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Claudio MONTEVERDI (1567-1643)
L’INCORONAZIONE DI POPPEA
Drama in musica in un prologo e tre atti
Livret de Giovanni Francesco BUSENELLO (1598-1659)
Poppea : Cynthia Heymon
Nerone : Brigitte Balleys
Ottavia : Ning Liang
Ottone : Michael Chance
Seneca : Harry van der Kamp
Drusilla : Heidi Grant Murphy
Arnalta : Jean-Paul Fouchécourt
Nutrice, Famigliare I : Dominique Visse
Valetto : Claron McFadden
Fortuna : Elena Fink
Amore, Damigella : Sandrine Piau
Virtù, Pallade : Wilke Te Brummelstroete
Mercurio, Console I : Nathan Berg
Soldato I, Lucano, Tribune I, Famigliare II : Mark Tucker
Soldato II, Liberto, Tribune II : Lynton Atkinson
Littore, Famigliare III, Console II : Romain Bischoff
Les Talens Lyriques
Direction musicale : Christophe Rousset
Mise en scène : Pierre Audi
Décors : Michael Simon
Costumes : Emi Wada
Eclairages : Jean Kalman
Production De Nederlandse Opera
Enregistrement live au Het Muziektheater, Amsterdam, juin 1994
2 DVD Opus Arte 2005 OA 0925 D
219 minutes – NTSC Toutes zones
Son dolby Digital 5.1/PCM STEREO
Bonus : synopsis illustré, galerie photos, introduction
COURONNEMENT DE LA MATIERE
Le premier des opéras historiques ne montre pas l’homme
dans ses qualités les plus nobles mais plutôt
l’homme tel qu’il est : compliqué, calculateur,
changeant, érotique, cruel, a(i)mant, avide. Des
caractéristiques d’une actualité brûlante
dans la Venise de 1643, plus particulièrement dans le
théâtre des scandaleux frères Grimani. En est-il
autrement aujourd’hui ? La musique est celle d’un
vieil homme, qui avait déjà eu affaire à tous ces
sentiments et les transcrit avec une finesse, une humanité qui
arracheraient des larmes au plus mal dégrossi des blocs de
marbre.
Le parti pris de Pierre Audi métamorphose néanmoins ces humains en dieux, tels ceux que l’on trouvait dans L’Orfeo,
des dieux à caractères étrangement familiers pour
les humains que nous sommes. Tout est fait pour élever
l’ensemble vers des cieux dont nous ne faisons pas partie.
Le décor est extrêmement stylisé, atemporel, un
décor de formes géométriques et de
matériaux purs. Les costumes sont somptueux. Un hommage à
la matière : leurs formes, leurs couleurs semblent
n’avoir qu’un objectif, magnifier les matières,
rugueuses, tourmentées, torturées ou parfaitement lisses.
Ils sont parfois en lien direct avec la caractérisation des
personnages (les volutes de la Fortune et ses voies aussi
impénétrables que celles du seigneur par exemple),
parfois aussi sans signification, pour le plaisir de montrer de si
belles matières sans doute. La direction d’acteurs est
symbolique : les gestes sont étirés dans le temps,
entrecoupés par des mouvements vifs, abstraits ou
théâtraux, éloignés de notre quotidien, de
nos bassesses. Le théâtre et la musique peuvent nous faire
vivre et revivre la lenteur, le temps suspendu. Dans un monde où
l’on capitalise chaque seconde, c’est un cadeau que nous
offre Pierre Audi, presque subversif car anti-productif. On s’en
délectera donc. Les lumières sont également
abstraites mais l’alliance des couleurs, si elle éloigne
encore cette production de ce que nous côtoyons tous les jours, a
l’avantage de faire naître des émotions
inédites, subtiles. Elles sculptent le décor, travaillent
la matière et nous offrent même une cerise, quelques
ombres chinoises de qualité. Tout cela agrémenté
de prodiges, une pluie d’or capable de combler toutes les
Danaé du monde, les Deus ex machina
de rigueur, les nuages et autres embrasements qui soulignent la
puissance des quatre éléments (mais où se cache
donc l’eau ? derrière les mailles de filets de
certains costumes ?).
Bref, nous sommes loin. Dans le temps, dans l’espace mais surtout
dans notre humanité. Cela nous permet d’observer le
triomphe du crime et de la félonie en toute impunité,
bien enfoncé dans un fauteuil, en ne se sentant pas
concerné de trop près. Ce qui n’est pas
forcément négatif, chaque mise en scène ne doit
pas venir nous atteindre là où ça fait mal. Le
danger, c’est seulement l’ennui qui peut pointer lorsque la
distanciation est si grande. Ce danger est ici écarté par
la matière.
La matière physique, d’une part, celle des
éléments visuels du plateau, mais également la
matière musicale. L’orchestre est très
léger, il ne quitte que rarement son rôle de basse
continue pour les ritournelles de rigueur entre certains tableaux. Mais
Christophe Rousset crée une pâte sonore extrêmement
dense pour cette « simple » basse,
extrêmement variée, très colorée et surtout
intelligemment construite. Le monde change quand le théorbe fait
place à l’orgue, quand la viole s’efface pour
laisser s’exprimer le clavecin ou que tous se mettent à
dialoguer. Et ce changement, pas toujours palpable dans la mise en
scène abstraite, se fait sentir au centre de la scène,
là où le cœur de cette musique bat. La position
haute et centrale de l’orchestre, intégré au
décor, permet d’ailleurs un très bon accompagnement
des chanteurs mais aussi cette grande variété dans
l’instrumentation du continuo puisque la question de la puissance est écartée.
Les chanteurs peuvent donc asseoir leurs tourments et autres crimes sur
des fondations dignes de confiance. Et ils en profitent. La
distribution est homogène par la complémentarité
des timbres et des tessitures, mais hétérogène
dans son apparence : les origines variées des chanteurs
rendent naturellement la couleur locale de ce que devait être
Rome au premier siècle de notre ère :
multiculturelle. Il y a donc au moins une allusion historique dans
cette production désincarnée, a-t-elle été
voulue dès le début ? Poppée est la plus
séduisante, elle construit de superbes lignes musicales, sa
justesse est sans faille, l’émission du son parfaitement
contrôlée. La voix de Cynthia Heymon est si douce
cependant, son timbre si velouté que l’on a du mal
à croire à la thèse de la femme froide,
calculatrice et avide de pouvoir. Elle semble tendre et aimante,
simplement. Brigitte Balleys campe un Néron ambigu, tantôt
viril tantôt androgyne voire complètement féminin
et ce, tant dans l’attitude que dans la voix. Elle est
parfaitement maître de ses moyens et se plie avec souplesse aux
tours et détours de cette partition exigeante. Le reste de la
distribution est à la hauteur du couple-clé, les voix se
complètent et collent parfaitement aux caractères :
l’ingénuité de Drusilla, la colère
d’Ottavia, le fatalisme figé d’Ottone, la sagesse de
Seneca, le carriérisme hilarant d’Arnalta, l’aigreur
de la vieille servante. Relevons toutefois juste pour le plaisir les
accents légèrement métalliques de la Vertu, les
retours de voix de la Fortune et le timbre souple de l’Amour, en
tirera des conclusions qui voudra. C’est un vrai plaisir
d’entendre ces voix se lamenter, conspirer ou dialoguer voire
s’enchevêtrer pour mieux s’aimer.
Les prises de vues sont plutôt réussies (sauf celles
prises des pieds des chanteurs, qui reflètent sans doute
parfaitement la vision des spectateurs du premier rang mais ne nous
apportent pas grand-chose), la production rend bien à
l’écran. La captation sonore, par contre, est
problématique, acceptable pour l’orchestre mais instable
pour les chanteurs, le tout agrémenté des habituels
bruits de scène qui parasitent l’écoute.
J’attends encore un DVD dont la prise de son serait
irréprochable, tout en sachant qu’il s’agit
là de cette chère quadrature du cercle. Le livret
complète les bonus, on a donc accès à des
entretiens écrits ou filmés avec Pierre Audi, Christophe
Rousset et Harry van der Kamp. Un synopsis et une distribution
illustrés couronnent le tout, simples et efficaces. Quitte
à illustrer la distribution cependant, cela aurait
été intéressant de pouvoir lire quelques lignes
sur les chanteurs. Dernier détail, le menu du DVD est
silencieux, on remercie celui qui y a pensé.
Une production qui couronne les matières, formes et couleurs.
Une production qui flirte avec les cieux aussi mais interpelle nos
sens, bien terrestres. Fortune, Vertu et Amour sont vaincues,
c’est la matière qui triomphe et nous fait dépasser
nos petites ou grandes infamies.
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