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Pierre Miscevic
Divas, La force d’un destin
Hachette Littérature, 2006, 308 pages
LES AILES BRULEES
« Sur nos scènes se produisent aujourd’hui de
grandes cantatrices dont la technique parfois remarquable a
remplacé le magnétisme des divas et qui, hors
scène, troquent les toilettes de Dior pour des jeans, les
destins tragiques pour des vies sans histoires. »
Ainsi se conclut l’ouvrage de Pierre Miscevic, Divas, La force d’un destin.
D’ici, on voit le tableau.
C’est encore là l’ouvrage d’un de ces grands
fanatiques que l’opéra a le don de générer.
A croire qu’on inventa l’opéra pour permettre
à quelques poignées d’individus de donner
matière et aliments à leurs névroses. Ah, on les
connaît, les adeptes de la diva-maman-putain, les amateurs
d’histoires de coulisses, les frénétiques du
contre-mi, les sectaires du callassisme, les illuminés du bel
canto. Ajoutez à cela une sensibilité de petit
garçon et un larmoiement de vieillard sur les belles choses qui
s’enfuient, un appétit féroce pour les destins
malheureux et vous avez tous les ingrédients de la fameuse
folle lyrique. Autrement dit : tous les arguments utiles pour
descendre en flammes le présent ouvrage. Une consoeur ne
s’est-elle pas fait un plaisir de livrer sur ce bouquin un
commentaire qui, souriant et maternel, assénait des coups de
trique sévères (parlant de livre pour
« midinettes », rien de moins) ?
Ce livre, nous l’avions gardé sous le boisseau, car nous ne voulions être ni expéditif ni injuste.
Et en définitive, c’est avec chaleur que nous le recommandons.
Oh, pas tant pour les histoires qui y sont consignées. Tous nous
connaissons plus ou moins les vies brisées de Malibran, Falcon,
Colbran, Callas, Cerquetti, Duval. Ces talents fauchés par des
forces si supérieures et si imprévues, ces
célébrités destituées. Pierre Miscevic a
utilisé la documentation qu’il avait : de seconde
main pour les défuntes, de première main pour la
Cerquetti et la Duval, qu’il est allé rencontrer en Italie
et en Suisse. Le historiettes de l’opéra, les anecdotes,
les menus incidents et les coucheries de hasard, rien ne manque. Vous
saurez tout sur Edo, le mari de la Cerquetti qui, le soir venu,
réécoutait les enregistrements de sa femme en sanglotant,
ce qui pourrait bien, dixit Miscevic, avoir provoqué la
névrose de leur fille unique. Vous saurez presque tout sur les
amants improbables de Poulenc et l’effet de ces romances sur son
humeur et sa création. Vous saurez tous sur les avortements de
la Colbran.
Non, nous le recommandons pour l’espèce de
naïveté joyeuse qui partout l’irrigue. Ce livre est
un livre d’amour et de passion. Les histoires racontées
ici le sont avec une sorte de constant ravissement.
D’émerveillement presque contagieux. La musique
n’est qu’un ingrédient de ces romans de femme,
où le sexe, l’argent, la jalousie ont leur part. Faut-il
dire avec notre consoeur que c’est là du niveau
« Harlequin » ? Non, car ce livre
n’est pas celui d’un froid faiseur, mais d’un
admirateur effréné. Il circule partout l’humeur
enjouée de l’inconditionnel, qui ne compatit avec le
malheur que pour, faisant un pas de côté, en admirer la
splendeur : oui le malheur est splendide, le tragique nous
transporte, l’affligeant nous enchante… parce que cela
nous change de la quotidienne vacuité. Et lorsque tant de
désastres sont transcendés par les somptuosités de
l’Art, alors c’est le comble : c’est ce
qu’on appelle le sublime, car alors la douleur devient sacrifice.
Si bien qu’au cœur de ce livre ne se trouvent ni
l’art, ni le sentiment, ni l’amour, ni rien de tout cela,
mais en somme une description assez fouillée et fiévreuse
de l’esprit de sacrifice, de vies sacrificielles. Que tout cela
soit raconté sur un ton plutôt aimable, bien tenu, ne doit
pas offusquer ce fond-là : car enfin, l’ultime phrase
du livre, citée ci-dessus, n’est pas seulement une
jérémiade de barbon ni un
« hélas » de réactionnaire poussif,
mais une interrogation véritable et nécessaire, qui nous
renvoie tous à nos griffonnages et à nos
médiocrités – qui, aujourd’hui, porterait l’amour de l’art jusqu’à l’incandescence du sacrifice ?
Il faut remercier Pierre Miscevic d’avoir osé, avec son
bon sourire et son entrain adolescent, poser cette question, car elle
est de celles, peu nombreuses, qui peuvent encore blesser notre
époque confite en auto-satisfaction.
Sylvain FORT
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