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Wolfgang Amadeus MOZART

Le Nozze di Figaro

Dramma giocoso en quatre actes

Il Conte - Simon Keenlyside
La Contessa - Véronique Gens
Susanna - Patrizia Ciofi
Figaro - Lorenzo Regazzo
Cherubino - Angelika Kirschlager
Marcellina - Marie McLaughlin
Basilio, Don Curzio - Kobie van Rensburg
Bartolo, Antonio - Antonio Abete
Barbarina - Nura Rial

Collegium Vocale Gent
Concerto Köln
Pianoforte Nicolau de Figueiredo

René Jacobs, direction

Harmonia Mundi, 3CD, HMC 901818.20


Ces Nozze, longuement attendues arrivent après un Così fan tutte qui avait fait sensation. Est-ce le voisinage d'une si totale réussite vocale et instrumentale qui nous laisse un peu sur notre faim à l'écoute du présent coffret ? Est-ce le souvenir de ce théâtre des passions humaines qui fait que ce nouvel enregistrement prend un air de scène d'intérieur embourgeoisée? Il se peut aussi qu'il reste dans l'oreille et dans l'esprit de l'auditeur quelques souvenirs émerveillés de la production qui a préludé à ces Nozze ... Ceux qui ont assisté au spectacle parfaitement rôdé du Théâtre des Champs Elysées, comme ceux qui n'en ont recueilli que la manne musicale sur les ondes de France Musiques, feront le triste constat qu'une partie de la magie véhiculée par la scène s'est éventée sur la route du studio.

La faute en incombe principalement au chef. On a peu l'habitude de remettre en cause les options de René Jacobs, cependant, il semble que pour une fois sa remarquable érudition ait partiellement sclérosé le discours musical. La notice est, à cet égard, révélatrice d'un certain "trop-plein" d'intentions. Jacobs y justifie, avec force références aux ouvrages contemporains de la création, ses choix, qu'ils concernent la question des équilibres orchestraux, celle de l'ornementation, des tempi ou des récitatifs. Toute la difficulté du parti pris théorique résidait dans sa faculté à enrichir la portée humaine de cette folle journée, sans lui retirer de sa verve goldonienne, ni de sa spontanéité un peu naïve. Et le fait est que Jacobs ne tient qu'à moitié ses promesses, avec de notables chutes de tension dans le propos et d'intérêt chez l'auditeur. Ainsi un duo placide que l'on voudrait vitupérant presque entre Suzanne et Marcelline et ce second final qui va de lenteurs en brusques saccades, jusqu'au coup de boutoir conclusif.

Le premier opus de ce qui se profile comme une trilogie Mozart-Da Ponte, un Così, nous l'avons dit, d'une virtuosité incendiaire, était construit sur la présence d'un orchestre meneur de jeu, un Concerto Köln souverain. On le retrouve ici avec un plaisir que l'on aurait tort de bouder, égal à lui-même dans le fruité du son, dans la cohésion des pupitres, comme dans sa capacité justement concertante à soutenir les irruptions d'instruments ou de groupes d'instruments solistes dans le propos. La palette dynamique est suprêmement maîtrisée d'un bout à l'autre du spectre, ce dont témoigne une ouverture magistrale. Et quand chef et instrumentistes parviennent à trouver un juste modus vivendi, on retrouve le Jacobs que l'on aime, avec ses fulgurances rythmiques et sonores, comme ce duo Comte-Suzanne cajoleur, ou ces cordes graves rugueuses, rustiques comme une réminiscence du terroir à l'entrée du choeur au troisième acte.

Au milieu de ce tableau mitigé, les chanteurs ont du mal à trouver leur place. De la distribution scénique, Jacobs a conservé principalement sa Comtesse, sa Suzanne et son Figaro. Des prime donne on ne sait trop que louer. Véronique Gens, avec ce timbre rond, moelleux qu'on lui connaît, avec cette palpitation dans l'aigu qui est autant une petite tension qu'un léger vibrato, campe une Comtesse grande dame, qui navigue entre la neurasthénie latente d'un "Dove sono" à la mélancolie délicatement hédoniste, et la rouerie d'une jeune femme derrière laquelle on devine le sourire taquin de la Rosine du Barbier de Séville. Pour Patrizia Ciofi, le moment semble venu de réparer l'oubli dans lequel l'avaient confinée les maisons de disques, et ce n'est que justice. Le soprano italien qui connaît sa Suzanne sur le bout des doigts, sait être mutine avec Chérubin, et simplement tendre au quatrième acte quand il s'agit d'attendre son bien-aimé sous les marronniers. Elle s'entend comme personne à construire sa ligne de chant autour du mot, qui n'a plus qu'a être porté par un timbre mielleux, légèrement voilé dans le médium, comme une aurore qui tarde à poindre. La terza donna c'est Marie McLaughlin, Suzanne de classe qui est ici la femme abandonnée "nouvellement" mère. L'idée d'une Marcelline quadragénaire est ingénieuse et très juste dramaturgiquement parlant et si l'on se réfère à l'âge du fils retrouvé, en l'occurrence Figaro. Harnoncourt avait déjà proposé une telle lecture du rôle, mais avec une Ann Murray effondrée vocalement. McLaughlin est souveraine dans ce rôle qui lui va comme un gant, et ce ne sont pas quelques tensions dans les aigus de son air qui viendront mettre un bémol à cette interprétation.

On se permettra de compter Chérubin au rang des hommes. Kirschlager, mezzo idéal pour l'emploi, semble ici gênée aux deux extrêmes de la tessiture, et si l'incarnation reste toujours juste, on n'en dira pas autant de quelques appoggiatures rien moins que douteuses dans un "Voi che sapete" qui déçoit.

Figaro c'est Lorenzo Regazzo, très joli port vocal, un peu engorgé dans le grave, plutôt raide d'émission quand il s'agit d'ornementer, mais surtout assez froid d'incarnation, sans le sourire qui sied à ce pré-révolutionnaire qui s'ignore. Le Comte de Simon Keenlyside, lui, avec une substance vocale d'une densité remarquable, sombre et brillante, peut-être placée un peu bas, joue de la palette de l'habituel mari jaloux, naviguant entre un mezzo forte insinuant et un forte presque continu, qui claque et qui impose l'image d'un potentat absolutiste un peu univoque et convenu. Autour du maître et du valet, on va du très bon (Kobie van Rensburg frais de timbre et juste d'intentions), au décevant (un Antonio Abete qu'on a connu plus virtuose et imaginatif).
Au final, si l'ensemble reste malgré tout d'une grande qualité, le théâtre lui ne sort pas vainqueur, décrédibilisé par une battue nerveuse mais indécise. Seul, il reprend sa place au cours de mémorables récitatifs portés à bout de bras par un pianofortiste de génie, qui sait avec tact et justesse dramatique, dans le corps même du texte, pratiquer de savoureuses interventions.

L'objet discographique lui-même est d'une très grande classe, boîtier cartonné velouté, notice encyclopédique, un coffret soigné dont la pochette dit cependant toute l'ambiguïté du propos. Un tableau de Watteau qui nous projette dans le monde superficiel par essence de la fête galante, quand ce Figaro "néo-classique" (c'est le mot même du chef) se serait mieux accommodé d'une image pré-révolutionnaire de David ou Boilly. A chacun donc de se faire son opinion...
 
 

Benoît BERGER


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