Robert SCHUMANN
Lieder
Liederkreis op.24
Kerner-Lieder op.35
Belsazar op.57
drei Lieder aus op.127
Lieder op.142
détails
Christoph PRÉGARDIEN,
ténor
Michael GEES, piano
1 CD RCA Red Seal 74321 73235
2; TT: 73'58"
Enregistré du 29 janvier
au 3 février 1995
au Reitstadel de Neumarkt, Allemagne.
Mit Myrten und Rosen, lieblich und hold ...
Voici un bien beau récital, dont la première interrogation
qu'il suscite est d'essayer de comprendre ce qui a bien pu pousser RCA
à en conserver les bandes pendant six ans (!) dans ses tiroirs avant
de le publier ... Oui, bien sûr, nombre de critères - notamment
niveau marketing - nous dépassant entrent en ligne de compte dans
le processus de publication d'un disque; mais tout de même.
Enfin, toujours est-il que l'album paraît aujourd'hui (mieux
vaut tard que jamais), et c'est bien là le principal, car on tient
là à mon avis une réussite totale, tant du côté
du fond que de la forme.
Pour ce récital, Christoph Prégardien et son pianiste
Michael Gees se sont penchés sur des lieder de Schumann inspirés
par Heinrich Heine, mais aussi par Justinus Kerner, contemporain de Heine
- bien oublié aujourd'hui et que Heine ne semblait pas vraiment
porter dans son coeur -, dans un programme d'une remarquable cohérence
stylistique, et parfaitement agencé, composé de deux cycles
consistants, l'un consacré à Heine (le auperbe Liederkreis
op.24), l'autre à Kerner (l'opus 35), complétés par
une sélection des op.127 et 142 - deux cycles mixtes. Des lieder
contrastés, sombres, parfois violents, parfois intériorisés,
exigeant des interprètes un sens aigu du drame et de la déclamation,
et qui trouvent en Prégardien un porte-parole idéal. Dès
le sybillin Morgens steh ich auf und frage qui ouvre le Liederkreis
op.24, immédiatement suivi dans le plus violent des contrastes par
un impétueux Es treibt mich hin, est treibt mich her !, le
ténor allemand capte instantanément l'attention de l'auditeur
avec une sobriété qui fait mouche. Tour à tour caressante
et plaintive, joviale et dépressive, rageuse et sereine, sa voix
décline avec une finesse et une justesse remarquable une palette
de couleurs riche et expressive qui fait merveille dans un répertoire
intimiste mais toujours fondamentalement émotionnel. On ne sait
qu'admirer le plus, du timbre, rayonnant bien que discrètement sombre,
de l'inégalable intelligence du texte, de l'élégance
du phrasé et de l'époustouflant contrôle du souffle,
ou encore de la diction subtile et souveraine, et l'admirable Mit Myrten
und Rosen qui clôt ce Liederkreis constitue sans doute
l'exemple le plus enthousiasmant de l'art d'un Prégardien au sommet
de son inspiration.
Toujours de Heine, mais dans un registre radicalement différent,
Belsazar
(op.57) offre à Prégardien l'occasion de démontrer
avec éclat qu'il n'est pas que subtil évocateur des peines
de coeur -il sait également se faire barde gothique et inquiétant
d'un conte sombre et barbare, aussi halluciné qu'hallucinant. Là
encore, la diction, par instants quasi chirurgicale (j'en veux pour preuve
la strophe finale, saisissante) force l'admiration - connaissez-vous beaucoup
de chanteurs qui semblent à ce point se délecter de la moindre
allittération ("Der König stieren Blicks dasaß, /
Mit schlotternden Knien und totenblaß"
... on croirait presque
entendre les dents de Belsazar claquer d'effroi !) sans pour autant saborder
le phrasé ni sombrer dans le maniérisme ?
Kerner, quant à lui n'est pas en reste, dont les poèmes
sont eux aussi superbement servi par la délicate mise en atmosphères
schumanienne et livrés avec tendresse par les interprètes
- l'un des plus beaux exemples en est sans conteste le Mein Wagen rollet
langsam qui clôt ce remarquable album sur une note mi-douce mi-inquiétante,
exactement comme peut l'être la forêt traversée par
la voiture du titre, et dont on jurerait que les roues ne sont autres que
les doigts souples, au toucher si raffiné, de Michael Gees - ; et
des Kerner-Lieder op.35 aussi magnifiquement réussis que
le reste, on retiendra surtout un Stille Tränen crépusculaire
- et je veux bien avaler ma platine CD si les phrases inextinguibles du
ténor ne vous font pas verser quelques larmes silencieuses -, d'une
beauté, d'une émotion, d'une longueur de souffle et d'une
intensité absolument inouïes. Que cela peut être beau,
un homme qui pleure - surtout lorsqu'il s'avère être un poète
aussi inspiré que peut l'être Prégardien à son
meilleur !
À l'écoute de cet album, finalement, il est un mot qui
me vient immédiatement à l'esprit : évidence. Évidence
de cette musique si merveilleusement écrite pour la voix, évidence
de ce programme si intelligemment pensé et si élégamment
agencé, évidence aussi et surtout de l'interprétation
de Prégardien et de Gees, qui trouvent toujours le chemin le plus
court et le plus juste à l'émotion sans jamais pour autant
brader la subtile poésie de ces lieder. Incontestablement, Prégardien
s'impose, une fois de plus, en maître dans ce répertoire ;
et lorsqu'il est aussi parfaitement accompagné que par Michael Gees,
dont l'instinct atmosphérique fait de véritables miracles
dans l'écriture schumanienne, non seulement on en redemande, mais
on reste sans voix..
Mathilde Bouhon
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