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Ned ROREM (né en 1923)
The Auden Songs
pour ténor, violon, violoncelle et piano (1989)
The Santa Fe Songs
pour mezzo-soprano, violon, alto, violoncelle et piano (1979-1980)
Christopher Lemmings (ténor)
Sara Fulgoni (mezzo-soprano)
Chamber Domaine
Jonathan Morton, Thomas Kemp, violons
Joel Hunter, alto – Adrian Bradbury, violoncelle
Stephen De Pledge, piano
Black Box, Sanctuary Records – BBM 1104 (1 CD)
Au-delà du dandy
On ne peut pas dire que Ned Rorem soit un compositeur
particulièrement bien connu dans la francophonie. Sur la
cinquantaine de disques qui lui sont consacrés (souvent en
compagnie d’autres compositeurs américains contemporains),
peu sont en effet disponibles ici. Pour ce qui est de sa production de
mélodies, on devait jusqu’à présent se
contenter de deux enregistrements, heureusement aussi formidables
l’un que l’autre : To the Soul,
anthologie de mélodies sur des textes de Whitman
concoctée par Thomas Hampson et Craig Rutenberg (EMI, 7243 5
55028 2 7, récemment réédité dans le cadre
de la « Thomas Hampson Editon »), où
l’on trouve les incroyables As Adam Early in the Morning, Look Down Fair Moon ou encore Sometimes with One I Love,
et le récital que la mezzo-soprano Susan Graham a
entièrement consacré à Rorem chez Erato en 2000
(Erato, 8573 802222 2).
Avec Christopher Lemmings et Sara Fulgoni, ce sont deux cycles complets
qui nous sont proposés, et non plus un panorama de pièces
éparses. L’image que l’on pouvait se faire du
compositeur s’en trouve étrangement modifiée. Le
dandy qui côtoyait Cocteau, Marais, Poulenc et consorts
chez la belle Marie-Laure de Noailles, qui passait ses
été avec Georges Auric à Hyères, que Julien
Green accompagnait au théâtre et à
l’opéra, a souvent laissé l’image d’un
touche à tout de génie, à la musique facile, bien
loin des écoles et des théories qui semblaient à
certains les garantes d’une création de qualité.
Avec les Auden Songs,
c’est pourtant bien à un bâtisseur que l’on a
affaire, et non au dilettante que la légende française
veut voir en lui. Le poète britannique Wystan Hugh Auden avait
déjà inspiré nombre de compositeurs, de Britten (Hymne à sainte Cécile) à Henze (Les Bassarides), en passant par Stravinsky (The Rake’s Progress).
De cet écrivain hors normes, Ned Rorem choisit sept
poèmes tous marqués par le thème de la violence et
de la douleur. Avec The Shield of Achilles,
la guerre, qu’elle soit de Troie, Mondiale par deux fois, ou
Civile en Espagne, se montre dans toute sa crudité. Rorem joue
immédiatement sur la violence et l’absurdité de la
guerre, les instruments s’agitant avec frénésie
dans des montées chromatiques dignes des pires exaltations. La
Terre, désabusée, regarde par-delà les hommes qui
se déchirent, et qui acceptent de mourir jeunes pour une gloire
qui les dépasse.
L’inspiration antique se retrouve avec Epitaph on a Tyrant,
avec les mêmes échos sur le monde contemporain…
Même dans l’amour, la douleur plane, la déception,
la désespérance. Christopher Lemmings sert cette musique
avec une voix qui n’est peut-être pas la plus
séduisante, mais ce n’est certainement pas la
qualité que l’on attend a priori
dans ce genre d’œuvre. Sa diction, excellente, rend justice
à ces textes qui ne supportent pas un traitement uniquement
musical, mais demandent à être dits. Si on est parfois
gêné par la dureté de ses aigus forte,
on ne peut en revanche qu’admirer avec quel art il parvient
à soutenir un son filé sans détimbrer, vibrant
même dans le pianissimo de plus en plus impalpable (fin de Lay your sleeping head, my love
par exemple, plage 4). Dans cette musique tour à tout
déchirée et tendrement mélancolique, Christopher
Lemmings se fait caméléon, épousant chaque
atmosphère avec une plasticité remarquable.
On sera moins séduit par la prestation de Sara Fulgoni dans les Santa Fe Songs.
La voix n’est pas en cause, mais l’adéquation
à la musique n’a plus cette même évidence. Le
cycle, il est vrai, n’a pas la même unité de ton,
chaque mélodie jouant la carte de la nervosité, à
l’instar de la poésie de Witter Bynner sur laquelle ces
mélodies sont basées. Ici, c’est comme si les
instrumentistes prenaient le pas sur la chanteuse – remarquable
Chamber Domaine, dont on apprécie autant la qualité de
timbres que la discrétion. Ils tissent un incroyable tissu
narratif, délicat et rigoureux à la fois…
Ces premières discographiques (seules quelques mélodies du Santa Fe
ont déjà été enregistrées, par Susan
Graham notamment) sont une inestimable première approche pour
qui voudrait découvrir la musique de Ned Rorem.
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