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Wolfgang Amadeus Mozart

Le Nozze di Figaro

Operabuffa in quattro atti 
sur un livret de Lorenzo da Ponte d'après Beaumarchais

Production donnée au Staatsoper unter den Linden en 1999
Avec Emily Magee (La Contessa), Roman Trekel (Il Conte), 
Dorothea Röschmann (Susanna), René Pape (Figaro), 
Patricia Risley (Cherubino), Rosemarie Lang (Marcellina), 
Kwangchul Youn (Bartolo), Peter Schreier (Basilio), 
Peter Menzel (Don Curzio), Bernd Zettisch (Antonio),
Yvonne Zeuge (Barbarina) 

Staatsopern Chor (direction : Eberhard Friederich)

Berliner Staatskapelle

Daniel BARENBOIM, direction

Mise en scène : Thomas Langhoff,
décors : Herbert Kapplmüller
costumes : Yoshio Yabara
lumières : Franz Peter David 

Réalisation : Alexandre Tarta

1 DVD Arthaus Musik

Réalisation pertinente et fluide de Tarta, qui a bien su capter le rythme et l'énergie de cette production óseules certaines scènes d'ensemble comme le final du premier acte ou la cérémonie au III souffrent un peu de la transposition au petit écran ; mais il faut admettre que le foisonnement de détails dans ces moments n'est pas évident à saisir ...


On ne se lasse jamais des Noces ; et même si l'on a déjà pu voir un peu tout et n'importe quoi dans cet opéra, on ressent toujours une grande curiosité, comme un petit titillement chaque fois qu'une nouvelle production paraît en vidéo ...

La production filmée ici au Staatsoper unter den Linden de Berlin en 1999 est depuis au répertoire de cette maison, où elle tourne régulièrement (reprise en octobre et mai de cette saison, elle sera à nouveau donnée en novembre 2001 et mai et juin 2002, avec à quelques chanteurs près la même double distribution*) ; et l'on ne peut que s'en réjouir, car on tient là à mon sens une réussite quasi totale.

Rarement mise en scène aura, tout en faisant preuve de tant d'humour et de drôlerie, autant souligné l'aspect grinçant et cruel de cette folle journée aux rebondissements proprement machiavéliques.

Loin des réactualisations échevelées néo-sellarsiennes, et à autant de lieues de la reconstitution historicisante façon Drottningholm, Thomas Langhoff prend le parti d'un certain "classicisme" ... mais c'est pour le mieux détourner, mon enfant ! Décors aux couleurs automnales, bien mis en valeur par des lumières sobres et élégantes, costumes, beaux et fonctionnels (le Comte, Susanna et Cherubino étant particulièrement gâtés), mêlant avec bonheur et habileté (on serait presque tenté de dire évidence) les époques (plutôt connotés XVIII° pour le comte et Susanna, années 2000 pour le Cherubino en civil, immédiat après-guerre [et chaussures ... vert pomme !] pour Barbarina...), tout ici visuellement vient renforcer l'intemporalité du livret de Da Ponte, tout comme la direction d'acteurs, subtile, intelligente, mais toujours naturelle, spontanée, et surtout pleine d'un humour pince-sans-rire du meilleur effet. Le dispositif scénographique, astucieux (on remarquera notamment la passerelle aux troisième et quatrième actes, qui permet une très intéressante gestion des nombreuses saynètes de récitatif en aparté), sert parfaitement cette mise en scène sans temps mort et dont les maîtres-mots sont vivacité et finesse.

Mais l'atout essentiel de cette production est sa distribution sans faille, parfaitement équilibrée, où pas un ne tire la couverture à soi, et où chacun chante et joue avec un engagement et une sincérité confondants, et ce toujours en parfaite adéquation avec ses partenaires. Les personnages secondaires sont interprétés avec humour, même s'ils ne brillent pas par leur originalité; quant au trio de vieux conspirateurs sur le retour, il est impayable. Face au Basilio perfide et veule de Peter Schreier, Rosemarie Lang est persifleuse à souhait en Marcellina, et fait preuve de tant de fantaisie que l'on en vient à faire allègrement abstraction de sa récurrente tendance à la tonitruance pour ne suivre que sa prestation théâtrale ; et Kwangchul Youn étonne agréablement par son humour en Bartolo (ah, le coup de manteau sur "Laaaaaa vendetta !" !) - et quelle voix ! Son air au premier acte est un régal ... du grand luxe ! 

C'est cependant avec le quintette de tête que l'on touche réellement à l'excellence. Emily Magee est très touchante en Comtesse, sans sombrer pour autant dans une trop grande affliction : cette Rosina-là n'a pas totalement renié le tempérament fougueux de sa jeunesse, et c'est avec malice qu'elle complote avec sa camériste ; René Pape campe un Figaro solide, malin, franc, joyeux, mais aussi grand gamin, hâbleur, soupçonneux et jaloux.

Rarement Comte aura été aussi antipathique, noir ou cynique que dans l'interprétation de Roman Trekel, suzerain crispé et retors. La voix est superbe, le tempérament sombre et violent à souhait, et la présence admirable, et sa grande scène au troisième acte ("Hai gia vinta la causa ? ... Vedro mentr'io sospiro") donne froid dans le dos, sommet de paranoïa maladive et de rage malsaine. Face à un tel Almaviva, il fallait une Susanna et un Cherubino particulièrement épicés pour donner toute leur saveur aux nombreux imbroglios et quiproquos amoureux, mais aussi aux sublimes ensembles dans lesquels ceux-ci se trouvent impliqués ... et ô miracle, c'est justement le cas ici ! 

Cherubino troublant de vérité et d'ambiguïté, Patricia Risley prête avec fougue et volupté son physique étonnament crédible, son mezzo somptueusement corsé et son tempérament et son engagement théâtral proprement renversants au page des Almaviva pour ce qui est une véritable révélation. 

Quant à la Susanna de Dorothea Röschmann, elle est tout bonnement ... irrésistible ! Fraîche et enjouée, malicieuse voire espiègle, mais aussi tendre et sensuelle, la jeune soprano allemande joue des innombrables couleurs de sa voix chaude et ronde pour mettre en valeur tous les aspects de son personnage, avec un plaisir évident à dire son texte. Son "Deh vieni, non tardar" au dernier acte est un pur moment d'émotion et de douceur teintée d'inquiétude, où l'on se délecte de chaque syllabe, de chaque appoggiature, de chaque inflexion de la ligne de chant, non sans une pensée pour ce pauvre Figaro là-haut sur sa passerelle, car paradoxalement, Röschmann fait preuve là d'une tendresse tellement frémissante que la jalousie de son époux en devient presque justifiée ...

Mais à force de m'émerveiller devant ces dames, j'allais oublier de parler de ce qui se passe dans la fosse d'orchestre ! Que dire de la direction correcte mais routinière de Barenboïm, si ce n'est le regret qu'il ne laisse pas plus le temps à ses chanteurs de respirer ... Certains passages sont joués tellement droit que cela vire à la course-poursuite cartoonesque entre solistes et chefs, les premiers en étant réduits à anticiper certains départs afin de ne pas se laisser abandonner en bord de route par le second trop occupé à cravacher ses musiciens pour vérifier que ses passagers ont bien bouclé leur ceinture de sécurité ! Pour le reste, on ne peut qu'apprécier une Staatskappelle parfaitement à l'aise dans cette musique qui lui est familière.
 
 

* Juste une remarque lorsque l'on jette un coup d'oeil à la brochure 1999/2000 du Staatsoper unter den Linden : la double distribution permettait de voir également rien moins que Cecilia Bartoli en Susanna (la seule à disparaître de la distribution lors des reprises) et Malena Ernman en Cherubino ... Le moins que l'on puisse dire est que les berlinois sont gâtés !
  


Mathilde Bouhon



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