Gaetano Donizetti
(1797-1848)
La Romanziera
e "L'Uomo Nero"
"Farsa" en un acte
de Domenico Gilardoni,
d'après
L'Homme noir de Scribe et Dupin,
et Le Coiffeur
et le perruquier de Scribe, Mazères et St. Laurent ;
ou alors d'après
la pièce La Donna dei romanzi de Augusto Bon.
Musique de Gaetano
Donizetti (1797-1848).
Création
le 18 juin 1831, au Teatro del Fondo de Naples.
Edizioni Bongiovanni
GB 2287/88-2
P. Cigna, A. M.
Braconi, C. Marchi,
P. Saudelli, A.
Calamai, G. P. Fiocchi, M. Fichera
Orchestra Filarmonica
Veneta "G. F. Malipiero"
Coro del Teatro
Sociale di Rovigo
Direction : Franco
Piva
Enregistré
à Rovigo, "Teatro Sociale",
durant les
représentations des 25 et 26 novembre 2000.
Textes de présentation
et livret en italien et anglais
(Durées :
CD 1: 60'27 et CD 2 : 31'48)
Après Anna Bolena qui devait produire une forte impression dans
le monde musical, deux charmantes oeuvres, constituant un intéressant
diptyque pouvant occuper une soirée, allaient naître en cette
année 1831 : Francesca di Foix, opéra "semiserio", et la
farce La Romanziera e L'Uomo Nero, 36e ouvrage de l'arlequin bergamasque(
*).
La Donizetti-Renaissance a d'ailleurs vu reprendre ces deux oeuvres ensemble,
à Londres, au Festival de Camden en 1982.
Cette mystérieuse autant que délicieuse farce donizettienne
nous pose pourtant un problème de taille : le livret est perdu !
Mais, pourrait-on objecter, on peut tirer les paroles de la partition !
Celles chantées, bien sûr, mais il se trouve que cet opéra
comprenait des dialogues, qui eux ne figurent pas dans la partition
!
Aussi curieux que cela puisse paraître, le texte chanté
ne suffit pas à reconstituer l'intrigue, et les auteurs de cette
reprise ont cru bon d'en reconstituer un, à partir des deux pièces
considérées jusqu'alors comme sources de l'oeuvre.
Parallèlement, l'éditeur Opera Rara découvre une
autre source présumée (!) et même une erreur de transcription
dans le titre, qu'il corrige pour son enregistrement studio en : La Romanzesca
e l'Uomo nero. On a donc plus une "romancière" mais une "romanesque"
, ou femme qui se nourrit de la lecture de romans ! Ne tentons pas de résoudre
le différend mais de goûter cette saveur toute donizettienne
que recèle l'oeuvre, et c'est possible même sans approfondir
l'intrigue. Peu importe, au fond, que l'héroïne Antonina écrive
ou dévore des romans, l'essentiel, et c'est le noeud de cette parodie,
est que sa vie soit entièrement conditionnée par toute une
thématique fournie, tirée des romans sentimentaux à
la mode à l'époque romantique, et faisant qu'elle vit dans
un autre monde ... (au grand désespoir de son père!).
Le plus curieux est que, en créant cette parodie de thèmes
du Romantisme, Donizetti n'a pas de recul, car dans le Romantisme et sa
thématique, il est plongé jusqu'au cou ! L'auditeur découvre
alors avec stupéfaction et ravissement une musique délicieusement
caressante, sentimentale au possible, même dans l'ironie !
... et se demande, intrigué devant une telle quintessence donizettienne,
si Gaetano créait consciemment cette musique si typique de son style,
par esprit de parodie, ou s'il tombait dans le piège d'oublier la
parodie pour n'être que lui-même ?!
Car c'est du plus pur Donizetti que l'on peut entendre dans cette irrésistible
Romanziera, dont on a bien envie d'épouser tous les clichés
!
Dès la Stretta dell'Introduzione, un chaleureux Crescendo en
tempo de valse vient séduire l'auditeur. L'héroïne paraît
ensuite, sur un air mélancolique à souhait avec harpe obbligata
! D'innombrables petites touches attendrissantes de la musique émaillent
la partition, comme ces sympathiques rythmes à deux temps, typiques
de Donizetti, ces valses piquantes et pourtant pleines de chaleur ... et
lorsque L'Uomo Nero simule (il est envoyé pour "guérir" la
romanziera de son romantisme !), le duo d'amour est tout de même
extatique !
Déterminée à prendre la fuite avec lui, Antonina,
nouvelle Atala (!), dit adieu à son château natal, pour une
vie errante dans les bois : ô combien sa musique se fait alors sentimentale
et sublime ! On s'en demande d'autant plus si Donizetti caricature sa musique
si séduisante, sineuse et ravissant l'oreille ? ... ou s'il s'est
vraiment pris au jeu ? ! ...
Bref, la fin de l'opéra nous trouve presque tristes d'entendre
l'héroïne dire adieu au "saule" et au "cyprès", aux
"larmes" et au "ruisseau cristallin" ! ...
La distribution réunie par le Teatro Sociale de Rovigo, ville
de Vénétie ayant vu naître Katia Ricciarelli, se lance
dans l'aventure avec un bel engagement rendant justice à l'oeuvre
; on retrouve même curieusement Anna Maria Braconi, appartenant à
la distribution de la reprise précédente (Festival de Fermo,
1988). La "Romanziera" de Patrizia Cigna, de son timbre limpide comme la
musique de sa partie, éclaire la troupe des autres personnages dont
elle est - à cause de la perte des parties parlées - le seul
point de ralliement évident ! Elle met admirablement son talent
au service de la passion mesurée, de l'exaltation délicate
du personnage, mariages difficiles qui font le secret de la musique de
Donizetti !
On peut émettre une réserve pour A. Calamai possédant
un timbre aigre, peu séduisant et au chant pas très beau
ni toujours très juste mais ne nuisant pas vraiment à la
réussite d'ensemble. Celle-ci est due en bonne partie au chef Franco
Piva qui échappe à la tentation actuelle de trop serrer les
tempi, étranglant la musique, qui devient alors systématique.
Loin de l'esthétique rossinienne, elle doit se déployer tendrement,
(n'oublions pas qu'elle parodie une thématique de sentimentalisme)
et glisser à l'auditeur un clin d'oeil ironique mais attendri, selon
ce petit mystère donizettien : le compositeur tombe-t-il ou non
dans le piège de croire à ce qu'il parodie ?? ...
Mystère que nous ne résoudrons pas, de même que
la fin de Capriccio de Richard Strauss ne tranche pas en faveur de la primauté
des paroles ni de la musique, alors que son opéra en parle pendant
trois heures !
Le mystère demeure donc ... mais laisse naître et s'épanouir
le délice de l'auditeur !
Yonel Buldrini
_____________
(*) Pléonasme
voulu, car si le personnage díArlequin aux multiples couleurs est né
à Bergame, comme Donizetti, il convient comme aimable surnom díun
compositeur s'adaptant avec bonheur à autant de formes diverses
du genre opéra !
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