Stanislaw
Moniuszko
Le manoir
hanté
Le Porte-Glaive : Adam Kruszewski
Hanna : Iwona Hossa
Jadwiga : Anna Lubanska
Damazy : Krzysztof Smyt
Stefan : Darius Stachura
Zbigniew : Piotr Nowacki
La femme de l'Echanson : Stefania
Toczyska
Maciej : Zbigniew Macias
Skoluba : Romuald Tesarowicz
Marta : Agnieszka Zwierko
Grzes : Jacek Parol
Une femme plus âgée
: Stefania Toczyska
Choeur et Orchestre
de l'Opéra National
Polonais
Jacek Kaspszyk
2 Cds EMI, 7243 5 57489 2 8
Il y a, dans le monde de l'édition discographique, des comportements
qui semblent ne pas relever d'une logique évidente. Ainsi celui
de soutenir un projet comme celui que EMI nous propose, alors même
où l'on nous rebat presque quotidiennement les oreilles avec la
crise de l'industrie du disque. En effet, qu'une maison comme EMI, qui
a depuis quelques années déjà, considérablement
freiné son programme de production en termes d'opéras, se
lance dans "l'aventure Moniuszko" a légitimement de quoi surprendre.
Non pas que la musique du compositeur polonais soit déshonorante,
au demeurant. Mais la moindre honnêteté intellectuelle est
aussi de reconnaître que Moniuszko relève avant tout d'une
discographie de complément. Et si le geste est un gage réconfortant
en matière de diversité culturelle, il n'en relève
pas moins que, hors le marché polonais, il y a fort à parier
qu'un tel coffret aura du mal à trouver son public.
Au moins faut-il reconnaître à la firme anglaise le soin
et la qualité apportés dans la réalisation du projet.
La notice hagiographique au possible n'aide pourtant pas à se faire
une idée juste du talent de Moniuszko. On sent même une sorte
de culpabilité des producteurs à l'endroit du mélomane,
dans un texte qui cherche, en tirant à hue et à dia, à
faire du compositeur le pivot d'une certaine culture polonaise. Assimilé
à Glinka, à Smetana aussi, il aurait composé une musique
qui "apaisait les besoins du public polonais". Le fait est qu'il y a beaucoup
d'influences dans cette musique et que le compositeur saupoudre avec un
métier solide qui frôle le talent des bribes de bel canto
et des rythmes qui évoquent parfois Offenbach, le tout parcouru
de bouffées de Meyerbeer. Moniuszko s'avère aussi très
habile à mettre en place un univers de magie par le traitement tout
en finesse de l'orchestration, de même qu'il manie avec justesse
l'héroïsme des tessitures avec, chez Hanna et Stefan surtout,
des moments proches de Weber ou de Marschner. L'histoire elle-même,
celle de deux célibataires poussés au mariage par les sortilèges
fabriqués d'un pseudo-manoir hanté, mâtinée
d'influences si justement appariées, file à un train d'enfer.
Le mérite en revient principalement au chef qui anime la partition
d'une fougue discursive, sans trêve ni repos, jusqu'à la brillante
mazurka finale. Kaspszyk est idéalement soutenu ici par une phalange
sans reproche. Les cordes sont drues à souhait, montant à
l'assaut avec éclat et verve, les cuivres sonnent avec une ampleur
digne d'éloge, la percussion elle-même, à défaut
d'être très distinguée, est au moins massive et impérieuse,
alors que la petite harmonie distille avec délice les plus beaux
sortilèges de l'enregistrement. La clarinette solo jouit en effet
d'une sonorité pleine et lunaire qui fait merveille, comme aussi
les pupitres de flûte qui parent de très délicates
irisations l'air de Stefan à l'acte 3. Le violon concertant de l'air
de Hanna est aussi très convaincant.
Des voix elles-même, il est peut-être plus difficile de
juger la situation avec finesse. La raison la plus évidente en réside
essentiellement dans le fait que Moniuszko a réservé peu
de passages à la voix soliste et que le discours vocal se déploie
principalement sous forme d'ensembles, où les chanteurs affirment
cependant une qualité irréprochable dans la polyphonie et
l'écoute réciproque. Cela donne des moments d'équilibre
fort louables. Stefania Toczyska mise à part, les chanteurs de cette
production sont peu habitués au circuit international.
De Toczyska justement, usée jusqu'à la trame mais diseuse
hors-pair dans un idiome qu'elle rend savoureux comme peu, on dira simplement
qu'elle promène encore sa carrure de bête de scène
avec une autorité péremptoire, et qu'elle parvient même
à animer des couplets par ailleurs assez faibles, avec un aplomb
qui crève l'écran. Du côté des ténors,
les tessitures très hautes malmènent audiblement les organes
convoqués pour le projet. C'est ainsi le cas du Stefan de Stachura,
qui phrase magnifiquement son air mais dont le timbre sans radiance vrille
irrémédiablement lorsque la tessiture ou la dynamique s'élèvent.
Les voix graves, sans réelle individualité non plus, témoignent
elles-aussi d'un phrasé et d'un port royal quand les timbres s'avèrent
relativement secs. Une mention pourtant doit être réservée
au Porte-glaive de Kruszewski et au Maciej de Macias dans des prestations
de haut niveau. C'est enfin peut-être chez les dames qu'il faudra
chercher les moments vraiment incontournables de l'enregistrement. Si aucune
n'est vraiment irréprochable, ne serait-ce que du seul point de
vue de l'intonation, les voix sont idéalement charpentées,
avec cette solidité toute slave, démonstrative presque, qui
amène nos deux prime donne à chanter leurs parties
sans complexe aucun. C'est d'abord la Jadwiga de Lubanska au timbre rond,
poitriné sans excès, à l'aigu d'une belle radiance
qui joue d'un souffle qui lui permet des phrasés amples, diluant
la ligne dans un quasi effet de brume, et de beaux aigus en suspension.
C'est enfin la Hanna de Hossa dont l'air très weberien est abordé
avec un élan sans apprêt, un timbre peut-être un peu
sec dans les harmoniques, mais d'une carnation palpable, au discret vibrato
qui accroche un peu dans l'aigu mais apporte au personnage une palpitation
toute juvénile.
Une production qui ne s'imposait donc pas, pour une musique sympathique,
mais sans vrai génie ; cependant, un enregistrement avant tout très
probe qui témoigne d'un esprit d'équipe à la fois
solide et ludique, et réunit aussi quelques voix que l'on aurait
tort de sous-estimer, et que l'on aimerait entendre à nouveau dans
d'autres conditions. Un disque enfin qui ne doit son statut (précaire)
de référence moderne qu'à son individualité
- c'est, sauf erreur, des trois versions du Manoir hanté, la seule
promise à une disponibilité régulière - au
sein d'un marché où il aura certainement du mal à
trouver sa place.
Benoît BERGER
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