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Claudio MONTEVERDI
L’ORFEO
Favola in Musica
sur un livret d’Alessandro Striggio
Orfeo : Kobie van Rensburg
Proserpina : Delphine Gillot
Speranza : Philippe Jaroussky
Caronte : Renaud Delaigue
Plutone : Bernard Deletré
Messagiera : Estelle Kaïque
Euridice : Cyrille Gerstenhaber
Apollo : Philippe Rabier
La Grande Ecurie et La Chambre du Roy
direction : Jean-Claude Malgoire
Mise en scène : Jacky Lautem
Enregistrement octobre 2004 à l’Atelier lyrique de Tourcoing
Dynamic 33477, 1 DVD, 16/9 - Dolby Digital 5.1, PCM Stereo 2.0,
toutes zones, sous-titres en français et en italien.
« Lasciate ogni Speranza voi ch’entrate… »
On attendait beaucoup de cet Orfeo de Jean-Claude Malgoire. Le souvenir de son Couronnement de Poppée
de 1984 d’une belle cohérence dramatique (jamais ressorti
en CDs), laissait espérer semblables retrouvailles.
Hélas, cet Orfeo, en
dépit de quelques beaux passages, ne sera pas de ceux qui
accéderont à l’immortalité apollinienne
prévue au dernier acte de la partition. Il ne mérite
cependant pas d’être lacéré par les
Bacchantes.
Tout d’abord, parlons de la mise en scène :
l’Atelier lyrique de Tourcoing n’a visiblement pas les
moyens scéniques de ses ambitions. L’imagination du
metteur en scène a beau théâtraliser
l’orchestre ou élargir l’espace par un plan
incliné, le drame semble prisonnier d’un sordide garage de
banlieue qui a bien du mal à suggérer de verts
pâturages ou les infernaux territoires de Pluton. Prenons un
exemple : imaginez Orphée, sans lyre, marchant
derrière l’Espérance (en tailleur bleu, arborant un
bizarre couvre-chef pointu ressemblant vaguement à une
budionovka de cavalerie soviétique et marchant avec le pendule
du Professeur Tournesol sur une sorte de piste en aluminium).
Après avoir tourné en rond (histoire de suggérer
un long périple), notre demi-dieu arrive devant la scène
inondée de projecteurs bleus où un nautonier caricatural
– digne d’un film kitch sur Venise - lui barre la route en
le jetant à terre et en le menaçant de sa gaffe qui
ressemble à un bâton de kung-fu… En un mot comme en
cent, l’ensemble de la direction d’acteurs et de la mise en
scène donne l’impression d’une improvisation sans
unité, ni but. Les costumes ne sont pas laids, mais semblent
issus d’un pot-pourri multicolore de l’Histoire du Costume
d’Auguste Racinet : prenez un Sarrazin, mélangez avec
un Egyptien, incorporez un courtisan d’Henri VIII, ajoutez
doucement Apollon en grande tenue papale, et servir
frais…Visuellement, sans que rien ne soit vraiment de mauvais
goût, ce minimalisme subi frise l’indigence de la kermesse
de village.
Les chanteurs sauveront-ils la favola per musica ? Ohimè, trois fois ohimè, certains interprètes ne sont guère à la hauteur de ce si difficile recitar cantando.
La seconde manière de Monteverdi nécessite une
extrême attention au texte, une maîtrise sans faille des
ornements et une expressivité toute empreinte encore de
l’art du madrigal de la Renaissance… qualités qui
font totalement défaut au rôle titre. Kobie van Rensburg
nous livre une pâle caricature de Nigel Rogers (dont on ne
vantera jamais assez la prestation surhumaine avec Jürgen
Jürgens en 1974 chez Archiv) : le timbre rugueux de la voix
dans le registre médian est proche de celui du ténor
légendaire, mais l’émission est instable, avec des
graves inexistants, un vibratello
permanent, des aigus hullulants et une technique hasardeuse. Ainsi, la
difficulté extrême du « Possente
spirito » a fait chavirer nombres de chanteurs. Devant
ses passagi si exigeants,
certains ont tenté l’héroïsme (Eric Tappy,
Victor Torres), d’autres ont livré une vision tendre et
poignante, refusant toute virtuosité (Lajos Kozma). Ni homme, ni
demi-dieu, l’Orphée de Kobie van Rensburg - en veston -
relève du déchiffrage. Néanmoins, de façon
étonnante, le ténor se révèle nettement
meilleur au cours des deux derniers actes, parvenant enfin à
plus d’expressivité et de naturel dans son chant.
Renaud Delaigue, quant à lui, semble en petite forme : son
Charon manque visiblement de projection autant que de prestance.
Serait-ce la difficulté de se tenir sur le fameux plateau
incliné du décor qui est à l’origine de
cette sorte de gêne qu’éprouve tous les chanteurs ?
Même Philippe Jaroussky paraît mal à l’aise en
Speranza avec une voix bien plus nasale et pincée
qu’à l’ordinaire, en dépit des magnifiques
aigus éthérés qu’on lui connaît. Eric
Rabier, quant à lui, campe un Apollon sur le déclin, aux
vocalises plus pénibles les unes que les autres… A
l’inverse, Bernard Déletré se coule parfaitement en
berger (très noble), ou en Pluton (très digne). Du
côté féminin, Cyrille Gerstenhaber incarne une
Eurydice fragile et touchante, alors que Delphine Gillot apparaît
un peu essoufflée dans le rôle de Proserpine.
L’arrivée funeste de la Messagère d’Estelle
Kaïque est émouvante à souhait.
Les passages polyphoniques choraux - interprétés par des
ensembles de solistes comme c’était le cas à
l’époque - sont absolument remarquables, mêlant
poésie du chant et clarté de la diction. On
écouterait bien indéfiniment ce « Ahi casa
acerbo » de l’acte II, où Jean-Claude Malgoire
démontre une fois de plus son talent à exprimer une
douleur intense et contenue (on se souvient de la tragique scène
de déploration lullyste « Alceste est
morte » qu’il affectionne particulièrement).
Voix hésitantes et foudroyées, orchestre voilé en
deuil. Un des plus beaux moments de cet enregistrement.
Au sein de ces eaux troubles, la Grande Ecurie et la Chambre du Roy
reste fidèle au pupitre. Dès la Toccata d’ouverture
en l’honneur des Ducs de Mantoue, on retrouve ce son majestueux,
généreux, ample, d’une spontanéité
joyeuse et un peu brouillonne qui la caractérise. Les cuivres
fusent, d’une justesse approximative mais grandiose. On
retrouvera avec le plus grand plaisir ces trombones vibrants et
austères à partir de la descente aux Enfers. La reprise
déferle, impressionnante par l’opulence des
sonorités et la profondeur de l’orchestre,
particulièrement bien fourni en basses. Pendant tout
l’opéra, la Grande Ecurie et la Chambre du Roy restera
plus que présente, que ce soit pour accompagner les chanteurs
d’un continuo attentif ou égrener quelques ritournelles
dansantes. Quelles douces flûtes, quelle belle harpe, quel
dommage que la scène n’atteignent pas le niveau de la
fosse !
Au passage, on protestera avec vigueur contre les menées
subversives de l’ingénieur du son, profession avec
laquelle Jean-Claude Malgoire a décidément peu
d’affinité : son Alceste de Lully (Astrée), son Catone in Utica de Vivaldi (Dynamic) tout comme cet Orfeo
souffrent de la pollution constante des bruits de scène,
notamment les pas des chanteurs. Le son provient de trop loin, et
capté trop près du sol. Pourtant, la discographie
recèle nombres de perles enregistrées en public sans pour
autant entraîner semblables désagréments sonores,
telles l’Ariodante de Haendel par Marc Minkowski (Archiv)...
Ajoutons que le DVD contient une très intéressante
interview de Jean-Claude Malgoire qui nous explique avec passion son
travail sur l’œuvre, notamment la spatialisation du
continuo et la fin hybride qu’il a choisie. En revanche, il ne
nous éclaire pas sur cet étrange choix consistant
à faire chanter le prologue de la Musica par trois sopranos
différentes. Enfin, la réalisation technique du support
laisse à désirer : absence de menus en
français, chapitrage avare, caméra scolaire qui ne
connaît que le plan fixe d’ensemble ou les champs et
contre-champs.
Pour conclure, en dépit d’une scène aux Enfers
assez réussie, d’une théâtralité
prenante et d’un orchestre épanoui, la version de Malgoire
est trop inégale pour être recommandée.
L’auditeur se tournera donc de préférence vers la
richesse moirée de la version de Jordi Savall (DVD Opus Arte),
ou vers la fraîcheur incomparable de la version pionnière
de Nikolaus Harnoncourt (Teldec), à moins de
préférer la luminosité toute italienne de celle de
Gabriel Garrido (K 617).
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