Domenico ALALEONA (1881-1928)
MIRRA
Opéra en deux actes
Création 1920
Livret : les deux derniers actes
de Mirra,
pièce de Vittorio Alfieri
(1786),
inspirée des Métamorphoses
d'Ovide
Denia Mazzola - Gavazzeni : Mirra
Julia Gertseva : Cecri
Hanna Schaer : Euriclea
Mario Malagnini : Pereo
Frank Ferrari : Cinirio
Choeurs de Radio France
Chef de choeur invité
: Fritz Näf / Chef de chant : Attilio Tomasello
Maîtrise de Radio France
Directeur musical
et chef de chúur : Toni Ramon
Orchestre national de France
Direction : Juraj Valcuha
Violon solo : Luc Héry
Enregistrement en concert par
Radio France, Paris
Le 21 novembre 2003, Salle Olivier
Messiaen
2004 Radio France/Naïve V
5001
2 CDs - Temps total 79 / 72
Oedipe, Oedipe, quand tu nous tiens...
Plutôt mourir que d'appartenir à un autre homme, fût-il
le plus digne d'être aimé ! Plutôt mourir de la main
de sa propre mère que de lui hurler sa haine jalouse !
Plutôt mourir de la main d'un père adoré que de
lui avouer un désir monstrueux !
Pure, idéaliste, jeune et belle, Mirra incarne la souffrance
féminine à son paroxysme.
En 1908, alors que la théorie freudienne du complexe d'Oedipe
était déjà bien connue, Alaleona choisit ce grand
thème antique pour son opéra Mirra. Il utilisa comme
livret, sans y apporter aucun changement, le texte des deux derniers actes
d'une tragédie de Vittorio Alfieri (1749-1803) inspirée des
Métamorphoses
d'Ovide.
La redécouverte en Italie, en 2002, de cette partition complètement
oubliée d'un compositeur et musicologue mort à 37 ans en
laissant plus de 600 oeuvres très diverses, dont cet opéra
d'une puissance dramatique extrême, fait partie des petits miracles
dont on rêve. Cet enregistrement "live" d'un concert Radio France
d'exception, donné le 21 novembre 2003, a donc sa place dans la
discothèque de tout amateur d'art lyrique curieux. D'autant plus
que le cahier de présentation qui l'accompagne, dans une édition
bilingue (français/anglais), fournit l'information absente - et
pour cause - des usuels et des anthologies musicales. Selon Hélène
Cao, dans son introduction à l'oeuvre d'Alaleona, "sa vaste culture
musicale, son intérêt pour le chant grégorien et la
polyphonie de la Renaissance s'allient à une volonté de renouveler
le langage et l'esthétique de la musique italienne. Auteur de nombreux
articles, il expose sa "Théorie de la division de l'octave en parties
égales" dans la Rivista musicale italiana en 1911 et la met
en oeuvre dans son opéra Mirra avec lequel il gagne un concours
à Rome en 1913."
L'écriture dAlaleona, bien que personnelle, est de toute évidence
héritière de Wagner, Puccini, Strauss et même Debussy.
Dès la première écoute, on est pris par cette musique
fluide, sinueuse, contrastée, dont le flot continu crée un
climat plus angoissé qu'angoissant, comportant des plages d'un calme
non moins inquiétant. Au moyen d'un jeu instrumental expressionniste,
incluant un travail très subtil des percussions, parfois proche
du bruitage, les éléments se déchaînent et s'apaisent
avec une pulsation haletante, profonde. La voix humaine semble naître
du tissu sonore produit par l'orchestre pour s'en échapper et s'y
noyer. Et, à l'inverse, les instruments font souvent plus qu'accompagner
les chanteurs, ils tiennent un discours parallèle, créant
différents plans sonores qui confèrent à l'ensemble
un grand relief. L'intérêt est maintenu en éveil d'un
bout à l'autre de cette oeuvre dense, tendue à l'extrême.
Sous la baguette de Juraj Valcuha, les musiciens de l'orchestre de Radio
France sont à la hauteur de la tâche ; l'engagement se ressent
à tous les pupitres. À l'acte I, en contraste avec la folie
hystérique de Mirra, le choeur incarne la sagesse. Les représentants
des prêtres et du peuple comprennent vieillards, jeunes filles, enfants,
tous habilement caractérisés musicalement.
Dans le rôle-titre, la soprano italienne Denia Mazzola-Gavazzeni
trouve un personnage à la mesure de ses moyens vocaux. Elle passe
aisément des cris suraigus aux notes plus graves qui se brisent
et s'étouffent. Durant chaque face à face avec les autres
protagonistes, dans un crescendo dramatique inexorable, elle semble
une bête traquée à mort par un invincible démon
intérieur. Son excellente diction et sa remarquable intelligence
du texte sont au service d'un tempérament dramatique indéniable.
Le ténor italien Mario Malagnini, un peu nasillard dans les aigus,
a dans l'ensemble de sa tessiture un timbre plutôt agréable.
Il chante avec conviction le rôle de Pereo, l'amoureux éconduit
qui sera poussé au suicide. Les deux mezzos Julia Gertseva (Cecri)
et Hanna Schaer (Ruriclea) interprètent très correctement
la mère et la nourrice de Mirra. À noter, pour la première
surtout, quelques difficultés avec la prononciation et le phrasé
italien.
Le baryton niçois Frank Ferrari, spécialiste de la mélodie
française, interprète Cinirio avec une grande autorité.
Pour exprimer sa colère douloureuse, la voix sombre, ample, généreuse
sait être, tour à tour, menaçante et vibrante d'émotion.
À l'acte II, sa longue confrontation avec Mirra tient l'auditeur
en haleine avec de très beaux moments, en particulier le duo "deh
parla, deh parla, figlia unica amata" où sa voix et celle de la
soprano se fondent dans une immense souffrance partagée.
Comme tout enregistrement lyrique qui se respecte, ce coffret contient
naturellement le texte intégral du livret original en italien avec
ses traductions en regard et les notices biographiques de tous les interprètes.
Une oeuvre curieuse, intéressante, qui vaut la peine d'être
découverte et réécoutée.
Brigitte CORMIER
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