L'histoire
d'un homme véritable
Serge PROKOFIEV (1891-1953)
Opéra en
trois actes
Livret de Serge
Prokofiev et Mira Mendelson
Alexei : Yevgeni
Kibkalo
Olga : Glafira
Deomidova
Grand-Père
Mikhailo : Georgi Shulpin
Andreï : Georgi
Pankov
Klavdia : Kira
Leonova
Le Commissaire
: Arthur Eizen
Vassili Vassilevitch
: Marc Rechetine
Koukouchkine :
Alexei Maslennikov
Zinochka : Maria
Zvenzdina
Choeurs et Orchestre
du Théâtre Bolchoï
Direction musicale
: Mark ERMLER
Coffret de 2 CD
CHANDOS CHAN 10002(2)
39'28'' et 73'20''
Composé dans des circonstances très difficiles,
L'Histoire
d'un homme véritable est l'opéra le moins connu de Prokofiev.
Créé en privé le 3 décembre 1948, et immédiatement
blâmé par les autorités, il fut représenté
au Bolchoï en 1960, arrangé par Mira Mendelson-Prokofieva,
et la présente production est la réédition de cette
version, jadis parue en 33 tours et depuis jalousement thésaurisée
par tous les fervents.
Époque terrible de l'après-guerre soviétique, totalement
soumise aux ukases réalistes socialistes du sinistre Andreï
Jdanov... Prokofiev, après les insuccès relatifs de la Sixième
symphonie et de Siméon Kotko, rédige son autocritique
de triste mémoire, en promettant, avec son nouvel opéra,
une oeuvre véritablement soviétique. Las, l'oeuvre fut descendue
comme "scandaleuse et hideuse" et cette réaction troubla fort le
musicien, qui avait mis le meilleur de lui-même dans ce qui s'avérera
son dernier opéra (le projet des Mers lointaines n'aboutira
pas...).
Il faut donc entendre et comprendre l'opéra dans ce contexte
particulier. L'intrigue, tout d'abord, plutôt originale, avouons-le.
Début 1942, en pleine invasion nazie, le pilote Alexei Meressev
(ou Maressiev) est abattu par les Allemands. Pendant dix-huit jours, il
se traîne dans la neige pour être enfin récupéré
par une famille de partisans kolkhoziens. Amputé des deux pieds,
il désespère de son avenir mais, réconforté
par un bon Commissaire qui le convainc qu'il est un "homme soviétique",
il réapprend à marcher avec ses prothèses. Alexei
revolera et abattra même trois avions ennemis. A première
vue, cette trame paraît simpliste et grotesque, comme un parangon
du réalisme socialiste, avec cette exaltation de l'effort destiné
à la Patrie. Il ne faut pas oublier que l'URSS était en pleine
guerre, et que Prokofiev, accusé de toutes parts en tant que "formaliste",
devait absolument se réhabiliter aux oreilles de l'Union des Compositeurs.
Il a donc veillé à écrire une musique en tous points
conforme aux canons requis. Les temps ont passé, la situation politique
est oubliée : reste un opéra imposant, à juger. Qu'en
est-il exactement, en 2003 ?
Tout d'abord, il faut pointer l'originalité du livret : tout
l'opéra repose sur le personnage d'Alexei, son accident, ses réflexions,
ses désirs. Drame tout intérieur, qui sera éclairé,
mais non résolu, par les nombreux rôles secondaires. Même
sa fiancée Olga. Et ici se présente une seconde originalité
: voici un opéra durant lequel le héros et son aimée
ne se rencontreront jamais, excepté à l'extrême fin,
toutes les interventions antérieures d'Olga se déroulant
dans l'imaginaire (elle surgit d'une photo, d'un rêve, d'une vision),
d'une façon quasi cinématographique.
Mais la musique, me direz-vous ? Tout naturellement, elle évoque
les styles de Siméon Kotko ou de Guerre et Paix. Elle
baigne dans ce lyrisme tardif, caractéristique du Prokofiev soviétique.
Il y a peu de choeurs, qui se bornent à encadrer l'oeuvre (épigraphe
et finale) et, à l'acte III, à exalter la fièvre du
combat. Dans ce sens voulu et recherché de la simplicité,
le compositeur a également restreint les ensembles à quelques
duos. Ceux d'Alexei et d'Olga bien sûr, mais aussi, à l'acte
II, entre Alexei et le Commissaire, ou le chirurgien Vassili : ils figurent
parmi les meilleurs moments de la partition. Beaucoup d'airs et d'ariosos
donc, selon le voeu des autorités. Citons ici évidemment
la scène initiale d'Alexei dans la neige, mais aussi la belle berceuse
de Klavdia l'infirmière ou la joyeuse chanson de Koukouchkine, jazzy
et évoquant l'ami Poulenc. Toute la scène du kolkhoze à
l'acte I est fort bien enlevée, et la mort du Commissaire (II) est
impressionnante de tension dramatique. Notons deux danses - Dieu sait comme
Prokofiev était doué pour le ballet ! - une valse et une
rumba, d'un effet étonnant, tout comme ce thème pétaradant
à la trompette, symbolisant la lutte contre les Allemands. Finalement,
sans atteindre à la grandeur de Guerre et Paix ni à
la cohésion de Siméon Kotko, cette Histoire d'un
homme véritable se révèle une oeuvre intéressante
et certainement non indigne de son créateur. Il est donc très
heureux que Chandos réédite l'unique version disponible.
Mais il se pourrait que Gergiev, malgré une réticence initiale,
envisage un nouvel enregistrement...
Reste l'interprétation. Nous sommes au Bolchoï en 1961.
Époque bénie sans doute, mais conventionnelle. Si les noms
de Yevgeni Kibkalo, remarquable Alexei, et de Gladifira Deomidova nous
sont moins familiers, je voudrais signaler les prestations de quelques
stars tout de même, tels Alexei Maslennikov en Koukouchkine, Marc
Rechetine en Vassili et surtout le grand Arthur Eizen, qui campe un Commissaire
de belle allure. Choeurs et orchestre sont dans la grande tradition soviétique
de ces années lointaines. La prise de son est excellente, et nous
rend impeccablement, au-delà de tant d'années, non pas un
chef-d'oeuvre méconnu, mais un opéra fort attachant, et crucial
pour mieux saisir encore l'évolution de l'immense musicien que fut
Serge Prokofiev.
Bruno Peeters
Commander ce CD sur Amazon.fr
Prokofiev:%20Story%20of%20a%20Real%20Man<" target="_blank">