Christoph Willibald GLUCK
(1714 -1787)
Orfeo ed Euridice
Azione teatrale per musica in
tre atti
Création au Burghtheater
de Vienne, 5 octobre 1762
Livret de Raniero de' Calzabigi
Mise en scène : Harry Kupfer
Orchestre et Choeur Royal Opera
House
Direction : Hartmut Haenchen
Orfeo : Jochen Kowalski
Euridice : Gillian Webster
Amore : Jeremy Budd
Amore double : William Edwards
Orfeo double : Jean-Pierre Blanchard
Enregistrement live au Royal Opera
House, Covent Garden, 1991
Landseer production pour RM Arts
en association avec NOS et Channel 4
DVD ARTHAUS MUSIK
83 minutes
Dès l'Antiquité, en passant
par le Moyen ge et le XVIIe siècle avec Monteverdi, le mythe d'Orphée
a fasciné les auteurs. Quand Gluck s'en empare au siècle
des Lumières, il veut renouveler en l'épurant la tradition
de l'opera seria. Son librettiste Raniero de' Calzabigi, s'inspirant des
Métamorphoses d'Ovide, s'attache à montrer par une
fin heureuse que l'homme possède le pouvoir d'influencer son destin.
Dans cette première version en italien de 1762, point d'intrigue
inextricable, point de démonstration de virtuosité. Les trois
protagonistes : Orfeo, Euridice et Amore, le choeur et l'orchestre s'expriment
tour à tour ou se répondent dans une permanente recherche
de clarté et d'harmonie.
En 1774, l'oeuvre sera traduite en français et le rôle
d'Orphée, composé pour castrat alto, sera adapté pour
ténor. Entre cette date et 1838, il y aura 299 représentations
à l'Opéra de Paris ! On pourra y entendre tous les grands
ténors, notamment Nourrit et Duprez.
Puis, en 1859, le courant romantique sévit en la personne de
Berlioz et l'oeuvre de Gluck, avec le concours de la grande cantatrice
Pauline Viardot dans le rôle d'Orphée, connaît une transformation
profonde, notamment de par l'introduction de la fameuse cadence et d'un
nouveau choeur final. Quasiment une deuxième oeuvre, beaucoup plus
dramatique. Enfin en 1889, la partition Berlioz chantée par une
voix de femme est restituée en italien.
À travers ces multiples remaniements, transpositions, réécritures
et ajouts, chaque époque selon sa sensibilité et son goût,
s'approprie ce drame humain fondamental : la perte de l'objet aimé.
Le DVD édité par Arthaus Musik est la captation filmée
d'une représentation donnée au Covent Garden de Londres en
1991. Il s'agit d'une production de 1989 à l'Opéra comique
de Berlin réalisée par Harry Kupfer. Ce metteur en scène
culte des années 1970 à 2000 s'est exprimé avec succès
dans un vaste répertoire lyrique allant de Mozart au contemporain
en passant par Wagner et l'opéra russe.
Foin de cithares et de lyres, foin de morsure de serpents, adieu nymphes,
bergers, spectres, furies ... Orphée est un grand dadais à
guitare qui perd son Eurydice dans un accident non identifié...
Mais heureusement, "Amour", le petit dieu fripon, veille sur lui. En fin
psychologue, Harry Kupfer s'efforce de nous faire ressentir les affres
de l'amour fou, perdu, et retrouvé. Pour cela, dans une esthétique
proche du cinéma noir et blanc, nimbé de bleus et de gris,
il aura recours à tout l'arsenal approprié : ambiance cauchemardesque,
style médecins de nuit, brancards, blouses blanches, hôpital
psychiatrique et camisoles de force. En contrepoint poétique, une
jolie idée : faire incarner le dieu "Amour" par un délicieux
bambin (sans flèches mais avec carquois) qui ne pensera qu'à
jouer au ballon avec Orphée, tout en se montrant fort attentionné
pour soulager sa douleur. Pour comble de plaisir, cet "Amour" s'exprime
par le truchement de la voix verte et fraîche d'un jeune garçon
avant la mue, qui chante dans la fosse avec les choristes, en suivant la
partition.
Les protagonistes évoluent sur un habile dispositif scénique
de panneaux pivotants avec projections et effets de miroirs. Le tout malheureusement
difficile à percevoir dans le format réduit du petit écran.
Malgré ce parti pris visuel décalé, on ne peut qu'admirer
la cohérence et la justesse de l'interprétation tant sur
le plan des voix que celui des instruments - même si l'orchestre
et les choeurs du Royal Opera n'atteignent pas l'excellence des musiciens
et choristes allemands du CD produit en 1988 sous la même baguette
énergique et colorée et avec le même chanteur dans
le rôle-titre.
En écoutant simplement sonner cette version de Vienne débarrassée
de toutes ses fioritures ultérieures et conduite par le chef allemand
Harmut Haenchen, on se demande si l'intensité dramatique - indéniablement
insufflée par le metteur en scène - ne serait pas en l'occurrence
le ferment indispensable de cette émotion retenue qui se convertit
progressivement en un délicat enchantement musical. C'est particulièrement
sensible à la fin du premier acte quand l'orage instrumental remplace
tout naturellement le grand air de bravoure que l'on croyait incontournable,
bien qu'il ne soit que rarement interprété dans toute sa
splendeur vocale.
Il faut dire que sans faire oublier la prestation exceptionnelle de
René Jacobs dont il n'a ni la finesse ni le timbre, le chanteur
allemand Jochen Kowalski (qui refuse l'étiquette de contre-ténor)
n'est pas sans qualités. Au début, son physique de beau garçon
baraqué, ses roulements d'yeux, sa gestuelle alternativement ralentie
et saccadée, son chant assez uniforme et un peu froid ont du mal
à s'imposer dans ce personnage de désespéré.
Il y parvient cependant tant il s'investit, au plus près de la conception
moderniste du metteur en scène. Son timbre plutôt agréable,
sa voix quasi naturelle, jamais forcée, dépourvue de tout
pathos, finissent par emporter l'adhésion (même celle des
adeptes des grandes voix de contralto...). Disons tout de même que
le "Che faro senza Euridice", guitare électrique sous le bras, manque
un peu de cet élan du coeur nécessaire pour un poignant lamento
en ut majeur.
La capiteuse soprano Gillian Webster nous propose une brune Euridice
qui n'a rien d'éthéré. Avec sa voix légère,
mais bien en place, au timbre rond, elle délivre un chant juste
et fin. Elle peut se montrer séduisante, séductrice, tentatrice
à l'extrême tout autant qu'émouvante et même
violente, surtout dans le duo : "Vieni, appaga il tuo consorte" et dans
toute la scène suivante.
En résumé : une lecture au goût du jour qui met
aussi en évidence le concentré d'émotions de la version
originale d'un oeuvre intemporelle.
Mentionnons, pour conclure, l'un des plaisirs non négligeable
de ce DVD, celui de nous faire pénétrer dans la somptueuse
salle du Royal Opera House, Covent Garden et de nous faire goûter
par écran interposé le frémissement enthousiaste d'un
public envié de tout amoureux d'art lyrique.
Brigitte CORMIER
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