Georg Friedrich
Händel
Rinaldo
Opera seria in tre
atti HWV7a, sur un livret de Giacomo Rossi,
basé sur
un scénario de Aaron Hill inspiré d'un épisode
de la Gerusalemme
Liberata de Torquato Tasso,
créé
au Haymarket de Londres le 24 février 1711.
Version originale
de 1711.
Avec David Daniels
(Rinaldo), Bernarda Fink (Goffredo),
Cecilia Bartoli
(Almirena), Luba Orgonasova (Armida),
Gerald Finley (Argante),
Daniel Taylor (Eustazio),
Bejun Mehta (Mago cristiano),
Ana-Maria Rincon
(Donna/Sirena II), Catherine Bott (Sirena I),
Mark Padmore (un
araldo).
The Academy of
Ancient Music
Christopher HOGWOOD,
direction
Coffret de 3 CD
DECCA/L'Oiseau-Lyre 467 087-2, TT : 173'29''
Textes de présentation
intéressants, replaçant l'úuvre dans le contexte de sa création.
Livret original
en italien, avec traductions française, anglaise et allemande.
Aaaah! Enfin un
nouveau Rinaldo! Et avec une de ces distributions... alléchante
s'il en est! LA star des contre-ténors en paladin de Charlemagne,
LA superstar italienne en Almirena, de solides artistes (dont la fabuleuse
Bernarda Fink en Goffredo et les sympathiques Gerald Finley et Luba Orgonasova
en sarrasins) dans les autres rôles: inutile de dire que cet enregistrement
était grandement attendu par les admirateurs du cher Saxon... Et
l'on n'est pas (trop) déçu par le résultat, même
s'il manque à cet enregistrement le petit quelque chose qui fait
les vraies grandes réussites.
Qu'en est-il de
l'úuvre elle-même? Composé en 1711 pour le Haymarket - c'est
le premier opéra italien spécifiquement écrit pour
Londres par Händel -, Rinaldo rencontra immédiatement un grand
succès, et fut représenté quinze fois, avant plusieurs
remaniements et reprises (Hogwood et son équipe nous proposent ici
la version de 1711, avec happy end et conversion des païens). Ses
extravagances de livret restent aujourd'hui encore fort divertissantes
pour le spectateur, même si elles ne facilitent pas sa représentation
scénique (à moins de faire appel aux studios Light and Magic...);
et cet opéra recèle, comme toujours chez Händel, nombre
de très beaux airs, notamment le célébrisssime "Lascia
ch'io pianga" d'Almirena, ou le formidable "Sibillar gli angui d'Alletto"
(tous deux repris d'úuvres antérieures, Il Trionfo del Tempo e del
Disinganno - sauf erreur - pour le premier, et Aci, Galatea e Polifemo
pour le second). Autant dire que tout y est réuni pour enthousiasmer
l'auditeur, Händel et son librettiste ne lésinant pas sur les
effets spéciaux puisque l'on trouve dans la partition dragons, coups
de tonnerre et éclairs, petits oiseaux... sans parler, bien entendu,
du véritable festin vocal que nous réservent les rôles
d'Armida et de Rinaldo.
Les premières
rumeurs évoquant un projet de Rinaldo avaient laissé espérer
une prestation de donna Cecilia dans le rôle-titre - ce qui aurait
certes valu le détour, connaissant la vaillance et la virtuosité
de ce mezzo au timbre si richement coloré! Cependant, la Bartoli
tournant de plus en plus ses regards vers l'aigu, la voici finalement qui
s'attaque au personnage de... non, non point Armida, comme on aurait pu
s'y attendre (comme cela aurait été intéressant, parallèlement
à l'Armida haydnienne sous la direction de Harnoncourt, parue en
même temps!), mais de la douce et tendre Almirena, fiancée
du fier paladin, et fille du capitaine Goffredo. Et le résultat,
passée la première surprise, est tout simplement enthousiasmant!
Car s'il est vrai que cette Almirena-là, dotée d'une voix
un peu... capiteuse, dirons-nous, en comparaison avec son caractère
supposé, semble par instants tenir le glaive de Rinaldo à
sa place (écoutez son premier air, avec ses r rrroulés et
sa surrrdétermination!) et évoque plus la pugnace Clorinde
ou la teigneuse Bradamante (pour rester chez Tasso et son prédécesseur
Ariosto) qu'une fraîche et pure demoiselle brodant un pourpoint en
attendant son promis (mais qui a dit que les tendres demoiselles du temps
de Charlemagne étaient forcément fleurs bleues?), elle converse
cependant de manière délicieuse avec les "Augeletti che cantate",
et ses soupirs sont absolument désarmants - superbe "Lascia ch'io
pianga", qui ferait tomber à genoux n'importe quel Argante!
A ses côtés,
pour le rôle-titre, on ne pouvait rêver mieux que David Daniels.
Le contre-ténor américain a pour lui un timbre merveilleusement
tendre et ambigu, empreint d'une volupté grisante, et son duo avec
Bartoli au premier acte est à croquer. On pourra sans aucun doute
lui reprocher une légère mollesse de caractère - mais
cette douce nonchalance sied bien, à mon avis, au preux Rinaldo,
plus enclin à se laisser aller aux douces étreintes de sa
belle qu'à la conquête de Jérusalem. Daniels, cependant,
ne manque pas de bravoure dans ses moments de fureur ou de vaillance, faisant
notamment preuve d'une belle confiance dans l'énergique "Or la tromba"
(même s'il y semble un brin dépassé par le tempo de
master Hogwood), ou encore dans le virtuose "Venti, turbini, prestate",
et le court "Il Tricerbero humiliato" le trouve soudain armé d'une
sombre détermination à lutter contre les artifices déployés
par Armida; mais c'est encore dans les douloureuses lamentations du très
beau "Cara sposa", au premier acte, qu'il se montre sous son meilleur jour,
nous offrant une déchirante mais pudique plainte, toute de désespoir
contenu.
Le couple de païens
malhonnêtes et lâches que constituent Armida et Argante n'a
rien (ou presque) à envier aux chrétiens si glamour, à
commencer par un formidable Argante campé avec panache et majesté
par le fringant baryton canadien Gerald Finley, dont l'ébouriffant
"Sibillar gli angui d'Alletto" au premier acte est l'un des clous de cet
enregistrement! Quel souffle, quelle superbe, quelle arrogance, quelle
admirable fausse assurance chez ce Sarrasin bravache, dont Finley rend
à merveille le côté baudruche, vite dégonflée
par le désarroi de la belle Almirena!
Il trouve en Luba
Orgonasova une compagne de larcins et de messes noires exemplaire; car
si le chant peut parfois manquer de finesse et l'italien laisser franchement
à désirer (de ce côté, on frôle la bouillabaisse),
on ne peut qu'admirer la véhémence de la soprano slovaque,
excellente en magicienne furieuse (et un peu brouillonne) comme en amoureuse
blessée (et maladroite). Son concours de virtuosité avec
le clavecin obligé dans "Vo' far guerra", tout comme sa confrontation
explosive avec Rinaldo dans l'électrique "Fermati!/No crudel!" au
deuxième acte sont également réussis.
Bernarda Fink en
Goffredo, cela s'annonçait à la fois prometteur et risqué.
Prometteur grâce au talent admirable de cette très belle artiste
par trop discrète; et risqué tout simplement parce que cela
semblait tout de même un contre-emploi. Et c'est un peu le cas, même
avec toute la bonne volonté dont fait preuve la mezzo argentine
pour nous convaincre. La douce et rassurante Bernarda Fink en capitaine
de l'armée chrétienne, en combatif chef des Croisés,
bref en Godefroy de Bouillon, tout de même! on a parfois un peu de
mal à y croire. Fort heureusement, le personnage de Goffredo tel
que présenté dans l'opéra est aussi éloigné
de l'ascèse du pieux vieillard dépeint par Torquato Tasso
que de la violence sanguinaire du Godefroy qu'a retenu l'Histoire. Bien
plus, même, Händel en fait un homme certes volontaire et déterminé,
mais avec ses inquiétudes et sa part de fragilité; et c'est
là que la voix somptueusement chaleureuse et veloutée de
Bernarda Fink fait merveille - son "Mio cor, che mi sai dir?", traduisant
superbement les angoisses d'un père pour sa fille et d'un paladin
pour son fidèle compagnon d'armes, est véritablement poignant.x
Le cas des rôles
secondaires, en revanche, est plus litigieux. Daniel Taylor est bien insignifiant
et monotone en Eustazio (mais il est vrai que le rôle n'est pas des
plus gratifiants dans sa répétitivité), et les deux
Sirènes sont tout simplement anorexiques! Seul Bejun Mehta tire
son épingle du jeu, dans un rôle (un Mage chrétien
dont la seule question qu'il soulève est: "mais que peut-il bien
faire tout seul en plein milieu d'Israël?!") malheureusement aussi
épisodique que peu intéressant, et vite oublié. Quant
à Mark Padmore, il n'a qu'une phrase de récitatif ...
Et la direction
de Christopher Hogwood dans tout ça? Et bien, la direction de Hogwood,
elle est... honnête. Il fait juste ce qu'il faut pour soutenir ses
chanteurs et maintenir l'attention, avec des musiciens fort recommandables,
et le résultat est bon, mais ne nous voilons pas la face: dans une
partition telle que Rinaldo, ce n'est pas du bon qu'il faut, c'est de l'exceptionnel!
On aimerait que cela bondisse, que cela jaillisse, que cela glace les sangs,
que cela dresse les cheveux sur la tête, que cela explose de toutes
parts, que cela danse et que cela éblouisse, que cela secoue et
que cela caresse l'oreille, bref, que le spectacle auditif soit au moins
aussi fantastique que le spectacle visuel prévu par le livret! Bien
sûr, on ne demande pas à Hogwood de nous faire un Disneyland
musical et baroque, mais tout de même! Ce qu'il nous offre là
est bien gentillet (même si les trompettes et timbales du "Or la
tromba" sont d'une énergie assez décoiffante, il faut l'admettre)...
Et l'on se prend à rêver: ah! si seulement cet enregistrement
avait été confié à un Jacobs, à un Christie,
à un Minkowski! Mais ne nous plaignons tout de même pas outre
mesure: ce Rinaldo est somme toute bien divertissant et joli (un petit
coup de chapeau au passage au responsable des effets spéciaux qui
fait de son mieux pour nous offrir des éclairs et des dragons tout
ce qu'il y a de plus sympathiques!), et n'a aucun mal à s'imposer
dans un discographie bien maigre pour une oeuvre de cette envergure. A
écouter donc absolument, pour la musique de Händel, et surtout
pour les cinq chanteurs principaux.
Mathilde Bouhon
Commander ce CD sur Amazon.fr
Handel:%20Rinaldo<" target="_blank">