Giacomo
Meyerbeer (1791-1864)
Robert le Diable
W.Mok (Robert),
G.Surian (Bertram), A.Codeluppi (Raimbaut)
P.Ciofi (Isabelle),
A .Raspagliosi (Alice)
Choeur de chambre
de Bratislava
Orchestre international
d'Italie
direction Renato
PALUMBO
2000-DDD-3 CD (77'51
ë', 74'27'' et 51'50'')
Textes en italien,
anglais, allemand, français
chanté en
français-Dynamic CDS 368/1-3
Évènement de taille,
évidemment, que ce nouveau Robert le Diable ! Il n'existait
en effet de cet opéra mythique qu'une seule version officielle,
un live du Mai florentin de 1968 (MRF), avec Scotto, Christoff, sous la
direction de Sanzogno. Circulent sans doute des enregistrements des productions
de Paris (Fulton) et Berlin (Minkowski), mais connus des seuls aficionados.
Le grand public, lui, fera donc connaissance du premier Grand Opéra
de Meyerbeer grâce au présent coffret, reflet de la production
d'août 2000 au festival de Martina Franca.
Rappelons que Robert le Diable
fut créé à l'Académie Royale de Musique à
Paris (salle Le Peletier) le 21 novembre 1831, avec les plus grandes stars
de l'époque (Nourrit, Levasseur, Cinti-Damoreau, Dorus-Gras), sous
la direction d'Habeneck. Et avec la danseuse Taglioni dans le rôle
de l'abbesse damnée. Succès indescriptible, inouï, et
qui lança définitivement le genre du Grand Opéra et
son plus illustre représentant. Lequel récidivera avec son
plus haut chef-d'oeuvre, Les Huguenots, en 1836 Fresque historique,
intrigue romantico-fantastique, décors luxueux, orchestre éclatant,
virtuosité hors pair, tout y était pour créer une
étape historique dans l'histoire de l'art lyrique français
et, partant, international.
Le genre fatigua vers la fin du
XIXème siècle et le siècle suivant, après l'avoir
férocement dénigré, l'oublia complètement.
Quelques reprises tentèrent de revivifier ces stèles du passé,
quelques parutions discographiques aussi : Les Huguenots de Bonynge
avant tout, mais également Le Prophète de Lewis, L'Africaine
de Périsson, Il Crociato in Egitto de Parry ou Le Pardon
de Ploërmel de Judd. Robert, le diable fondateur, restait, lui,
toujours en marge jusqu'à cette production florentine de 1968, malheureusement
en italien, puis surtout jusqu'à la production du Palais Garnier
de 1985, avec une superbe brochette de chanteurs (Vanzo, Ramey, Anderson,
Lagrange). Las, cette magnifique entreprise ne fut pas - pourquoi ? ? suivie
d'un enregistrement officiel. Tout comme la récente reprise à
Berlin sous la direction passionnée de Marc Minkowski.
Contentons-nous donc de cette
version de Martina Franca, festival réputé dont le directeur
n'est autre que Sergio Segalini. Qu'en penser ? Au niveau purement technique,
il faut avouer que cette réalisation n'est pas excellente : prise
de son très sèche, choeurs pratiquement inaudibles (V, 1),
bruits de scènes dérangeants. Coupures aussi (comparez le
début de l'acte V chez Fulton et ici, par exemple). L'introduction
éditée dans le livret est de Segalini lui-même, et
intéressante.
Venons-en à la musique.
Un premier aspect frappera immédiatement l'auditeur : tous les chanteurs,
absolument tous, souffrent d'un accent français impossible. Cela
frise la drôlerie au début, mais devient franchement irritant
par la suite.
Le Robert de Warren Mok (le Lentulus
de la Roma de Massenet chez le même éditeur) n'est
pas Vanzo, bien sûr. Déclamatoire dans les récitatifs,
fruste parfois, instable souvent, ou par trop appliqué, il a quelques
beaux moments (« Ah ! qu'elle est belle ! », IV,2). Bertram
est, lui, beaucoup plus présent. Le duo-bouffe et son air au troisième
acte sont excellents, ainsi que tout son rôle à l'acte V,
si poignant. Malheureusement, les deux dames évoluant après
des héros maudits sont, elles, fort décevantes. L'Alice de
Raspagliosi a de jolis moments (« Quand je quittai la Normandie »),
mais ne quitte hélas que rarement la niaiserie. Quant à Patrizia
Ciofi (qui fut Lucia, pourtant), elle donne peu de relief au personnage
superbe de la princesse de Sicile, malgré un Air de grâce
(IV,2) plutôt réussi (Ah..Scotto !). Raimbaut est efficace,
sans plus (ballade, I,2).
La direction de Renato Palumbo
est terriblement inégale. Parfois excellente de vivacité
(les ballets), souvent plate (les ensembles), elle souligne par trop les
facilités de l'instrumentation meyerbeerienne. L'orchestre n'atteint
quelque grandeur que dans le troisième acte, le meilleur de l'oeuvre.
Toute la scène des nonnes damnées est ainsi fort bien réussie,
l'atmosphère « gothique » évoquée à
souhait (n'oublions pas l'élément « fantastique »
si important dans Robert, et participant directement aux sensations
littéraires de cette période du romantisme). Sa direction
se montre ici nettement plus nerveuse que celle de Fulton.
La conclusion ? Celle que m'a
laissée l'audition du plus beau moment de la partition, le grandiose
« Grand Trio » du dernier acte : efficace mais manquant de
cette flamme vocale dramatique absolument nécessaire, essentielle
même, au Grand Opéra. Ce Robert le Diable est un jalon
vers une redécouverte, mais pas la redécouverte même
qu'elle eut du être. Le talent de Meyerbeer ne temporise pas : il
lui faut la perfection, sinon il dépérit et meurt. Cette
perfection a presque été atteinte à Paris en 1985.
Ce ne fut pas le cas à Martina Franca en 2000, et l'entreprise entière
s'écroule. Il en reste un document intéressant, c'est déjà
ça. Mais c'est bien insuffisant pour rendre justice à cet
opéra étonnant.
Je reste persuadé que la
revanche de Robert le Diable viendra.
Bruno Peteers