Francis
Poulenc
Mélodies
détails
Pierre-Yves Pruvot
(baryton)
Charles Bouisset
(piano)
1 CD
Chez Timpani
Timpani fait partie des éditeurs
discographiques les moins frileux du marché. En effet la collection
"La Mélodie Française", que cette maison poursuit depuis
quelques années, nous a permis, avec une belle régularité,
de découvrir des pans entiers de notre répertoire : Jean
Cras, Lili Boulanger, Guy Sacre et beaucoup d'autres ont trouvé,
toujours dans des réalisations irréprochables, le chemin
du disque grâce à l'audace de Stéphane Topakian.
Avec ce nouvel opus, comme avec le remarquable volume Duparc paru il
y a quelques mois, l'éditeur s'attaque à un nouveau challenge
: nous proposer une nouvelle version de mélodies déjà
maintes fois enregistrées. Et loin de choisir des stars, c'est au
jeune duo lyonnais Pruvot/Bouisset que l'on confie cette tâche périlleuse.
Les références ne manquent pas pour les cinq cycles qui nous
sont proposés ici : des deux volumes historiques Bernac/Poulenc
parus chez Ades aux trois intégrales des mélodies ( deux
chez EMI, une chez DECCA) et au récent récital Naouri/Abramovitz
chez Harmonic Classic, la concurrence est rude. C'est d'ailleurs à
ce dernier que l'on confrontera d'instinct le volume Timpani, comme deux
visions modernes de ce répertoire. A vrai dire ces deux disques
sont très différents : à l'approche très extérieure,
quasi insolente, de Laurent Naouri, Pierre-Yves Pruvot oppose une interprétation
moins immédiatement séduisante, mais tellement plus nuancée.
Dans les deux cycles qu'ont en commun ces deux récitals (Les
Banalités et Chansons Gaillardes) le duo lyonnais nous propose
une infinité de couleurs, de sentiments ; chaque mot, chaque modulation,
chaque inflexion de la phrase musicale s'impose à l'auditeur comme
une évidence ; on sent que tout ça a été longuement
mûri par les deux artistes. Et pourtant ces deux cycles ont déjà
été servis, et bien servis au disque. Mais on oublie vite
l'affreux William Parker (EMI 1), Cachemaille trivial, voire vulgaire (DECCA)
ou les trop précautionneux Souzay et Van Dam (EMI 1 et 2) face à
tant de naturel.
Aux côtés de ces deux cycles, grands "tubes" de la mélodie
pour baryton, se trouvent trois autres opus moins connus, mais tout aussi
représentatifs de l'art du compositeur : Tel Jour Telle Nuit,
Chansons villageoise et Calligrammes. Dans ce répertoire
moins extérieur, le travail du jeune duo prend toute sa profondeur.
On reste saisi par l'intelligence des phrasés, l'équilibre
des nuances et des colorations, la justesse des tempi (si durs à
saisir chez Poulenc), on a réellement l'impression de redécouvrir
cette musique à chaque plage. Les deux interprètes ne nous
proposent pas du Poulenc, mais LEUR Poulenc : magistral. C'est d'autant
plus appréciable que ces trois cycles étaient jusqu'alors
fort mal servis par le disque : toujours le triste Parker, Gedda égaré
dans cette musique, Souzay plus précieux que jamais. Seul Jean-Christophe
Benoit dans les Chansons villageoises vaut le déplacement
(EMI 2), mais dans la version pour orchestre.
Charles Bouisset trouve réellement le ton juste pour ces accompagnements
: toujours entre jubilation enfantine et gravité mélancolique
; sans jamais abuser de la pédale (contrairement à beaucoup
de ses collègues dans ce répertoire), la clarté de
son interprétation participe totalement à la réussite
de ce disque.
Le timbre profond et viril de Pierre-Yves Pruvot convient parfaitement
à ce répertoire, mais c'est avant tout sa maîtrise
technique qui impressionne. Ces cycles, écrits pour Bernac en grand
partie, sont d'une tessiture extrêmement élevée et
d'une étendue dynamique hors du commun, mais malgré ces écueils,
Pruvot ne lâche jamais sa ligne ni le soutien, sa voix ne blanchit
à aucun moment, la coloration est constante sur toute la tessiture
et tout la palette de nuances est explorée. Il ne se retranche jamais
dans le parlando, ce qui est rare dans ce répertoire : toutes
les notes chantées vivent, vibrent à l'unisson du piano.
Ce disque doit donc absolument entrer dans toute bonne discothèque,
aux côtés des volumes historiques Bernac/Poulenc, comme référence
moderne de ces opus.
Jean Christophe Henry
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