Jean-Baptiste LULLY (1632-1687)
Persée (1682)
Tragédie lyrique en un
prologue et cinq actes
Livret de Philippe Quinault d'après
les Métamorphoses d'Ovide
Persée : Paul Agnew
Andromède, une nymphe
guerrière : Anna Maria Panzarella
Mérope et la Fortune :
Salomé Haller
Phinée, un Éthiopien
: Jérôme Corréas
Céphée, Idas, un
Cyclope : Vincent Billier
Cassiope et Imène : Monique
Simon
Mercure et Mégathyme :
Robert Getchell
La Vertu, Vénus, Amour
: Béatrice Mayo Felip
Méduse, Phronime, le grand
prêtre, un Éthiopien : Laurent Slaars
Euryale, Corite, un Éthiopien
: Cyril Auvity
Sténone, un Triton : Bruno
Rostand
Maîtrise du Centre de Musique
Baroque de Versailles
Olivier Schneebeli, direction
Les Talens lyriques
Christophe Rousset, direction
et clavecin
Enregistrement live réalisé
le 16 septembre 2001 ? DDD
Textes en anglais et en français
? Astrée Naïve E 8874 (3 CD)
"Ma
devise. ? Aimer, tout le reste níest rien.
Cela se trouve
dans un air de cour de Lambert
et sans doute chez
saint Augustin."
Christophe Rousset,
Lausanne, 6 janvier 2001.
Quinault s'en explique dans une épître au roi placée
en tête de l'ouvrage, le personnage de Persée doit être
compris comme une allégorie du souverain : les éléments
qui composent son équipage ? épée, talonnières,
égide et bouclier ? symbolisent les vertus du monarque, soient le
courage, la diligence, la prudence, l'impénétrabilité
et la piété. Ses actes en reflètent la générosité
et le désintéressement : Louis XIV combat pour instaurer
ou rétablir la paix, sans amertume à l'égard de ses
ennemis et Persée affronte les pires dangers bien qu'il sache Andromède
promise à Phinée, une abnégation qui force le respect
et l'admiration. Or, paradoxalement, ce fils de Jupiter, au centre de toutes
les intrigues, ne se montre guère, se fait encore moins entendre
et ses rares interventions sont d'une extrême sobriété,
sinon d'une indigence déroutante. Le peuple éthiopien, pour
lequel Lully investit le choeur d'un rôle et d'un impact dramatique
nouveaux, et les amants éconduits, Mérope et Phinée,
sont les vrais protagonistes du drame. Persée est une des tragédies
de Quinault les mieux construites et les plus équilibrées,
mêlant habilement la rivalité amoureuse et le conflit qui
oppose les humains et les dieux ; cependant, Lully semble avoir négligé
la figure du vainqueur de Méduse. Le traitement musico-dramatique
des anti-héros que sont Mérope et Phinée les rend
infiniment plus séduisants qu'Andromède ou Persée
(écoutez, tout de même, leur poignant duo : " Ah ! Votre péril
est extrême ! Ö Dieux ! sauvez ce que j'aime" [acte II, scène
6]), leur complexité, leur vulnérabilité même,
les rapprochent du spectateur, le concernent et le troublent davantage.
Passé à la postérité pour avoir été
le librettiste fécond, mais servile de Lully, Philippe Quinault
s'était d'abord fait un nom dans la comédie sentimentale
(L'Amant indiscret [1654], Les Coups de l'Amour et de la Fortune [1656]
et son chef-d'oeuvre, La Mère coquette [1665]). Sa morale amoureuse
affleure souvent dans le texte de Persée et inspire à Lully
des pages admirables de simplicité et de justesse. Christophe Rousset
semble d'ailleurs privilégier le drame individuel et l'expression
sans cesse renouvelée de l'amour : maternel, filial, passionné,
frustré, comblé, tendre, rageur et criminel. L'extrême
concision et le dépouillement, la pudeur qui caractérisent
la peinture des affects chez Lully, en fait tout le prix, mais aussi la
fragilité : l'interprète est mis à nu et s'il n'est
pas impliqué, la mélodie semblera plate et inexpressive.
Lully n'a que faire de beaux gosiers si le chant n'est pas vécu
de l'intérieur : contrairement au récitatif, l'air ne peut
se satisfaire du style, il exige la vérité.
Christophe Rousset a réuni un plateau proche de l'idéal
: Paul Agnew a l'ardeur virile et la noblesse qui siéent à
Persée, partie ingrate, mais sauvée par sa présence
; Anna Maria Panzarella ne sort pas des clichés de la vierge expiatoire,
plus soumise qu'éprise, mais l'imminence du sacrifice lui arrache
des cris de désespoir ("Dieux ! Ö Hélas ! pourquoi me flattiez-vous
d'un espoir si doux ?", acte IV, scène 5) où point la tragédienne
(gageons que l'artiste se libère enfin); Monique Simon incarne à
merveille la Mère, tendre et farouche, prête à en découdre
avec les dieux pour défendre le fruit de ses entrailles ; Phinée
ambigu et vénéneux, Jérôme Corréas rend
justice à un rôle passionnant, sans doute le plus riche avec
celui de Mérope. Salomé Haller y est tout simplement fabuleuse
! Tout est dit dès son premier air : " Mon vainqueur encore aujourd'hui,
Ignore de mon coeur le funeste esclavage : Je mourrais de honte et de rage,
Si l'ingrat connaissait l'amour que j'ai pour lui." (acte 1, sc.2) La grâce
ne se décrit pas, le mot déjà fait sourire, écoutez
plutôt, oubliez un instant vos préventions sur le chant baroque,
sur la manière française, ses afféteries. Sceptique
? Laissez-là évoquer "les appâts de la mort pour un
coeur misérable" (acte V, sc. 6). Il faudra désormais compter
avec elle.
Les nombreux ensembles qui émaillent la partition, de la fugace
prière de Céphée, Cassiope et Mérope (acte
I, sc. 1) aux entrelacs suaves des Gorgones (acte III), illuminés
par le timbre juvénile de Cyril Auvity, en passant notamment par
le duo désespéré, mais ardent de Mérope et
Phinée ("Ah ! Que l'amour aurait d'attraits, s'il ne troublait jamais
la douceur de ses charmes !", acte I, sc. 4), sont tous, sans exception,
admirablement servis. Homogènes et ductiles, les choeurs traduisent
avec un égal bonheur la douceur exquise des suivants de la Vertu
(prologue) et la douleur des Éthiopiens accablés par le sort
d'Andromède ("O Ciel inexorable !", acte IV, scène 3).
En revanche, quitte à prendre ses distances avec la partition,
il eut été plus judicieux de varier les effectifs des choeurs
d'Éthiopiens et des choeurs de Tritons (acte IV, scène 5),
signifié par les mêmes chanteurs, leur antagonisme perd toute
crédibilité.
Amateurs de contrastes acérés, de vivacité rythmique,
de baroque flamboyant (mais vous êtes ici en terres classiques !),
passez votre chemin. Vous avez sans doute raison : les jeux Junoniens manquent
d'éclat (acte I, sc. 5) et les Éthiopiens que l'histoire
prétend ragaillardis ont l'épanchement timide (gigue de l'acte
V). Ce Persée ne nous invite pas non plus au spectacle, les divertissements
ne tiennent pas toutes leurs promesses : Laurent Slaars a de la verve,
mais pas assez de mordant pour impressionner en Méduse et le Sommeil
délicat de Robert Getchell a bien des charmes, mais nous tient éveillés.
Les Talens lyriques rivalisent d'élégance et de finesse,
tissant des atmosphères d'une beauté inouïe : comme
le prélude chromatique qui introduit l'air d'Andromède, "
Infortunés, qu'un monstre affreuxÖ" (acte II, sc. 5). L'orchestre
semble jouer dans sa langue naturelle tant il est confondant d'aisance
et de fluidité. Le goût de la finition ne verse jamais dans
le maniérisme, car le soin apporté au détail s'intègre
au discours en l'enrichissant. Un Lully magistral auquel la scène,
les décors dessinés par Berain, les machines et les monstres
manquent cruellementÖ Indispensable dans toute discothèque lullyste
!
Bernard Schreuders
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