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Vincenzo BELLINI (1801-1835)
NORMA
Tragédie lyrique en deux actes
créée au
Théâtre de La Scala de Milan le 26 décembre 1831
Livret de Felice Romani d'après la tragédie d’Alexandre Soumet
Norma : Elena Suliotis
Pollione : Gianfranco Cecchele
Adalgisa : Fiorenza Cossotto
Oroveso : Ivo Vinco
Clotilde : Anna di Stasio
Flavio : Franco Castellana
Chœur & Orchestre de la Scala de Milan
Direction Oliviero de Fabritiis
Enregistrement live à Tokyo, le 30 août 1971
MYTO (2MDCD0007 – 3830257900078)
« E tardi ! »
Encore une Norma !
Les enregistrements disponibles au disque sont aujourd’hui
légion, les nombreuses versions Callas en tête, alors
pourquoi ce nouveau live proposé par Myto ?
D’autant que les interprètes apparaissant sur la pochette
sont des titulaires habituels de leur rôle, certains
l’ayant enregistré, et ce plus d’une fois pour Ivo Vinco et Fiorenza Cossotto. (1)
Non, ce qui fait l’originalité de cet enregistrement, et ce qui fait son prix, c’est la Norma d’Elena Suliotis,
qui nous est rendue par cette soirée captée lors
d’une tournée de La Scala à Tokyo en 1971 : sa
Norma studio est
indisponible depuis bien longtemps, Decca qui lui avait fait
enregistrer l’œuvre,
« allégée » certes (2), n’ayant
jamais eu l’heur de rééditer l’enregistrement
en CD.
Ce rôle devait convenir parfaitement à cette voix hors du
commun… Un ambitus impressionnant, un engagement dramatique
électrisant, un métal de voix reconnaissable entre tous,
mêlant opulence et un côté glacé. Il
n’est qu’à entendre ses enregistrements, notamment
de Nabucco : que ce soit
en studio, dirigé par Gardelli, ou plus encore en live (1966
à La Scala), ils laissent transparaître les
déchaînements de cette voix aux graves puissants, aux
aigus clairs et dardants et un tempérament qui lui fait
rechercher toujours ses limites… ce que d’aucuns ont
qualifié de suicide vocal…
Et la carrière de cet astre brûlant leur aura certainement
donné raison… Débutée en 1964, elle aura
duré une dizaine d’années, même si la
cantatrice a tardivement tenté un come-back.
C’est donc avec une certaine fébrilité que l’on place le CD dans le lecteur.
On est tout d’abord agréablement surpris par la
qualité du son pour un enregistrement de concert (3), les timbres
sont respectés, les saturations rares. On notera seulement que
la prise de son met les voix très en avant.
L’orchestre et le chœur de la Scala en tournée au
Japon sonnent merveilleusement dans ces conditions. Et l’on est
séduit par la direction sans esbroufe de de Fabritiis, les tempi
semblent évidents, la partition n’est jamais
assénée. On sent le chef par ailleurs très
attentif, usant avec parcimonie de rubato afin de laisser respirer les chanteurs.
Premier à entrer en scène, Ivo Vinco
(Oroveso) a une voix saine et belle, relativement légère,
mais on lui reprochera une diction et une ligne de chant pas toujours
orthodoxes.
Gianfranco Cecchele
est un Pollione très solide, d’une belle vaillance.
Malgré un côté un rien frustre (quelques aboiements
et coups de glottes, notamment dans « Me
protegge »), son timbre mâle et son chant expressif
emportent facilement l’adhésion.
Apparaît alors celle que l’on attendait, et le
« sedizioze voci » nous fait immédiatement
replonger dans le timbre étrange de la cantatrice grecque.
Le « Casta diva » est très doux, mais les abellimenti
révèlent un manque d’agilité, qui met la
ligne à rude épreuve dans le « Ah bello a me
ritorna ».
Il faut peu de temps pour que se révèlent les
problèmes de cette voix immense. Une fêlure apparaît
au détour d’une phrase, la soudure des registres est
devenue problématique, entre le grave puissant (au poitrinage
parfois envahissant), et des aigus toujours impressionnants même
si moins aisés que par le passé, et d’une justesse
parfois approximative.
Et pourtant, on est tout de même captivé dès le
début ! On ne reviendra pas sur le timbre d’airain.
L’engagement dramatique est superlatif, voire excessif. Il faut
entendre le début du second acte, où Norma hésite
à sacrifier ses fils… On est très loin du bel
canto ici, la voix se faisant tour à tour caressante et rauque,
se muant en un instant du murmure au cri. Le chant alterne lui aussi
des moments de pure grâce, des aigus piani comme en apesanteur,
avec des sons d’une rare laideur (4). Mais qu’importe, cette
Norma blessée vit intensément et rarement le personnage
aura été autant de chair et de sang. La lente
montée finale vers le bûcher est à ce titre un
sommet.
Face à cette Norma torturée, on retrouve une Adalgise
resplendissante de santé et de jeunesse. Pas encore sujette aux
vulgarités qu’on a pu lui reprocher plus tard, Fiorenza Cossotto
incarne une Adalgise ardente, au timbre clair et éclatant (5), qui
se joue des difficultés de la partition. Une superbe
performance !
Au final ce disque laisse une impression de grande
étrangeté. Il ne peut certes pas être
recommandé comme une référence de par ses
défauts criants… Mais il ne peut pour autant être
ignoré tant il offre une image de Norma captivante… En un
mot, une expérience unique !
Antoine BRUNETTO
Notes
(1) Le ténor, Gianfranco Cecchele, lui, sauf erreur, n’a jamais eu les honneurs du studio en Pollione.
(2) La version souffre de nombreuses coupures.
(3) On est en certes en1971.
(4) Ah ce poitrinage vulgaire du « Oh ! di qual sei tu vittima » !
(5) Le mariage avec la voix plus sombre de Suliotis dans les duos est magnifique.
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