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Carl Maria von WEBER (1786-1826)

OBERON

"Opéra romantique" en trois actes de Carl Maria von Weber (1786-1826)

Livret de James Robinson Planché (1796-1880)
d'après la comédie de William Shakespeare A Midsummer Night's Dream
(Le Songe d'une nuit d'été, 1595-96)
et la traduction réalisée par William Sotheby en 1798 du poème épique Oberon (1780)
de Christoph Martin Wieland (1733-1813),
s'inspirant lui-même de la chanson de geste
Les Prouesses et faitz du noble Huon de Bordeaux (XIIIe siècle).

Création au "Theatre Royal, Covent Garden" de Londres, le 12 avril 1826.

(Première représentation en allemand, dans une traduction de Theodor Hell 
et avec des récitatifs composés par Fr.(?) Wüllner : Leipzig, 23 décembre 1826).

Oberon, roi des elfes, ténor : Steve Davislim
Reiza, fille du calife de Bagdad, soprano : Hillevi Martinpelto
Fatima, sa servante, mezzo-sop. : Marina Comparato
Sir Huon of Bordeaux, Duke of Guienne, ténor : Jonas Kaufmann
Sherasmin, son écuyer, baryton : William Dazeley
Puck, elfe, serviteur fidèle d'Oberon, contralto : Frances Bourne
First Mairmaid (Première Sirène), mezzo-s. : Katharine Fuge
Second Mairmaid (Seconde Sirène) mezzo-s. : Charlotte Mobbs
Trois elfes : Charlotte Mobbs, Lindsay Wagstaff, Mark Dobell
(Récitant : Roger Allam)

Monteverdi Choir
Orchestre Révolutionnaire et Romantique
Direction : John Eliot Gardiner

Enregistré du 15 au 19 mars 2002 à The Colosseum, Watford
(Decca Musik Group Limited, 2005)
Philips 475 65 63 (2 CD)
Durée totale 122'44
(Ouverture : 8'48 ; Acte I : 34'29 ; Acte II : 40'31 ; Acte III : 38'56)
Textes de présentation et synopsis
en anglais, français et allemand ; livret en anglais.


"Le bruissement incertain de la nature"

 
 
 

Carl Maria von Weber était conscient du caractère particulier d'Oberon, ouvrage conçu pour le public britannique et comportant de nombreux dialogues ; le compositeur eut du reste le mérite d'apprendre exprès l'anglais. Selon lui, l'irruption du parlé et l'absence de musique dans les moments cruciaux éloignaient l'oeuvre du genre opéra alors en vogue dans toute l'Europe, empêchant ainsi une "circulation" de l'ouvrage. Weber n'eut pas le temps d'y remédier car il disparut quelques mois après la création. Il nous faut donc nous contenter de la version originale, en sachant que de nombreux arrangements tentèrent de tirer l'oeuvre vers l'opéra, rejetant les dialogues au profit de récitatifs ou de "mélodrames" (moments parlés mais durant lesquels l'orchestre joue une mélodie). Au passage, les personnages se trouvèrent chanter en allemand, italien ou encore français, selon la langue choisie !

L'essentiel est ailleurs, à jamais sculpté dans l'Art : la réussite géniale et parfaite avec laquelle Weber ressentit le sujet et conçut sa musique. Son traitement des voix et de l'orchestre évoque de manière saisissante cette atmosphère fantastique impalpable et pourtant proche de la nature, toujours un peu mystérieuse. Ainsi, ces sonorités étranges des flûtes durant le n°1 semblent si "modernes", qu'on les dirait sorties de la main d'un compositeur du XXe siècle. André Coeuroy dit avec raison : "Ce fantastique n'est plus menaçant comme dans le Freischütz, ni fantômatique comme dans Euryanthe. Il est à la fois comique et délicat, subtil et poétique. Dans le choeur des elfes il se combine, de délicieuse façon, avec le bruissement incertain de la nature.(1)" .
La sensibilité de Weber au sujet d'Oberon était si vive qu'il semblait y penser avant même d'en recevoir la proposition. En effet, de retour à Dresde après avoir passé le mois de juillet 1824 en cure à Marienbad, il trouve une première lettre du directeur du Théâtre de Covent Garden, l'invitant à composer un opéra. Après l'acceptation de Weber, le directeur lui propose le 15 septembre les sujets de Faust et d'Oberon... Or il existe un témoignage saisissant et pratiquement antérieur, puisqu'il concerne un épisode survenu durant "l'été" de cette même année 1824, et donc probablement avant la réception de la lettre du 15 septembre. "Le chanteur Roth, nous rapporte A. Coeuroy (2), a décrit une promenade qu'il fit pendant l'été de 1824 avec Weber dans la campagne de Dresde : la lumière était éblouissante et l'on n'entendait pas un son, sinon un très léger et lointain bourdonnement d'insectes. Weber s'arrêta, mit un doigt sur sa bouche et murmura : Oberon."

Le nouvel enregistrement intégral dont il est question ici a choisi la version originale anglaise, remplaçant les dialogues par les courtes interventions d'un récitant (une douzaine de minutes au total), intercalées où il était nécessaire.

Hillevi Martinpelto est une Reiza à la voix lumineuse, fruitée et "pleine", caressant de sa souplesse les délicates mélodies que Weber écrivit pour ce rôle. Comme ce "n°18 Cavatina", dont le recueillement et la phrase initiale même, évoquent la sublime prière de Pamira dans L'Assedio di Corinto rossinien. Un abandon et une légèreté admirables caractérisent cette mélancolique complainte sans éclat, sans montée de passion et pourtant intense, que le soprano nous offre d'un timbre égal, d'une voie unie, d'un souffle interminable ! On est d'autant plus surpris d'entendre sa maîtrise du dramatique monologue (n°13), "Ocean ! thou mighty monster" (plus connu sous les paroles allemandes de "Ozean ! Du Ungeheuer !"), dont la musique change au gré des sentiments, occasionnant des écarts redoutables et se terminant par la reprise du si wébérien thème presto con fuoco terminant l'ouverture.

Sa servante Fatima est le mezzo-soprano Marina Comparato dont le timbre semble le décalque du sien ! La souplesse de son chant et sa capacité à vocaliser jouent d'autant plus en faveur de l'harmonie de leurs voix dans le charmant duo "Ah ! happy maid !", contenu dans le Finale Primo (n°6).

Pour compléter ce tableau très homogène de voix féminines, ajoutons l'elfe Puck, interprété en travesti par le contralto Frances Bourne et dont il sera question plus loin. Il faut également nommer les deux sirènes pour leur fort belle scène au début du Finale II (n°14). Katharine Fuge et Charlotte Mobbs rivalisent en effet de légèreté, alors que J. E. Gardiner obtient un orchestre en état de grâce, correspondant à merveille au chant diaphane, impalpable des sirènes... plus rêveuses et moins inquiétantes que leurs cousines vues par Alfredo Catalani dans Loreley, mais peut-être d'autant plus perfides !

Le ténor Steve Davislim est le roi des elfes Oberon et son timbre un peu blanc convient à cet être irréel. En revanche, c'est un messire Huon de Bordeaux bien vivant que campe le ténor Jonas Kaufmann, au timbre clair, puissant et assumant les vocalises avec une belle vaillance. Il sait également alléger son émission pour susurrer la partie centrale de son Aria (n°3), reprenant un beau thème de l'ouverture, ou la Prière de l'acte II (n°12).

Dans le rôle épisodique de Sherasmin, écuyer de Huon, le baryton William Dazeley se montre efficace et d'une belle présence. De même, le contralto Frances Bourne donne un beau relief à l'elfe Puck, fidèle serviteur d'Oberon.

Dès la célèbre et belle ouverture, John Eliot Gardiner insuffle à l'orchestre "Révolutionnaire et Romantique" une juste mesure entre les élans passionnés, voire menaçants et les délicates touches évoquant les mystères de l'atmosphère fantastique baignant toute l'oeuvre. On passe ainsi avec un plaisir évident des sonneries les plus éclatantes aux sonorités les plus impalpables, comme ces traits de flûtes curieusement très modernes pour l'évocation de l'atmosphère fantastique (n°1).
Un art des nuances que l'on retrouve avec bonheur dans la prestation du "Monteverdi Choir", donnant vie, si l'on peut dire, à ces êtres évanescents comme leur chant, ou épousant la fureur menaçante des esprits de l'air, comme la joie rutilante et incisive des bruyants chevaliers.
L'accord avec l'orchestre est complet, résultant certainement du fait que J. E. Gardiner dirige aussi ce Choeur Monteverdi qu'il a du reste fondé. Son travail remarquable aboutit à donner l'impression que Choeurs et Orchestre sont tellement habités par l'oeuvre, qu'ils en deviennent comme deux personnages supplémentaires !
Est-il besoin, dans ce cas, de préciser également la parfaite harmonie des passages d'ensemble, où l'orchestration de Weber laisse les voix solistes pratiquement livrées à elles-mêmes ?

Un peu en marge de la musique, le récitant Roger Allam équilibre avec simplicité ses interventions entre un ton intrigué, convaincu ou évocateur. Cette qualité appréciable et la brièveté de ses interventions (remplaçant les nombreux dialogues originaux et destinées à donner un minimum d'explications) font s'intégrer son rôle à cette fable, vécue, précisément, comme un récit fantastique... ce qu'elle est, pleinement !
C'est aussi ce que cette nouvelle superbe intégrale souligne.
  


Yonel BULDRINI
Notes

(1) In : Weber, Éditions Denoël, Nouvelle édition, revue et augmentée, 1953.
(2) Op. cit.



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