Zion
en une gigue frénétique, savonnant au passage quelques vocalises
(je reviendrai sur ce plateau a priori luxueux), les larghettos
deviennent des andantinos agressifs (récit du ténor
All
they that see him laugh him to scorn ) et les moqueries de la foule
se muent en une agitation hystérique : He trusted in God that
He would deliver Him résonne comme un appel à la curée
! Haendel opte pour un allegro (Let us break their bonds asunder)
? C'est encore trop lent pour Monsieur : du nerf, fonçons ! Et tant
pis si le chant piétine et le texte se disloque. A quoi rime cette
surenchère ? Minkowski dirige-t-il avec une baguette ou un chrono
? Pour épater le bourgeois et faire parler de soi, il suffit sans
doute d'appuyer sur l'accélérateur et de cravacher les choeurs
; par contre, pour renouveler l'approche d'un tel monument, ne faut-il
pas d'abord s'incliner devant le génie du compositeur ? Entre interpréter
et réécrire, il y a un fossé, que seuls franchissent
les présomptueux et les téméraires ...
Au milieu de ces fulgurances, le largo majestueux qui ouvre la seconde
partie est accueilli tel un havre de paix : les phrases retrouvent leur
ampleur et les mots leur densité, la musique respire et une atmosphère
à la fois tragique et recueillie introduit la déploration
pour alto : He was despised. Celle-ci évoque de manière
frappante le Scherza infida enregistré en janvier 1997 (coïncidence
?) par Anne Sophie Von Otter : tempo étiré, suspens
insoutenable et diminuendo jusqu'au murmure, jusqu'à ce filet
de voix détimbrée sur lequel expirait Ariodante. L'effet
était saisissant, mais fragile, comme l'expérience de la
scène devait le démontrer. Certains jugeront la lecture de
Charlotte Hellekant sublime et déchirante, mais d'autres, que ces
soupirs et ces syllabes trop savamment détachées laisseront
de marbre, demeureront fidèles à la sobriété
de Carolyn Watkinson (Hogwood-L'Oiseau-Lyre) ou à la l'émouvante
simplicité de James Bowman (Willcocks - EMI). Minkowski peint à
larges traits, privilégie les basses (instrumentales), mais néglige
les dessus et ne soigne guère les détails (la pureté
de l'intonation laisse franchement à désirer - la laideur
des violons qui ferraillent à la fin de But who may abide
a de quoi faire dresser les cheveux sur la tête !), il exagère
les contrastes et force le trait, comme d'habitude ; mais son tempérament
bouillonnant nous vaut néanmoins quelques belles réussites.
La violence tellurique du choeur Surely He hath borne our griefs
(basses, là aussi, somptueuses !) et un For unto us a child is
born jubilatoire nous rappellent que les Choeurs des Musiciens du Louvre
n'ont rien à envier aux meilleures formations britanniques.
En revanche, les solistes constituent un autre sujet de déception.
Seuls John Mark Ainsley, en digne successeur d'Anthony Rolfe-Johnson (un
Behold
and see d'anthologie) et, malgré la clarté de son timbre,
le baryton Russel Smythe - qui nous offre un grisant
The trumpet shall
sound - tirent véritablement leur épingle du jeu. Impeccable
technicienne, Nicole Heaston (Rejoice greatly) est bien trop sage
pour exulter - par contre, son timbre pur et impersonnel ne gênent
pas dans le duetto pastoral He shall feed His flock like a shepherd
où s'épanouit également le chant sensible de Brian
Asawa. Lynne Dawson ne semble guère concernée : elle expédie
un How beautiful are the feet sans charmes et décoche des
aigus à réveiller un mort dans If God be for us. Le
moins qu'on puisse dire, c'est que nous avons connu l'artiste plus délicate
et inspirée ! Haendel destinait l'air
But who may abide au
contralto Senesino, mais il l'avait transposé afin qu'il puisse
être chanté par un soprano en l'absence du castrat. Bien qu'il
ait à sa disposition à la fois un contralto et un contre-ténor,
Marc Minkowski a choisi la version pour soprano, qu'il confie, paradoxalement,
à un mezzo : Magdalena Kozena. On peut comprendre qu'il ne résiste
pas à ce timbre chaleureux et mordoré, mais si l'expression
est juste, la voix est moins sûre et l'anglais, improbable. Enfin,
comment ne pas déplorer la mollesse et la tiédeur de la basse
Brian Bannatyne-Scott ? La fureur des rois exige un impact et une noirceur
qui lui font cruellement défaut, sans parler de triolets poussifs
et souvent en décalage avec l'orchestre. J'en reviens à ma
première question : fallait-il vraiment commercialiser cette expérience
? Marc Minkowski est le premier à reconnaître qu'il n'aurait
pas abordé le
Messie de la même manière pour
un concert ni pour un enregistrement studio ...
Bernard Schreuders
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