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Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)
LES NOCES DE FIGARO
Figaro, Ildebrando D'Arcangelo
Susanna, Anna Netrebko
Il Comte, Bo Skhovus
La Contessa, Dorothea Röschmann
Cherubino, Christine Schäfer
Marcellina, Marie McLaughlin
Bartolo, Franz-Josef Selig
Basilio, Patrick Henckens
Don Curzio, Oliver Ringelhahn
Antonio, Florian Boesch
Barbarina, Eva Liebau
Cherub, Uli Kirsch
Mise en scène, Claus Guth
Chorégraphie, Ramses Sigl
Décros & costumes, Christian Schmidt
Réalisation, Brian Large
Chœur de l'Opéra de Vienne
Orchestre Philarmonique de Vienne
Nikolaus Harnoncourt
2 DVD Deutsche Grammophon, 073 4245
Journée de fous
Imbécile que je suis ! Pourquoi ai-je chargé les Noces
de Klemperer à la place de celles d'Harnoncourt ? Mais ! Mais
non, c'est bien Harnoncourt ! Hélas ! Allons bon ? Qu'est-il
arrivé au chef ? Cent fois sur le métier, etc. Cent fois
pourquoi pas. Encore faut-il avoir quelque chose à dire. Car
deux fois, pour Harnoncourt, c'est déjà trop.
Au-delà de ses moyens, alors ? Ses premières Noces n'étaient déjà pas un foudre de guerre. Mais là ; là, on touche au ridicule. Au RIEN !
Jusqu'où Harnoncourt ne peut-il pas aller ? Jusqu'à la
déconstruction ; jusqu'au morcellement ; jusqu'à
l'assèchement. Comment peut-on malmener ainsi Mozart ? Comment
peut-on faire subir ce traitement à une partition
réputée (à tort, apparemment) inratable ? Non, M.
Harnoncourt, il ne faut pas faire un sort à chaque note ! Non,
on ne peut pas ralentir ainsi une ouverture au risque d'en faire une
(pontifiante) marche funèbre ! Non, le duetto
de Susanne et Cherubin, en apesanteur, n'est pas la discussion
lénifiante de deux comtesses autour d'une tasse de thé !
Mozart était intelligent et savait mettre dans sa musique ce
qu'il fallait y entendre. C'est peut-être, là, la
clé de l'univers du trublion salzbourgeois : savoir en faire
chanter "simplement" la musique ; en dérouler la partition, la
ligne. Non, M. Harnoncourt, les Noces
ne sont pas un rebut infâme d'effets expressionnistes ! Non ! Et
nous autres, auditeurs, n'avons pas besoin de cette dictée
musicale permanente pour apprécier l'œuvre ! Mais vous
nous prenez pour qui ?
Heureusement, il y a le Philharmonique de Vienne pour innerver le tout
; pour défendre l'indéfendable. Pour alléger un
peu (mais à l'impossible nul n'est tenu) les semelles de plomb
d'un finale du II… "juste" lourd ! Il y a Vienne qui est un des
rares orchestres qui sait vraiment habiter la lenteur et la
déguiser en hédonisme. Il y a Vienne qui sauve les
meubles.
Et le plateau ? Et la mise en scène ? Elle ne plaira pas
à tous, évidemment. Pas à ceux qui attendent de la
poudre et des kilomètres de tulle et de ruban (ceux là
iront chez Böhm filmé et réédité par
TDK). Là aussi il y a du sens à revendre. Beaucoup.
Beaucoup trop ? Pas sûr. Moins en tout cas que chez Harnoncourt.
Pas au niveau d'une prise d'otage permanente, en tout cas. Les
idées sont souvent bonnes, comme celle de cet amour
("Cherub") proustien, androgyne (c'est la règle du jeu) et
véritable meneur de jeu (c'est lui qui arme le bras de Figaro
pour Se vuol ballare ou qui
dicte la lettre de la comtesse). C'est cet amour (qui est l'amour avec
un grand "A") qui meut chaque personnage ; c'est sa présence, et
elle seule, qui les anime dans l'ouverture. C'est finalement assez bien
vu. Bien vu comme l'est la rudesse qui secoue les rapports entre le
comte et la comtesse ; comme l'érotisme qui échauffe la
scène de travestissement du II. Bien vu comme l'est, aussi,
l'abandon de la comtesse aux pieds de Susanne (ce n'est pas vraiment
l'hommage de la vertu au vice mais plutôt un passage de
témoins de la "plus-aimée" à la
"plus-qu'aimée").
C'est finalement très juste et tout sauf anachronique. Cela,
d'ailleurs, malgré la transposition plutôt bien
négociée dans des années 30 de cinéma.
Plutôt bien, seulement, parce que cela sent un peu son
militantisme est-allemand (voir le personnage de Bartolo, à son
entrée). Et vraiment, vraiment bien filmé par un Brian
Large très inspiré qui utilise le contre-champ comme
d'autres la délation (le comte et Susanne durant Se a caso madama).
Un bon film, sincèrement. Un film dans le film, presque, qui
capte avec talent tout ce que la mise en scène de Guth
(exceptionnel directeur d'acteur) doit aux mélos (dans le bon
sens du terme… s'il y en a un) hollywoodiens. L'escalier ne vous
rappelle pas celui de ces maisons théâtres de la Warner ?
Et Marceline ne nous fait-elle pas un numéro alla Bette Davis de
la période Mankiewicz et Aldrich ? C'est ça
l'intelligence dans la citation. Avis à qui vous savez !
A Hollywood, Hollywood et demi ! Quels physiques ont les héros. Je résume : le latin lover
ténébreux, la beauté pulpeuse
(vénéneuse aussi, un peu), le bellâtre
vieillissant. Comme ils sont mobiles ; comme ils vivent. Comme ils nous
donnent envie quand l'envie, dès l'ouverture nous avait
quittés ! Au point, chez Skovhus, de nous faire oublier l'usure
des moyens, la surcharge permanente, l'italien
nauséabond… et le reste que je ne dirai pas !
Avec D'Arcangelo et Netrebko on tient, sans doute, un couple magnifique, jeune et pas seulement ; jeune et plus encore. Lui a l'italianità
forcément et la voix, simplement fabuleuse, avec un petit
surplus de phéromones qui ne laisse pas indifférent ;
elle, a le charme inné et la ligne glamour (gorgeous diront ses fans), plus… plus un soupçon d'embourgeoisement qui va bien à Susanne avec un Deh vieni,
d'un moelleux, d'une légèreté d'estompe, où
perce une Comtesse en puissance. Sans faire pourtant de l'ombre
à la Comtesse, justement, de Röschmann qui amorce un joli
virage lyrique, toujours souple mais nourri, plein d'un poids bien
affirmé et d'une ligne émue et émouvante pour Dove sono.
Mention enfin, pour le Cherubin "toujours jeune" de Schäfer (qui
ne l'est plus tout à fait) et dont les émois passent bien
l'écran.
Pas forcément recommandable (pas pour une découverte en
tout cas) ; pas honteux (au moins pour le dvd… Le cd, je ne dis
pas). Alors ? A essayer… en n'écoutant pas
forcément les sirènes freudiennes du chef.
Benoît BERGER
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