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Richard Wagner (1813-1883)
PARSIFAL
Festival sacré pour la scène, en trois Actes
Parsifal : Placido Domingo
Kundry : Waltraud Meier
Amfortas : Falck Struckmann
Gurnemanz : Franz-Josef Selig
Klingsor : Wolfgang Bankl
Titurel : Ain Anger
Premier Chevalier du Graal : Benedikt Kobel
Second Chevalier du Graal : In-Sung Sim
Chœur et Orchestre de l’Opéra de Vienne
Direction : Christian Thielemann
Chef de chœur : Ernst Durnshirn
Capté sur le vif à l’Opéra de Vienne en juin 2005
Deutsche Grammophon 2006
DGG 00289 477 6006 – 4 CD (59’13’’,
39’30’’,69’19’’,
74’30’’)
Parsifal sous néon
Quelle tradition germanique ? Thielemann, souvent rangé
parmi les repreneurs de la maison Furtwängler, livre ici une
lecture assez proche de ce que ferait – eût fait - un
Abbado.
Transparence, délicatesse arachnéenne des contours
mélodiques, absence voulue de toute noirceur, de toute
profondeur du son, partout lumière et clarté. Le
Prélude de l’Acte I est une splendeur dans le genre. Comme
les autres préludes, d’ailleurs. L’Acte II, avec ses
mélismes étranges et ses sortilèges fleuris, est
souvent – orchestralement - enchanteur. Cet allègement
permet de travailler la dynamique de façon subtile et
contrastée, d’exaspérer la fièvre de
certains passages (Acte II, encore).
Ainsi exposé à une lumière plus crue, Parsifal
perd toutefois ses bonnes couleurs sombres et de ces mordorures qui,
associées à cette odeur de soufre et à ce parfum
entêtant d’encens, font aussi son… charme ?...
sa… séduction ? disons : son style.
L’Acte I, avec tous ces bons chevaliers en armures qui se
lamentent gravement et à l’infini sur les temps qui
s’en vont (Gurnemanz : -« Tout fout le
camp » / Amfortas : - « C’est juste.
Et moi-même je ne me sens pas très bien »), ne
peut décemment se défendre que dans un énorme sfumato
de fin du monde, avec des ombres menaçantes, des bas-reliefs
noircis par le feu des batailles, quelque chose de sculptural et de
pourri. La lumière jetée par Thielemann sur cette
parcelle de royaume qui sent la pierre humide et la barbe de malade est
certes très intéressante stylistiquement, mais elle est
un peu trop propre, un peu trop clinique. C’est un néon
dans la sacristie. A l’Acte III, cela s’arrange :
Thielemann lâche la bride un peu plus et fait sonner Vienne un
peu façon Berlin (enfin : celui d’avant Abbado et
Rattle). C’est heureux et très beau mais c’est un
peu tard.
Du reste, il n’y a pas que Vienne qui sonne trop Vienne : il
y a les chanteurs. Filles-Fleurs, Titurel, Gurnemanz, et surtout
Klingsor, ont des voix jeunes, claires (clairettes), sans relief,
bonnes pour la vocalité de Weber tout au plus. Est-ce
voulu ? Alors dans ce cas, pourquoi convoquer Placido Domingo, qui
sonne audiblement comme le doyen de l’affaire, et Waltraud Meier,
qui a quelques centaines d’années certes, mais qui sonne
désormais – sauf son respect - comme la mère de
Kundry (on n’entend aucune sauvagerie dans cette voix pleine et
mûre) ? Paradoxe dans le paradoxe : ces deux-là
sont à l’évidence ceux qui sont le plus
concernés par la partition de Wagner, que les autres
déclament avec la placidité de seconds couteaux contents
de l’être. Domingo peine pourtant à animer son
allemand : ce n’est pas une question de prononciation, comme
on l’a souvent lu, mais seulement de sentiment de cette langue.
Falck Struckmann est un cas à part. La voix a de beaux restes,
qui sont parfois de simples (beaux) lambeaux, mais il y a là
à force de grisonnement et de baisses de tension vocale de
véritables limites de caractérisation – à la
scène, c’est autre chose, naturellement.
D’où la question : mais qu’a-t-on voulu
faire ? Chaque protagoniste est à peu près clair
dans ses intentions, qui ne correspondent pas à celles de
l’autre. C’est assez frustrant. Trop de routine chez les
uns, trop d’inexpérience chez les autres, et cette
espèce de volonté d’innover par la clarté et
l’extase lumineuse chez Thielemann, qui tombe à plat faute
de voix adéquates et d’interprètes adhérant
au schéma manifestement voulu. Il eût fallu que tous
communiassent dans une sorte d’extase immatérielle et
céleste – dont nul ici n’a les moyens, sauf
Thielemann justement (parce que, bon : quel grand chef !).
Il nous reste à écouter avec une attention toute
particulière les beautés réelles que le chef tire
de son orchestre – pour nous, la source d’une jouissance
gentiment décadente, bien wagnérienne en somme –
avant de retourner à nos Mödl, Hotter, Vinay, ou même
Van Dam, London, Moll, Norman, Crespin, et autres, au pays où
les chevaliers ont des armures en acier trempé, où les
Kundry ont des yeux de folle, et les Parsifal des voix pleines
d’adolescente ardeur.
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