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Claudio MONTERVERDI (1567-1643)

L’INCORONAZIONE DI POPPEA

La Fortuna, Renate Lenhart
La Virtu, Helrun Gardow
Amore, Klaus Brettschneider
Poppea, Rachel Yakar
Ottavia, Trudeliese Schmidt
Nerone, Eric Tappy
Ottone, Paul Esswood
Seneca, Matti Salminen
Drusilla, Janet Perry
Arnalta, Alexander Oliver
Nutrice, Maria Minetto
Lucano, Philippe Huttenlocher
Valletto, Peter Keller
Damigella, Suzanne Calabro
Liberto, Rudolf H. Hartmann
Due Soldati, Peter Straka & Fritz Peter
Famigliari di Seneca, Francisco Araiza, Werner Gröschel & Peter Keller

Das Monteverdi Ensemble des Opernhauses Zurich
Nikolaus Harnoncourt

Mise en scène et décors, Jean-Pierre Ponnelle
Costumes, Pet Halmen

2 DVD Deutsche Grammophon, 00440 073 4174




Poppée couronnée


Monteverdi, Harnoncourt, Ponnelle ; vingt cinq ans après. Ponnelle dont on nous ressuscite méthodiquement le legs. Ponnelle qu’on aime ou qu’on déteste. Drôle d’expérience. Rêve ou cauchemar ? Rêve et cauchemar c’est ici tout un, tant les codes freudiens en sont confondus, mêlés, associés : visions outrancières, rythme, ellipses…

Mêlés, fondus dans un creuset d’une cohérence étonnante, cependant. Une Poppée restaurée en fait. Restaurée certes ; mais une Poppée au pays de Viollet-le-Duc. Avec cette vieilles antienne qui nous vient de ce dernier, lancinante : restaurer c’est rendre un monument dans un état idéal qui n’a peut-être jamais existé. Peut-être, seulement ? Sans doute !

Sans doute l’orchestration d’Harnoncourt outrepasse-t-elle les ressources d’un orchestre vénitien du milieu du settecento (les piffari et autres doulcianes). Sans doute le théâtre de cour de Ponnelle, à mi-chemin du palais du Té mantouan et du Jardin d’amour de Rubens est-il tout sauf archéologique avec ses « cuirs » de l’école de Fontainebleau d’Henri II. N’était le petit artifice (bien voyant, cependant) du play-back… Mais, si c’est le prix de la vérité…

Si c’est son prix, payons-le ! Payons-le pour les visions saisissantes qu’il nous offre ; pour cette Poppée rendue à elle-même. L’enflure de Ponnelle n’aura jamais été aussi bien à aucune scène ; ni sa gestique ; ni ses costumes. Pas à Massenet ; pas même peut-être à Mozart. Ses prises de vue non plus (la caméra qui colle au visage de Drusilla lors de la révélation de l’attentat ; celle aussi, qui scrute Poppea à travers la couronne brandie par Néron). Pas plus, d’ailleurs, que ses éclairages (le contre-jour apaisé, tendre, de la berceuse d’Arnalta).

Pourquoi une telle réussite ? Parce que Ponnelle sert, simplement (cela paraît tellement facile) la musique et le drame. Et avec finesse encore ! Cette même musique et ce même drame dont Harnoncourt saisit tout et nous en rend autant. Mais quand Harnoncourt saisit et rend c’est au prix d’un passage à travers un prisme qui diffracte autant qu’il condense.

Oui ! Harnoncourt réécrit. Oui ! Il réinvente une partition sur la base d’un texte qui est plus un canevas qu’une image finie. Oui ! Il ajoute des vents, des hanches piaillantes et des cuivres aussi, pour scander le couronnement, justement. Mais qu’il le fait bien ! Comme cela ponctue admirablement le discours ! Comme cela marque diaboliquement les glissements permanents du drame au comique (ce que Ponnelle, aussi, a saisi magistralement) ! Mais comme il sait, aussi, se resserrer sur une simple basse, ascétique, puissante, pour tendre les grands lamenti (les deux airs, oppressants, d’Ottavia). Comme cela, enfin, est séduisant, et fin, et efficace !

Et comme il soutient bien le chant. Un chant magistral qu’on ne pourra jamais détailler complètement. Citons seulement l’Ottone séducteur et couard, tendre et veule de Esswood, fouillé jusqu’à en extraire des viscères que l’on n’a pas revus ainsi exposés depuis. Citons aussi la Drusilla bruissante de Perry ; et l’Arnalta tendre maquerelle maternante de Oliver ; et le Seneca gigantesque, patelin et dogmatique de Salminen (Hunding la même année à Bayreuth ; et aussi juste ; il faut le faire) ! Il faudrait tous les citer en fait.

Mais portons au pinacle l’Ottavia douloureuse, démesurée dans son pathétique extraverti de Schmidt. Portons y, aussi (c’est bien logique) le Nerone tout de testostérone de Tappy : un fou, un demi-dieu tombé dans la fange, follement vocal ; déjà une légende. Et surtout, portons au plus haut Rachel Yakar, Poppea évanescente, susurrante, vrai-double de Nerone (qu’elle suit toujours plus ou moins et derrière lequel elle apparaît toujours : voyez Idol del cor mio au III). Chantons cette Poppea vipérine à laquelle une inflexion suffit, un seul geste (la seule main tendue et voilée du Signor deh non partire au I) pour tracer aux trois crayons le portrait alangui de la femme de tête érotisante voulue par Busenello et Monteverdi. Grandiose ! Simplement !

Un achat prioritaire quand bien même on voudrait, comme les « anti-Ponnelle », se contenter du son, historique de plein droit.



   Benoît BERGER

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