Du côté
d'Apollinaire
Mélodies de Francis
Poulenc
David Lefort ténor
Philippe Guilhon-Herbert piano
Deux poèmes
d'Apollinaire
Dans le jardin
d'Anna
Allons plus
vite
Bleuet (G.
Apollinaire)
La Grenouillère
(G. Apollinaire)
Deux poèmes
d'Apollinaire
Le pont
Un poème
Deux poèmes
d'Apollinaire
Montparnasse
Hyde Park
Rosemonde
(G. Apollinaire)
Banalités
(G. Apollinaire)
Chanson d'Orkenise
Hôtel
Fagnes de Wallonie
Voyage à
Paris
Sanglots
Parisiana
(M. Jacob)
Jouer du Bugle
Vous n'écrivez
plus ?
Paul et Virginie
(R. Radiguet)
Le Portrait (Colette)
Dernier Poème
(R. Desnos)
La courte Paille
(M. Carême)
Le sommeil
Quelle aventure
!
La Reine de
Coeur
Ba, be, bi,
bo, bu,
Les anges musiciens
Le Carafon
Lune d'Avril
A sa Guitare
(P. de Ronsard)
Cinq poèmes
de Ronsard
Attributs
Le Tombeau
Ballet
Je n'ai plus
que les os
A son page
Un disque SAPHIR - 2004
C'est un curieux programme que nous proposent David Lefort et Philippe
Guilhon-Herbert pour leur premier disque, consacré aux mélodies
de Francis Poulenc. Intéressant, car il fait se côtoyer des
cycles célèbres -
Banalités, La Courte Paille ou
Parisiana - et des pièces moins souvent entendues - les deux
mélodies qui ouvrent le récital,
A sa Guitare - mais
curieux dans sa construction. Si la première partie est exclusivement
constituée de mélodies composées sur des textes d'Apollinaire,
celui-ci est complètement absent de la seconde partie, où
se retrouvent Jacob, Desnos, Colette et plus, étonnamment dans un
récital intitulé "du coté d'Apollinaire", Ronsard.
Peut-être aurait-il été plus judicieux d'alterner,
afin de mettre davantage ces oeuvres en regard les unes des autres, et
de faire ainsi se rapprocher, par exemple,
Le Portrait et
Rosemonde,
ou
Montparnasse et
Hyde Park avec
Parisiana. Quoi
qu'il en soit, la constitution du programme, sur un disque, est moins rédhibitoire
que sur scène et l'auditeur aura tout loisir d'écouter ces
pièces dans l'ordre qu'il souhaite, en outre, le style de Poulenc,
dans sa grande unité comme dans ses subtiles différences,
est tout à fait perceptible.
On commence l'écoute de ce disque tout à fait à
l'aise, tant David Lefort a la voix idéale pour aborder ce répertoire
: timbre clair, diction naturelle et très intelligible, le goût
et la sensibilité aussi. Seulement, il apparaît très
vite que si le potentiel est là, la concrétisation n'est
pas toujours au rendez-vous. Problèmes de justesse, de technique,
la voix est très souvent instable, entraînant un vibrato
irrégulier qui empêche l'auditeur de se laisser aller aux
rêveries proposées.
Au-delà de faiblesses se pose aussi une question d'interprétation.
Les mélodies de Poulenc sont un vrai piège, car elles sont
essentiellement mélodiques, et il faut donc avoir à coeur
de soigner la ligne de chant pour bien faire ressortir la mélodie,
mais celle-ci se déploie souvent en de longues phrases, marquées
très legato, et qui souvent se heurtent au phrasé
plus haché de la prosodie de la langue française. Le problème
pour les interprètes est donc de chercher le juste milieu : phraser
suffisamment le texte pour qu'il soit compréhensible et naturel,
mais pas trop, pour ne pas découper en tronçons la phrase
musicale. Ici, les musiciens ont penché de l'autre coté,
un peu trop à mon goût, à savoir privilégier
la phrase musicale et la précision rythmique. En conséquence,
le texte (qui reste toujours parfaitement intelligible) se raidit et perd
de son pouvoir évocateur. C'est particulièrement dommage
dans des petites pièces impressionnistes comme Hôtel,
Un poème ou La Reine de Coeur. C'est également
gênant dans les pages plus humoristiques (Quelle aventure, Le
Carafon) qui perdent ici tout leur sel en perdant le phrasé
des mots.
Ce choix est d'autant plus regrettable qu'il ne correspond pas aux qualités
de David Lefort, car c'est justement dans les pages plus alanguies, nostalgiques
ou mêmes dramatiques (Montparnasse, Rosemonde, Le Sommeil, Le
Tombeau) que les problèmes de justesse et d'émission
se font le plus sentir. Les longues phrases ne peuvent se libérer,
et la diction ne reprenant pas le dessus (toutes les syllabes ont la mêmes
valeur, les "e" muets finaux sont vraiment très appuyés),
l'atmosphère si particulière de Poulenc ne vient pas.
Le piano de Philippe Guilhon-Herbert ne peut pas compenser la dynamique
qui manque au chanteur, même si l'accompagnateur est souvent dans
la bonne direction, tout simplement parce qu'il est enregistré très
loin derrière le chanteur, ce qui empêche tout dialogue et
constitue un autre frein à la création d'une atmosphère.
Pour conclure, je dirai malheureusement que ce premier disque est plutôt
raté, compte tenu des choix que je viens d'évoquer, et de
leur inadéquation avec les possibilités du chanteur. C'est
précisément cette adéquation qui faisait la magie
des interprétations de Cuenod, et l'on sait si cet immense artiste
avait des problèmes techniques autrement importants. La difficulté
était grande, il est vrai, car ces poèmes d'Apollinaire,
Colette, Desnos et surtout Ronsard, se caractérisent par une écriture
très formelle, et donc déjà en soi très musicale.
La surimpression de la musique de Poulenc à cette musique intrinsèque
aux mots rend l'interprétation particulièrement délicate,
et cette "science du mélodiste" s'acquiert avec la pratique du répertoire.
Je suis cependant certain qu'en se familiarisant davantage avec ces oeuvres
(qu'il connaît déjà sur le bout des doigts, entendons-nous,
je parle là d'une connaissance charnelle, d'une intimité
consubstantielle comme celle de Fischer-Dieskau avec Schubert, par exemple),
David Lefort nous en délivrera une interprétation passionnante,
tant les affinités entre cet artiste et ce compositeur sont naturellement
grandes.
Un rendez-vous manqué, en quelque sorte, mais un nom à
retenir et à suivre.
Thomas HENRARD