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Giuseppe VERDI

NABUCCO

Dramma lirico en quatre parties
Sur un livret de Temistocle Solera

Nabucco : Leo Nucci
Isamele : Miroslav Dvorsky
Zaccaria : Giacomo Prestia
Abigaille : Maria Guleghina
Fenena : Marina Domashenko
Il Gran Sacerdote : Goran Simic
Abdallo : Walter Pauritsch
Anna : Renate Pitscheider
Mise en scène : Günter Kraemer
Décors : Manfred Voss et Petra Buchholz
Costumes : Falk Bauer
 Réalisation : Brian Alfons Wassmuth
Choeurs et Orchestre du Wiener Staatsoper
Fabio Luisi

Enregistré le 9 juin 2001 à l’opéra de Vienne

1 DVD TDK, DPWW-OPNAB
126 minutes – Pas de bonus




"Nuccidonosor"

Amateurs de peplum et d’aventures bibliques “à la” Cecil B. de Mille, passez votre chemin…Vous qui en revanche adorez les Tosca transposées sous l’ère fasciste ou les Gianni Schicchi dans la Florence des années 1950, ce DVD peut vous intéresser… A vrai dire, les premiers auraient dû se méfier en lisant le nom de Günter Krämer, s’ils se souviennent de sa  Juive  de 1999, dont plusieurs éléments semblent se retrouver dans ce Nabucco viennois de 2001. Feraient-ils des économies sur les productions ?

L’axe du metteur en scène, c’est, nous dit-il dans la petite brochure jointe au DVD, « le déchirement intérieur des personnages », la force du symbole et la profondeur de la parole : « la politique ne se situe qu’en apparence au premier plan et « le pouvoir politique n’est brigué que par dépit amoureux ». Admettons. Les acteurs semblent en effet dirigés, ce qui n’est déjà pas si mal, mais il faut aussi reconnaître qu’avec les deux principaux protagonistes, difficile de se rater, tant Maria Guleghina et Leo Nucci brûlent les planches, nous y reviendrons.

Donc, Nabucco est un méchant tyran des temps modernes, antisémite et sanguinaire, évidemment. Et surtout, pour que l’on suive bien, rien ne manque, même pas le landau année 40 abandonné sur le côté de la scène « façon exode de 40 » ou les photos des « déportés » brandies par les survivants… Un conseil au metteur en scène : qu’il se mette à Samson et Dalila, cela pourra re-servir ! Je ne vois pas non plus pourquoi, à partir de ces vérités vraies qui ont été énoncées, Günter Krämer et ses comparses, notamment Falk Bauer aux costumes, nous infligent de telles horreurs. L’entrée de Nabucco est saisissante et l’effet recherché est atteint : c’est terrifiant ! Contrairement à ce qu’explique la notice, Nabucco n’arrive pas « en costume smart qui fait penser à un populiste des temps modernes ». Il arrive en costume plouc, bleu criard, avec un manteau col de fourrure, qui le fait ressembler à un mafieux raté … C’est pas smart, c’est cheap.

La masse chorale est bien exploitée (« Va pensiero » attaqué par le chœur allongé, qui se relève au fur et à mesure) et on peut sauver quelques bonnes idées, de ci de là… à côté de moments à la limite du grotesque (par exemple, lorsque les choristes entament une danse juive autour de Nabucco qui attaque sa cabalette du IV). L’ensemble laisse toutefois sur sa faim, avec la lancinante question suivante : entre la routine du Met, par exemple, et ces tentatives, où trouver le juste milieu ? Est-on condamné au ringard ou à l’abscons pseudo branché ? Sellars avec Don Giovanni à Aix, y était arrivé, alors…

Côté interprètes, la distribution est contrastée. Le chef d’abord, rend justice à la partition très belcantiste de Verdi. Les rythmes sont souvent endiablés – brillante fin du I - et rappellent fortement ceux du jeune Muti. Les mêmes effets sont employés, par exemple dans le « Va Pensiero », dont la dernière note est tenue par le chœur longtemps après que l’orchestre s’est arrêté. Les chanteurs sont très bien soutenus et pour l’ensemble de ces motifs, la direction emporte entièrement l’adhésion.

Côté solistes, Nucci domine la distribution de la tête et des épaules. Vocalement, on ne peut qu’être surpris par l’état du matériau vocal après trente ans de carrière et d’innombrables représentations, surtout au cours de l’année 2001, pour le centenaire de la mort de Verdi. Dans ce rôle qui lui va à merveille, Leo joue de tous les registres : l’autorité, la prostration, la révolte, le pardon. La ligne de chant est soignée, la musicalité jamais prise en défaut : « Dio di Giuda » est attaqué piano, avec un soutien parfait. Le DVD permet aussi de « voir de près » un artiste incroyablement expressif. C’est aussi une « anti-leçon » de chant pour les apprentis barytons soucieux de technique : comment arrive-t-il à faire ce qu’il fait, en projetant ainsi vers le bas toute la lèvre supérieure, notamment dans les aigus, et en rétrécissant l’ouverture de la bouche, là où d’autres devraient l’ouvrir au maximum ? Vous me direz « tout le monde n’a pas les moyens de Leo Nucci »… En tout cas, rien que pour lui, ce Nabucco vaut le coup. Leo Nucci est grand.
   
Sa partenaire principale est Maria Guleghina, habituée du rôle un peu partout dans le monde et qui l’a récemment gravé en DVD pour DG, avec Juan Pons, dans une production du Met captée deux mois avant cet enregistrement viennois. Je n’ai pas grand-chose à ajouter à ce que dit mon confrère dans sa critique, tant les prestations sont scéniquement proches. Même enthousiasme brûlant (par exemple dans la cabalette du II, reprise avec des variations identiques), même générosité, même musicalité dans des moments où on ne l’attend pas (« Anch’io dischiuso un giorno » et scène finale réussis). En revanche, et c’est pour le moins gênant, la Guleghina est en difficulté sur tous les aigus, nombreux dans la partition et désespérément bas. Le sublime duo du III avec Nabucco est en tout cas un des moments forts de ce DVD, à voir plus qu’à écouter.

Zaccaria est la basse florentine Giacomo Prestia. Même si la voix paraît déjà quelque peu usée et manque parfois de projection, Prestia est un Zaccaria de très bonne tenue, avec de beaux moments pleins de morbidezza, notamment dans la Prière du II. Dans le rôle vraiment ingrat d’Ismaël (vous en connaissez un bon ?), Miroslav Dvorsky – frère de Peter, mais moins connu – ne démérite pas. Mais ses rares phrases un peu tendues ne donnent pas envie de l’entendre dans des rôles plus exposés. Quant à Marina Domashenko, à moins de trente ans, la mezzo sibérienne saisit chaque seconde de son rôle pour exposer sa belle voie chaude et presque trop lourde pour Fenena. Son italien est parfois difficilement compréhensible, mais sa prestation est convaincante. Pour le coup, on en redemande !

Au final, pour les fans de Nucci et de Nabucco, ce DVD est un témoignage indispensable. Pour les autres, je reprends volontiers la conclusion de Benoît Berger sur le DVD précité : cette production viennoise n’est pas inintéressante, pas banale et routinière en tout cas, et, dans une dvdgraphie somme toute limitée, cet opus là vient prendre toute sa place.

   Jean-Philippe THIELLAY

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